lundi 24 février 2014

MONSIEUR K. LIBÉRÉ


MONSIEUR K. LIBÉRÉ

traduit du roumain par Faustine Vega

Tout m'a attirée dans ce livre. L'illustration de la couverture, le titre - hommage flagrant à Kafka - et la quatrième de couv'. Belle occasion d'explorer la littérature roumaine dont je ne connais pas grand chose.

Quand on a lu Le procès de Kafka, ce récit ne cesse de nous y renvoyer. On y côtoie l'absurde propre à Kafka, l'atmosphère y est aussi déroutante, mais la situation inversée ici ne manque pas de surprendre tant l'intrigue est démente et originale.
L'histoire se développe autour de Monsieur J., rendu libre après des années de prison. Ne sachant que faire de sa liberté, il traîne des jours, des semaines, des mois, dans les locaux du pénitencier, sans arriver à se résoudre à en sortir.

"Partir où ? Personne ne lui avait dit encore où partir. [...] Comment savait-il, lui, ce qu'il convenait de faire, où il devait aller et demander ? [...] Combien de temps encore croyaient-ils qu'il supporterait cette incertitude."

"... un homme se "trouvait dans sa cellule à lui, dans la cellule où lui, il dormait depuis à peu près toujours. Dans la cellule qui faisait, comme qui dirait, partie de lui, qui était devenue sa coquille, qu'il portait avec lui, dans son âme, dans sa chair, dans sa colonne vertébrale."

"Il s'avouait totalement vaincu. [...] Son cerveau n'émettait plus une seule idée claire. Son être tout entier était déserté du moindre désir précis. Aucun but. Aucun sens."

J'ai trouvé la situation plutôt drôle et cocasse au début, et en même temps, il y a quelque chose d'infiniment tragique dans le sort de Monsieur J. Ne pas savoir quoi faire de sa liberté, quel drame, non ? Avoir peur du monde extérieur, cette jungle sans nom, porter la liberté comme un fardeau, regretter les murs rassurants de la prison. Se sentir constamment coupable de ne pas savoir quelle attitude adopter, ce qu'on attend de lui, où aller. Être, en somme, comme un nouveau-né abandonné à lui-même, jeté dans l'arène du monde, sans guide, tel est le calvaire de Monsieur J. Ces années de prison ont quelque part déshumanisé cet homme qui ne parvient plus à retrouver sa place dans le monde libre.

"Quels animaux ils sont devenus ! gonflés par le sommeil, ils ne pensent à rien ! [...] Ça va être dur avec eux, ils n'accepteront pas aussi facilement la liberté parce qu'elle sera incompréhensible."

J'ai trouvé que l'auteur avait très bien su transcrire ce sentiment d'égarement de Monsieur J. que l'on visualise sans peine hagard, hébété, désorienté, désemparé, nageant dans l'incertitude la plus absolue. La façon dont il déroule ce récit rend la situation, bien qu'absurde, totalement crédible. On comprend parfaitement ce qu'endure le personnage de Monsieur J.
Et ce qui est savoureux dans ce récit, c'est que l'absurde fait rage à bien d'autres niveaux. Il faut voir ces "hommes libres" à l'intérieur du pénitencier ou ce système administratif à l'agonie à travers lequel l'auteur laisse libre cours à ses délires.
Des délires que je n'ai pas trop suivis par moment, surtout vers le dernier tiers du livre, et qui m'ont parfois donné l'impression de tourner en rond, mais dans l'ensemble, c'est une fable très juste qui suscite beaucoup de réflexions sur le sens de la liberté qui est propre à chacun, et sur notre capacité (ou incapacité) à nous (ré)adapter à un système.

Je me demandais quelle fin trouverait ce récit et quand j'y suis arrivée, c'était comme une évidence. En effet, quelle autre fin ?
Un récit qui, à mon goût, n'a pas la force du Procès, mais qui vaut le détour pour son originalité, sa justesse, et qui ne manquera pas d'amuser, déstabiliser, étonner, perturber même.

L'auteur
Matéi Visniec est un dramaturge d'origine roumaine. Exilé à Paris en 1987, il a publié depuis une trentaine de pièces de théâtre écrites en français, régulièrement jouées sur les scènes d'Europe. Il est aussi l'auteur de quatre romans écrits en roumain.

8 commentaires:

  1. Une vraie trouvaille, je ne connaissais pas du tout. Et ça m'interpelle drôlement.

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    1. Aah j'étais bien contente de cette petite trouvaille inattendue au détour d'une de mes bib' oui. J'aimerais tomber plus souvent sur de belles surprises hasardeuses comme ça sur mon chemin.:-)

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  2. Commentaire disparu! Grrr! Heureusement que je fais le SAV!
    Je disais juste que je n'ai pas lu Kafka (faudrait, oui) et que je ne connaissais pas cette maison d'édition (au nom adapté au thème, non?)

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    1. Kafka, à lire, à lire, à lire ! "Le procès" du moins ! Quant à cette maison d'édition, elle a une petite production pour l'instant mais pas des plus inintéressantes.
      (Pénibles ces comm' qui se perdent. Ça m'arrive aussi sur d'autres blogs...)

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  3. C'est vrai rien que la couverture est attirante. Un livre séduisant même si le mot ne conviens pas vraiment au thème.

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    1. Oui, la couverture est une vraie réussite, sobre et évocatrice en même temps, et on n'est pas déçu par le contenu.

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  4. J'ai l'impression qu'il y a pas mal de réflexions sous jacentes intéressantes ici. Mais ne vaut -il mieux pas lire "Le procès" avant pour voir le lien entre les deux et profiter mieux de cette lecture ? Pour info, Le procès est dans ma PAL depuis l'an 2000 !!! Je l'avais acheté pour séduire, et le mec m'a larguée !!!

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    1. :-)))) Sors-le de ta PAL ! Ce n'est pas un investissement perdu.;-) Et sinon, oui, je pense qu'il vaut mieux avoir lu "Le procès" d'abord pour bien se rendre compte de l'absurde de situation dans les deux contextes, et du clin d'oeil de l'auteur ici.

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