vendredi 20 janvier 2017

PAYING FOR IT


PAYING FOR IT
        A COMIC-STRIP MEMOIR ABOUT BEING A JOHN

( VINGT-TROIS PROSTITUÉES )

L'anecdote de l'acquisition de cette BD est trop cocasse pour que je ne la consigne pas ici.

En décembre, je retrouve Cryssilda chez Gibert pour patienter au chaud avant notre rendez-vous resto "challenge AL" avec Marie. Là, on furète (quoi de plus normal) et je me paie la tête de Cryssilda qui, au rayon livres en anglais, embarque tous les livres qu'elle touche (5 en 1 minute !), tandis que moi, très sobrement, je tends ma main vers celle-ci, par pure curiosité, sans me douter que je l'embarquerai aussi.

Une BD en VO, pourquoi pas ? Le titre ne me dit rien de paru en français. Je feuillette, et dès les premières pages, j'ai le sourire aux lèvres. Les planches que je lis en diagonale ont l'air de présenter un personnage un peu décalé dans sa relation aux autres, et en même temps, complètement normal. Sa copine lui annonce qu'elle pense être amoureuse de quelqu'un d'autre mais n'en étant pas sûre, souhaite continuer sa relation avec lui, surtout qu'elle l'aime toujours. Lui n'est pas fâché. D'ailleurs, la situation n'a pas l'air de le déranger outre mesure. Il en parle même à un ami comme de la pluie et du beau temps, et là, j'arrête mon feuilletage, persuadée d'avoir entre les mains un récit sur les relations de nos jours, des discussions entre potes, une sorte de philosophie de l'amour et des relations 21è siècle, un peu à la Jim Jarmusch, sans la poésie, mais avec un humour malgré et aux dépens du personnage principal.
Un coup d'oeil à la bio de l'auteur, Chester Brown, que je ne connaissais pas, et je découvre qu'il est Anglo-Québécois. La tentation est forte, je ne résiste pas, surtout que je suis convaincue de tenir là une pépite.

Quelques jours plus tard, je décide de m'atteler à ce livre, et là, alors que je ne lis que la page d'introduction de l'auteur, froncement de sourcils ! Tiens, c'est étrange. Pourquoi insiste-t-il autant sur la thématique de la prostitution ? Et pourquoi de son expérience personnelle avec la prostitution ? Un grand doute m'assaille mais, me dis-je, peut-être que cette thématique n'est qu'une parenthèse dans ce récit. Très vite cependant, il faut bien que je me rende à l'évidence, ce livre parle bien de l'expérience de l'auteur avec des prostituées. Après sa rupture avec son ex, l'auteur, estimant avoir fait le tour de la vie de couple, se décide à passer aux rapports tarifés et donc à fréquenter les prostituées.

Plus tard, bien plus tard, me vient à l'esprit l'idée de vérifier si quelques-unes de ses oeuvres avaient été traduites en français, et là, je tombe sur l'album Vingt-trois prostituées paru aux éditions Cornélius il y a 4 ans ! C'était ce livre !! Qui, du coup, me rappelait subitement une chronique chez Noukette, et je ne m'y trompe pas, je la retrouve, et je l'avais même commentée il y a deux ans en témoignant un certain intérêt, car c'est vrai, je trouvais le sujet assez original et interpellant :
"Bon, il est pas très joli à voir en BD ce Chester Brown, tout nu en plus, mais le sujet et sa démarche m'intéressent. Lors d'un prochain passage à la bib', sans doute..."

Ouiii ! Un emprunt bib', oui ! Mais c'est sûr et certain que je n'aurais jamais embarqué cette BD chez Gibert avec autant d'allégresse et d'espoir si ça avait été le titre français !! J'avoue que tout ça m'a bien fait rire.

**********

Mais pour en revenir à la BD (quand même), je dois dire que je ne regrette pas cette lecture qui, comme je l'avais pressenti chez Noukette, s'est révélée fort intéressante. Déconcertante par moment, mais ça fait vraiment réfléchir sur les relations de couple, sur la notion d'amour, d'amour romantique en particulier, sur la société qui formate notre idée de ce que doit être l'amour dans un couple, et sur la prostitution. Pas de voyeurisme et compagnie (quoique dans le métro, j'étais obligée de faire trèèèès attention en lisant), l'auteur préserve l'anonymat de ces femmes et les dessins sont relativement pudiques et suggestifs (quoique très clairs). 

Par contre, c'était très particulier aussi comme lecture parce que j'avais du mal à me situer par rapport à ce livre, comme si j'avais du mal à prendre position. C'est quand même perturbant cet auteur (qui ne se représente absolument pas à son avantage - maigre, chauve) (je trouvais ça un peu abusé qu'il soit si exigeant sur le physique des femmes du coup...) qui "profite" de la prostitution en assumant pleinement, et en même temps, on ne peut pas lui donner complètement tort sur certains points, sur la façon dont il appréhende l'amour, le sexe et la prostitution. C'est ça qui est assez troublant quand on lit ce livre.
Bien sûr, il confronte ses convictions à celles de ses amis (parmi eux, des femmes aussi) (enfin, une) (une ex en plus), ce qui élargit le débat (immoralité du sexe tarifé, désacralisation de l'amour romantique, entre autres) et les points de vue, mais ce qui est déstabilisant, c'est qu'il argumente vraiment bien sa conception des choses. Je n'étais pas toujours d'accord mais j'avoue qu'il n'y avait rien de vraiment incohérent dans ce qu'il avançait.
À cet égard, j'ai trouvé la fin vraiment intéressante car elle bouscule un peu elle-même ses propres convictions.

En dehors de son expérience personnelle, c'est aussi une fenêtre ouverte sur la réalité de ce monde et du milieu de la prostitution que j'ai trouvée particulièrement intéressante et instructive.
La totale transparence et la franchise désarmante (et du même coup désopilante) de cet homme sur le sujet ou sur lui-même est par ailleurs assez fascinante. Sa facilité à parler de ces thèmes un peu tabous, avec honnêteté, sans provocation, une sorte de "neutralité sans pour autant être désincarnée", et oser aller à contre-courant de ce qui ce pense et l'assumer sans difficultés, c'est assez troublant.

Un album vraiment riche sur le sujet, plus profond et sensible qu'il n'y paraît. Un témoignage par moment absolument hilarant, et en même temps, il y a quelque chose d'assez touchant et triste dans son histoire. Un récit qui bouscule un peu dans ses convictions et force à voir les choses sous l'angle de vue d'un homme qui n'a rien d'un gros pervers libidineux.

L'auteur
Chester Brown est un auteur de bande dessinée né en 1960 à Montréal, d'expression anglaise. Il déménage à Toronto en 1979 et commence par autoéditer ses premières mini bandes dessinées avant d'attirer l'attention des éditeurs. Il entame alors sa pleine carrière artistique.

8 commentaires:

  1. Je suis allée fouiner en bibli, oui, il y a d'autres titres, en particulier Louis Riel.

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    1. Oui, un chapitre de l'histoire canadienne qui pourrait valoir le détour aussi.

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  2. Hahah ! Je l'attendais cette chronique et finalement tu t'en sors bien ! :)
    Bon moi ça ne me tente pas, BD + Thème, bof...
    Et sinon, je tiens à rétablir la vérité ! Je n'ai pas pris 5 livres mais SEULEMENT 4 ! Dont deux que j'ai déjà lus. C'est pas si pire ! :) (j'ai fini la soirée avec 5 livres à cause (grâce à) toi !)

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    1. Hahaha ! Ah oui, 4 livres... Mais si tu ne t'étais pas arrêtée à temps, tu étais partie pour en prendre largement plus.:-) Et 2 lus sur le lot, bravo ! Ça t'autorise presque à en racheter.;-)
      Bon moi la leçon de l'histoire, c'est de bien vérifier de quoi parle les livres avant de les embarquer ! Enfin, pas de regret ici au final, mais c'était chaud.:-)

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  3. Un auteur découvert pour ma part il y a fort longtemps avec le très autobiographique "Je ne t'ai jamais aimé". Je me rappelle un album très dérangeant. Je le relirai bien un jour d'ailleurs (Lu aussi de lui "Le playboy" que j'avais moins aimé).

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    1. Il a l'air de faire dans le dérangeant mais ce que j'apprécie, c'est que c'est sans l'esprit de provoc' (du moins dans la BD que j'ai lue). Je lirais bien autre chose de lui mais dans une toute autre veine, comme le Louis Riel par exemple.

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  4. L'auteur me dit quelque chose, peut-être que moi aussi je l'ai découvert chez Noukette! Ou bien s'il est anglo-québécois je le croise peut-être aussi "subliminalement" chez les libraires, surtout s'il est né à Montréal :D
    Sans vouloir jouer sur les mots, que l'auteur se mette à "nu" avec autant de franchise ça m'apparait intéressant. C'est certain que maintenant je vais le regarder (l'acheter?) la prochaine fois que je le vois!
    "qui n'a rien d'un gros pervers libidineux" ptdrrrrrr
    Bonne semaine à toi!

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    1. Moi aussi il me disait quelque chose, mais je crois que c'est juste le prénom Chester, haha ! J'étais en tout cas très loin de l'associer à la BD de Noukette.
      Franchement il est intéressant - et un peu perturbant haha - mais c'est tout l'intérêt du personnage. Il force à réfléchir et nous bouscule dans nos convictions, non par esprit de provocation, de contradiction, ou par passion du débat, mais juste parce que c'est comme ça qu'il vit les choses et qu'il n'y voit rien de mal. Bon, il a quand même quelque chose d'un peu décalé, je trouve. Enfin bon, tu verras si tu lis cette BD. Je serais très curieuse de ton avis en tout cas. :-)
      Bonne semaine !

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