samedi 20 juillet 2019

MÉMOIRES POSTHUMES DE BRÁS CUBAS


MÉMOIRES POSTHUMES DE BRÁS CUBAS

traduit du brésilien par R. Chadebec de Lavalade

J'avoue, au départ ce n'était pas le titre qui m'excitait le plus pour explorer la littérature brésilienne. Mais en passant en revue les incontournables de ce pays, j'ai fait une fixation sur Machado de Assis, auteur brésilien du 19è siècle que je connaissais qu'il me semblait connaître vaguement dont il me semblait avoir déjà entendu le nom au moins une fois dans ma vie (sans vraiment l'associer à la littérature brésilienne d'ailleurs). Ce sont ses origines et son destin qui m'avaient intriguée en premier lieu. Père noir descendant d'esclaves, mère portugaise, autodidacte, très cultivé... j'étais vraiment curieuse. 
Pour le titre, j'étais partie au départ sur L'Aliéniste dont le résumé me parlait assez mais ne souhaitant pas prendre de risques, j'ai fait en fonction des disponibilités de ma bib', et me voilà partie, incertaine, avec les Mémoires posthumes de Brás Cubas.

Je craignais quelque chose de trop sérieux, cérébral, indigeste,  mais ce roman, c'est tout l'opposé ! On est dans le délire, le décalé (tout ce que j'aime !). Délire/décalé 19è siècle, ce qui ne gâche rien.
Je ne pensais vraiment pas que je m'amuserais autant avec ce classique brésilien, et c'est même le premier auteur brésilien qui me laisse une image vraiment positive, vivante et délurée d'une littérature brésilienne qui ne manque par ailleurs pas de profondeur ni de consistance, et qui me remotive à l'explorer davantage.
Il faut dire que je n'avais pour référence que* Jorge Amado - une déception, un ennui - et Paulo Coelho (l'insipidité même), et je les imaginais tous pareils, un brin littéreux, olé olé, ou encore, à l'extrême opposé, férus de sujets et styles un peu pesants (politique, poésie, lyrisme...), c'est pourquoi je n'avais pas vraiment fouiné plus loin jusqu'à présent.
Je suis bien ravie de ce choix du coup ! C'est pour moi un grand auteur classique qu'on devrait tous connaître et lire au même titre que Cervantès, Dumas, et j'en passe...

J'ai découvert ici un auteur brésilien facétieux, plein d'esprit et d'audace - déjà, imaginer des mémoires posthumes écrites de l'au-delà, ça donne le ton ! Machado de Assis s'amuse clairement en écrivant, et on s'amuse en le lisant. Le style est d'époque, soigné, relevé et l'écriture est fluide, naturelle et savoureuse, on prend vraiment plaisir à le lire.

Et pourtant, rien de fou à première vue. Brás Cubas, le narrateur, nous raconte sa vie et ce qui lui passe par la tête, tout en s'adressant au lecteur en de multiples clins d'oeil. Tous les événements qu'il nous relate ne sont pas toujours d'un intérêt captivant mais les chapitres sont courts et surtout, le style et le fond accrochent.

"[...] ce livre et mon style sont comme les ivrognes qui tirent à droite, tirent à gauche, avancent, s'arrêtent, grognent, crient, éclatent de rire, menacent le ciel, trébuchent et tombent..."

Ces mémoires reflètent la société brésilienne de l'époque mais elles expriment aussi une universalité certaine qui fait que ce livre nous parle encore aujourd'hui. L'auteur, à travers son personnage, Brás Cubas, fait preuve d'une réelle lucidité sur l'être humain et sur la vie en illustrant sa futilité et sa vanité. Ce dernier porte sur sa vie et celle de ses contemporains un regard plein d'ironie en lâchant au passage des réflexions à méditer, et lance des vérités qui piquent et font mouche, mais sans attaque ni agressivité, toujours sur le ton de l'amusement, frôlant parfois l'irrévérencieux.
Un pur régal !

Des extraits, et photos de pages intérieures pour une idée du style :
"Mon idée était fixe, fixe comme... Je n'aperçois rien qui soit assez fixe en ce monde : peut-être la lune, peut-être les pyramides d'Égypte, peut-être la défunte Diète germanique. Que le lecteur choisisse la comparaison qui lui plaît le mieux, qu'il la choisisse et ne reste pas là à maugréer, sous prétexte que nous ne sommes pas encore arrivés à la partie narrative de ces mémoires."

"Je ne dis pas qu'elle eût déjà conquis sur les jeunes filles de son temps la palme de la beauté, car ce livre n'est pas un roman, dont l'auteur enjolive à son gré la réalité, fermant les yeux sur les boutons et les tâches de rousseur."

"C'est toi, ma pauvre Eugénia, qui ne les aura jamais déchaussées. Tu es allée par la route de la vie, boitillant de la jambe, boitillant de l'amour, triste comme un enterrement de pauvre solitaire, discrète, travailleuse, jusqu'au jour où tu passas toi aussi sur cette rive... Ce que je me demande, c'est si ton existence était bien nécessaire au monde. Qui sait ?... Sur le théâtre de la tragédie humaine, peut-être eût-il suffi d'un figurant de moins pour faire tomber la pièce."

*je viens de me souvenir qu'en réalité, j'avais déjà lu, dans un tout autre genre, un roman brésilien (de Maria Valéria Rezende) qui m'avait enthousiasmée et qui vaut vraiment le détour. Je ne sais pas pourquoi je me suis, malgré tout, arrêtée à ces idées préconçues sur la littérature brésilienne mais il est clair qu'il faut que je continue son exploration ! 

Lu dans le cadre de la LC Brésil avec BlueGrey et Nathalie.

L'auteur
J.-M. Machado de Assis (1839-1908) est né à Rio, d'un père noir descendant d'esclaves et d'une mère portugaise. Il est également mort dans cette ville. Après avoir exercé une multitude de métiers, dont typographe à l'Imprimerie nationale, il devient le plus grand auteur brésilien du XIXè siècle. En 1897, il crée l'Académie littéraire brésilienne. Auteur prolifique au regard cynique et ironique, il est le maître pour déjouer les apparences des faits et débusquer la folie. La société du Rio fin de siècle apparaît sur fond d'absurde.

18 commentaires:

  1. Je suis passée plusieurs fois devant cette couverture, légèrement intriguée, et n'imaginant pas, comme toi, qu'il s'agissait d'un auteur brésilien... La prochaine fois, je n'hésiterai pas !
    par contre, Amado ennuyeux ?! Qu'est-ce que tu as lu de lui ? J'avais adoré Tieta d'Agreste, très enlevé, très drôle..

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    1. J'avais lu La Bataille du Petit Trianon. Clairement pas la bonne pioche pour moi.:) (et avec ce titre, c'était un peu couru d'avance...^^). C'est vrai que c'est rude de "juger" un auteur sur un seul livre, surtout quand, manifestement, ses autres romans semblent susciter l'enthousiasme général. J'avais déjà noté Tieta d'Agreste. Je devrais lui redonner sa chance, il faut juste que je dépasse mon traumatisme.;)

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  2. En littérature du Brésil, plus récent et plaisant, très frais : Les nuits de laitue de anessa Barbara (chez Zulma).

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    1. Je note, merci ! Je n'avais pas vu ce titre lors de mes recherches. Il faut dire que les auteurs mis en avant sur le net sont ceux considérés comme les grands auteurs du pays (pour les thématiques explorées souvent, ou parce que ce sont de grands classiques). Les contemporains un peu plus ordinaires ne ressortent pas vraiment du lot, c'est dommage.

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  3. il doit quand même y avoir des points communs entre les auteurs d'Amérique du Sud parce que je trouve que l'audace, le côté cru sont des éléments qui reviennent souvent...

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    1. Rien de trop cru ici cela dit. Enfin, je ne suis pas sûre du sens dans lequel tu l'entends.^^ Ce qui est sûr, c'est que c'est un auteur indéniablement universel, et c'est ce qui m'a particulièrement plu.

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  4. Je ne pense pas avoir lu d'auteurs brésilien. Encore un auteur que je dois découvrir mais il me semble que j'ai déjà vu ce titre quelques parts récemment...

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    1. On a tant d'auteurs à découvrir, et dans tous les pays, on n'en a pas fini.^^

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  5. Amado ennuyeux ?! Mais je m'insurge ! J'ai ADORE "La boutique aux miracles" !!! ^^

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    1. Manifestement, il faudra que je lui redonne sa chance.;) Si au deuxième roman, je n'adhère toujours pas, c'est qu'il n'est vraiment pour moi.:)

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  6. (Tu as des fans d'Amado, dis donc)
    Pour ma part je ne connais pas trop, et là tu m'as l'air d'avoir un auteur complètement différent de ce qu'on imagine (donc, à découvrir)

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    1. Oui, Machado de Assis est à découvrir, indéniablement. Quant à Amado, il va falloir que je retente un jour, c'est sûr.;)

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  7. Je ne connais pas assez la littérature brésilienne pour donner mon avis. Je n'ai jamais lu Amado, victime moi aussi, visiblement, d'un préjugé tenace. le titre que tu présentes semble très intéressant, ce sont de vraies mémoires ou un roman ?

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    1. Un roman. Ces mémoires posthumes sont à prendre au sens littéral et surréaliste du terme, càd, écrites (et non juste publiées) par son auteur APRÈS sa mort.:) C'est là que commence le délire.

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  8. Il avait beaucoup d'arguments pour te plaire en effet. Et pour moi qui ne lis jamais de littérature brésilienne, ça pourrait être un bon début.

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    1. Ça pourrait bien te plaire, oui. Tiens, j'aurais pensé que tu étais calé en littérature brésilienne ! Les grands classiques du moins.

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  9. Ben écoute, j'ai une pile d'autres classiques que je sais être des classiques manquant à ma culture qui m'attend. Mais quand je serai à cour de ces classiques, pourquoi pas ?!

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