dimanche 8 juillet 2018

NADADA


NADADA

Quand j'ai vu ce Franz Bartelt abandonné sur une étagère à mon boulot, dans un espace dédié aux livres laissés à disposition, je lui ai sauté dessus sans même savoir de quoi il retournait. Il faut dire que Bartelt fut un de mes auteurs chouchou à une époque, et il est, encore aujourd'hui, une valeur sûre pour moi dans la catégorie divertissant, cocasse, désopilant, loufoque.

La quatrième de couv' qui n'affichait que cette phrase (en exergue dans le livre) était par ailleurs très prometteuse :
"Une couille dans un potage, c'est une erreur. Deux, c'est une recette..."

La hyène hilare n'était pas loin et elle a commencé a ricané franchement dès les premières pages quand le narrateur, un apprenti écrivain de la pire espèce, de celle qui n'a jamais écrit une ligne ni même jamais lu un livre, flaire le filon dans le best-seller et décide de s'y mettre. J'avoue que je me suis bien amusée à lecture de ce dialogue :

"Je lui demandais les recettes du best-seller. [...]
"Du sexe, du sang et des larmes, il m'a expliqué. C'est simple, on en trouve partout.
- En parts égales ? je me suis inquiété.
- Pas obligatoirement. L'essentiel, c'est qu'il y ait de tout et en grosse quantité. Il ne faut pas lésiner sur la matière. Quand tu dégaines le sexe, tu tires. Ne te contente pas de la menace. Tu tires. Sans sommations.
- Pour le sang aussi ?
- Pareil. Tu lâches les vannes sans prévenir. Fais saigner la veuve et l'orphelin. Fais saigner le juge et l'assassin. Fais saigner le chat de la voisine. Il n'y a rien de plus littéraire qu'une veine qui coule. Avec une artère, l'effet est encore plus garanti.
- Si je comprends bien, des notions d'anatomie seraient indispensables. Je ne me vois pas reprendre les études de médecine [...].
- Moins on en sait, mieux ça vaut. Tu écris pour des ignorants. Ne les déçois pas : sois ignorant toi-même.
- Et en ce qui concerne les larmes ?
- Ne regarde pas au malheur. [...]"

Et ce passage aussi est collector :
"La préface prouve qu'on est capable de parler de ce qu'on a raconté, d'expliquer comment on souhaite que le lecteur l'aborde, ce qu'il devra y comprendre, ce qu'il faudra en retenir. La préface, c'est la mousse sur le demi de bière, ça ne sert pas à grand-chose, mais ça fait bonne impression au moment de servir."

Notre apprenti écrivain pense tenir son sujet, celui qui le rendra riche et fera de lui un des grands écrivains du millénaire. Le récit d'une enquête d'un détective amateur du nom de Moncheval. Il ne reste plus qu'à le mettre en forme donc, et puisque celui-ci fait intervenir "un tueur en série à la recherche de sa maman" et "un commissaire qui préfère oublier le monde en dormant", "tout est en place pour l'angoisse, le sang et l'horreur".

Bon, bien sûr, avec une telle trame, il ne faut pas s'attendre à l'intrigue ou au roman du siècle mais j'y ai retrouvé avec plaisir cet humour barge et corrosif de Bartelt auquel j'adhère bien, une écriture précise et juste dans ses approches et descriptions de la nature humaine, l'art de dépeindre le côté drôle des situations, des comportements, de la psychologie humaine, sauf qu'ici, tout est élevé au rang de grand n'importe nawak, comme une sorte de parodie de parodie au sein d'une parodie.

Au sortir de ma lecture, je lui ai attribué un bon 4/5 étoiles sur Goodreads. J'ai vu des notes bien moins enthousiastes (rapport à l'intrigue qui est, il est vrai, anecdotique) mais ce genre d'écriture, d'humour et de délires, un peu autour de l'exercice de style, c'est tellement ma came que j'assume la note.^^
Ce court (très court) roman, ce n'était peut-être pas l'équivalent du dîner gastronomique sans fausse note mais celui de l'apéro fort savoureux et un poil élaboré quand même que j'ai apprécié grandement pour son moment de détente et de convivialité. Bartelt comme je l'aime !

D'autres citations en exergue :
"Il y a une mémoire du rectum, mais elle ne retient pas tout."
"Le temps c'est de l'argent, sauf à un moment donné."

14 commentaires:

  1. Cela m'a l'air assez n'importe quoi pour me plaire, dis donc!

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    1. Oui, c'est du pur délire, je pense que ça te plairait. Après, il faut vraiment le lire à ce niveau. N'en rien attendre de plus.;-)

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  2. J'avais beaucoup aimé Le jardin du bossu, puis j'ai été tellement déçue par Le fémur de Rimbaud que je n'ai pas relu Bartelt... sans doute à tort..

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    1. Ah oui, ça me rappelle qu'il faudrait que je lise ce fameux Jardin du bossu !

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  3. Je ne connais pas cet auteur. Il faudrait peut-être que je tente, les dialogues m'ont amusée.

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    1. Dans le paysage français, je trouve que c'est un des auteurs dont l'humour est assez efficace.

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  4. J'avais lu le plus grand bien partout de ce Franz Bartelt qui avait l'air de manier un humour qui me plait (genre Joël Egloff me disais-je...). J'ai essayé "Hôtel du Grand Cerf" et je ne l'ai pas terminé tant je n'y trouvais aucun intérêt. Même pas drôle... Les extraits que tu proposes ici me laissent penser que celui-ci ne me fera pas hurler de rire non plus. Il y a plusieurs livres de Bartelt à la bib, il me faudrait peut-être réessayer...

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    1. Peut-être n'es-tu pas sensible à l'humour à la Bartelt en effet.;-) Ce n'est pas vraiment le même univers qu'Egloff qui est peut-être plus dans la subtilité. Pour Hôtel du Grand Cerf, je peux comprendre. J'ai moi-même trouvé que ça mettait un peu de temps à démarrer et j'ai eu quelques doutes, mais une fois le train en marche, la hyène hilare était au rendez-vous de mon côté.^^

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  5. tu recueilles les livres abandonnés maintenant? Je ne connais pas non plus l'auteur mais l'"humour barje" ça me parle!

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    1. Si tu aimes les gros délires d'auteurs, Bartelt pourrait te correspondre en effet.
      Hé oui, je ne résiste pas au coup d'oeil sur les livres délaissés, et il m'arrive d'en embarquer (sans forcément les lire de suite, c'est là tout le drame).^^

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  6. Je suis comme toi très bon client pour ce genre de texte (et en plus il est très court, c'est la cerise sur le gâteau !).

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    1. Heureusement qu'il est court, parce que du délire de cet acabit, sur la longueur (et en particulier dans le contexte de cette pseudo-intrigue), ça peut quand même lasser.:-)

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  7. "Très court roman"... Tu sais me parler ! Je note !

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    1. Haha ! Bon, tu t'es largement faite aux pavés depuis.;-)

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