lundi 22 décembre 2014

DEBOUT-PAYÉ


DEBOUT-PAYÉ

"Debout-payé : désigne l'ensemble des métiers où il faut rester debout pour gagner sa pitance."

Repéré chez Jérôme, j'étais assez curieuse de ce récit d'un ancien vigile du Sephora des Champs (mais un coup d'oeil sur son cursus en fin de livre nous indique qu'il a un parcours bien diversifié et qu'il a finalement touché un peu à tout). Disons-le en toute franchise, quand on croise un vigile en magasin, on est loin de l'imaginer éduqué, voire intellectuel, si tant est qu'on s'intéresse à sa personne.

Je dois dire qu'un peu connement (car fallait-il attendre ce livre), mon regard sur ce corps de métier et sur les personnes qui l'exercent en particulier a un peu changé depuis que j'ai lu ce livre, déjà parce que je me dis qu'un potentiel écrivain se cache peut-être en eux (^^), mais surtout parce que je vois plus que l'armoire à glace humaine qu'on a plutôt tendance à ignorer ou qu'on préfère éviter. Maintenant je vois l'humain derrière, l'histoire possible de sa vie.

Je m'attendais à un témoignage inédit d'un vigile bien placé pour saisir les petits travers de notre société à force de voir défiler une clientèle des plus variées, à des observations d'un homme un peu blasé de sa condition de debout-payé. Il y a bien cet aspect-là, mais pas que. Ce livre alterne en effet récit et interludes dans lesquelles l'auteur glisse, façon lexique, quelques aphorismes et des réflexions qui semblent émaner des divagations de son esprit. Notre vigile s'occupe visiblement pour lutter contre l'ennui d'un travail rébarbatif. Il en résulte des observations subtiles, amusantes, caustiques même, souvent très instructives, et pleines de vérité aussi.

"Fesses gauches. Les Africaines prennent rarement  autre chose que des hauts à cause de leur anatomie callipyge. Les pantalons et autres shorts sont fabriqués sur les mensurations moyennes de la femme blanche, naturellement plate, par des ouvrières chinoises, naturellement très plates.
En Chine, il paraît que le mot "fesse" n'existe pas. Là-bas, on dit "bas du dos". On ne peut inventer un mot pour une partie du corps qui n'existe pas."

Parallèlement et plus intéressant encore, Gauz brosse le portrait de ces vigiles issus de la communauté africaine en France, à travers l'histoire d'Ossiri, étudiant ivoirien sans papier arrivé à Paris dans les années 1990, développant ainsi un véritable récit retraçant leur parcours de vie, chacun avec des expériences différentes, bien que similaires dans le fond.
Nous voilà voyageant géographiquement et dans le temps entre l'Afrique et la France, à travers trois époques mythiques du métier de vigile que l'auteur distingue comme l'âge de bronze dans les années 1960, l'âge d'or dans les années 1990, et l'âge de plomb après la date fatidique du 11 septembre 2001.

Un récit instructif, riche et savoureux, moins divertissant et bien plus subtil et profond que je ne m'y attendais.

J'ai bien aimé cette note de l'éditeur (Le Nouvel Attila) que j'ai trouvé en fin de livre :

L'auteur
Après avoir été diplômé en biochimie et (un temps) sans-papiers, Gauz, nom d'auteur d'Armand Patrick Gbaka-Brédé, né à Abidjan, Côte d'Ivoire, en 1971, est photographe, documentariste, et directeur d'un journal économique satirique en Côte-d'Ivoire. Il a aussi écrit le scénario d'un film sur l'immigration des jeunes Ivoiriens, "Après l'océan".

28 commentaires:

  1. Oui, il n'est pas si léger que ça ce livre. C'est un premier roman audacieux et fort bien construit en tout cas, j'ai vraiment beaucoup aimé.

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    1. Oui, pareil, et je suis assez ravie pour l'auteur de son succès et de l'attention qu'on a porté à son livre dès sa sortie.

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  2. Pfff, je suis justement en train de le lire et partage ton sentiment (les trucs ivoiriens, j'adore, forcément) Bon, je peux copier coller sans vergogne ton billet? ^_^
    Musée Picasso : j'ai retrouvé qu'on ne trouve plus les photos des modèles en parallèle avec leur portrait, comme avant. Sinon, aucune queue (yes) vers dix heures du matin (je te laisse imaginer à quelle heure je suis partie de chez moi), superbes plafonds, escalier, etc, mise en valeur des oeuvres. Du monde (trop) et finalement une sorte de "trop c'est trop", trop de Picasso tue le Picasso, quoi. Mais ça vaut le coup quand même.

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    1. Aah je guette ton billet alors, je suis sûre que tu l'agrémenteras d'originalité.;-) (et curiese aussi des extraits choisis ;-)).
      Musée Picasso : impressionnant, hein, le lieu ?! Hé oui, les oeuvres sont bien mises en valeur, j'ai trouvé aussi. Moi je ne me suis pas lassée de ce que j'ai vu, c'était assez varié et intrigant pour le coup pour moi. Bon, dommage qu'ils n'aient pas gardé cette idée de photos des modèles à côté des portraits, ça ça m'aurait bien plu. Mon seul bémol, c'est que ça manquait un peu d'explications et de repères dans les périodes du peintre. On est un peu jeté comme ça au milieu des oeuvres, et à nous de nous débrouiller. Mais j'ai vraiment beaucoup aimé quand même.:-)

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  3. retrouvé? disons regretté (petite nuit on va dire, la fatigue)

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    1. Haha je connais bien ça en ce moment moi aussi. D'ailleurs je ne vais pas tarder à me coucher (sisi, incredible I know).

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  4. Toujours aussi tenté de le découvrir !

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    1. Je ne peux que t'encourager à te laisser aller à la tentation.;-)

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  5. Comme Noukette, j'ai très envie de le découvrir !

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    1. Idem comme pour Noukette, je t'encourage à sauter le pas.;-)

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  6. Je l'avais noté et puis j'avais lu des billets qui dénonçaient un roman très inégal et étrangement médiatisé, du coup j'avais passé mon tour. Je dois dire que ton enthousiasme me refait hésiter...je craignais un récit sans fil rouge

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    1. Étrangement médiatisé, euh... Comparé à d'autres romans, c'était plutôt soft...^^ Le titre, le sujet et ce témoignage sont assez inédits pour que ce livre sorte de l'ombre, rien de très étonnant à cela à mon sens, et de mon point de vue, ce n'est pas non plus comme s'il avait été sous les feux de la rampe. Je suis assez contente de son succès mérité du coup car ce n'était franchement pas gagné pour un roman du genre. Après, je comprends qu'on puisse être hermétique au sujet, aux propos, à la façon dont le récit est développé (il n'est effectivement pas linéaire, on peut du coup avoir l'impression de quelque chose d'un peu décousu), mais moi j'avoue, j'ai trouvé ce livre très réussi, intelligent et inattendu.:-)

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  7. j'ai bien aimé aussi. Et moi aussi je regarde différemment les vigiles depuis... je les regarde tout simplement, disons-le. Passe de belles fêtes de Noël !

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    1. Ohlala, moi je suis presque devenue pote avec le vigile du Sephora de mon quartier (enfin, quartier boulot). Il faut quand même que je reste sur mes gardes, faudrait pas qu'il croit qu'il a une touche, haha !
      Bonnes fêtes de fin d'année !:-)

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  8. Dis donc je ne sais plus si tu as vu mon billet de noel, avec photo du chaton inside!

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    1. Ouiiiiiii !!! Je viens de le voir cet après-midi !! Super mimi le Squatty, franchement, je ne comprends pas ta louloute !;-)

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  9. Bonjour A girl... j'ai terminé ce roman très très bien écrit et construit hier soir. Si un jour, j'entre au Sephora des Champs-Elysées, je ferai attente aux vigiles. Bonne journée et très bon réveillon du jour de l'an.

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    1. Bonjour Dasola, à vrai dire, je fais attention aux vigiles de tous les magasins maintenant. Certains m'inspirent de la sympathie, on échange deux-trois mots, bonjour/au revoir, d'autres m'ont l'air quand même un peu perchés, ceux-là je passe mon chemin. Bon, enfin, un peu comme avec tout être humain, quoi.;-)
      Bonnes fêtes de fin d'année !

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  10. C'est marrant ton commentaire. En général, je dis bonjour aux vigiles quand j'entre dans un magasin. Certains ne répondent pas, bien sûr. D'autres sont surpris. Je dis bonjour au chauffeur quand j'entre dans le bus.. C'est l'éducation venant de ma mère, puisqu'en bonne Martiniquaise, elle dit toujours bonjour quand elle arrive quelque part. Quant à ce livre, tous les billets positifs que j'ai lus à son sujet m'ont vraiment fait envie. Très drôle le passage sur les fesses.

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    1. Bah non, je leur dis pas bonjour parce qu'en général quand je rentre dans un magasin avec vigiles, ils ne sont pas en position "comité d'accueil", sont souvent de dos par rapport aux gens qui entrent, tournés vers l'intérieur du magasin en mode surveillance, et plutôt sur le côté, à 2 mètres, donc leur dire bonjour dans ce contexte reviendrait presque à les interpeler, ce qui moi me paraît étrange.
      Je te rassure, je dis bonjour aux chauffeurs de bus, aux caissières, aux vendeuses de magasin, bref, à toute personne avec qui on est en mode interactif, mais justement avec les vigiles c'est différent car c'est comme s'il n'était pas censé y avoir interaction, hormis si vol il y a, et là ce serait une interaction plutôt embarrassante.:-) C'est ce métier assez particulier et l'image qu'on en a qui fait ça, pas vraiment une question d'éducation à mon sens. En en discutant autour de moi suite à la lecture de ce livre, j'ai vu que je n'étais pas la seule à avoir ce rapport aux vigiles, ce qui est assez curieux, j'avoue. Ceci dit, maintenant je ne leur fonce pas dessus pour leur dire bonjour ni ne les hèle de loin, mais je vois plus l'humain que le métier derrière le vigile. Fou, non ?:-)
      Curieuse de ton avis sur ce livre si tu le lis !

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    2. Jackie Brown30 décembre, 2014

      Je parle des vigiles qui sont face à la porte et qui parfois d'ailleurs t'ouvrent la porte. Ou ceux qui ferment les sacs à l'entrée des supermarchés. Je ne cours pas derrière non plus pour dire bonjour. ;-)

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    3. Haha j'imagine la scène ! :-) Oui, ok, je vois ce que tu veux dire, mais franchement, je n'en vois pas moi, des vigiles qui ferment les sacs à l'entrée des supermarchés, ou ouvrent les portes (qui sont toujours automatiques ou déjà grandes ouvertes). Moi les vigiles avec qui il a fini par s'établir un contact convivial, c'est les magasins (autres que supermarchés) dans lesquels je passe régulièrement et où ils m'ont déjà vu entrer et sortir X fois. Dans les supermarchés, c'est beaucoup plus anonyme, en plus, ils sont souvent postés près des alarmes des caisses ou dans les rayons, mais pas à l'entrée en mode accueil.

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    4. Jackie Brown03 janvier, 2015

      J'ai vu des vigiles qui ferment les sacs d'autres magasins (ou les enferment dans de grands sachets en plastique) à l'entrée de supermerchés en région parisienne et dans le Nord. C'est vrai que je ne suis pas allée partout aussi.

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    5. Aaah oui je vois ! Comme à la Fnac ! Il faut dire que ça fait longtemps que je n'y suis pas allée. Effectivement, là les vigiles sont à l'entrée à surveiller entrée et sortie si ça bipe, ou il faut carrément aller les voir pour signaler ses achats d'ailleurs. Bon, là le bonjour va de soi bien sûr.;-)

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  11. J'ai beaucoup aimé ce livre, qui était en rupture de stock au moment où je le cherchais en septembre. C'est drôle, jusqu'à l'achevé d'imprimer : le mien n'est pas le même que le tien. Moi c'est "achevé d'imprimer" n°56 . :)

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    1. Ah oui, ce n'était pas le grand espoir de la rentrée littéraire mais il a fini par sortir du lot au fur et à mesure des semaines, et tant mieux ! L'éditeur ne devait pas s'attendre à ce que ce livre s'écoule aussi bien, même s'il est entendu qu'il l'espérait sûrement.^^ Du coup, plusieurs tirages, et visiblement, il s'est lâché au fur et à mesure.;-)

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  12. Rhoo, bien tentée dis donc. Il doit aussi y avoir un côté tribulations d'une caissière...

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    1. Je n'ai pas lu Les tribulations d'une caissière, mais j'imagine à peu près le contenu, alors je dirais oui, il y a un côté "caissière", le côté témoignage inédit sur ces métiers un peu sous considérés, pour dire les choses franchement, avec en bonus, leur regard sur notre société et sur nous autres, qui les considérons à peine, mais c'est tout de même un tout autre contexte, vigile, une autre histoire en background, un tout autre monde encore.

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