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dimanche 1 février 2015

LE GARDIEN


LE GARDIEN

traduit du néerlandais (Belgique)
par Anne-Lucie Voorhoeve

Encore un livre qui a attisé ma curiosité au détour d'une bib'. Le titre déjà, allez savoir ce que mon imagination y a trouvé d'affriolant, sa sobriété peut-être, tout le mystère derrière cette fonction qui enveloppe tant de possibles, et puis surtout la quatrième de couv' qui donnait au récit ce petit quelque chose d'intrigant auquel j'ai du mal à résister :

- deux gardiens dans le sous-sol d'un immeuble de luxe, logés dans des conditions sommaires, veillant dessus avec une vigilance à toute épreuve, tellement coupés du monde extérieur que le monde pourrait être en guerre, ils ne le sauraient pas.
- un jour, un cortège de voitures quittent l'immeuble, laissant planer le doute quant à d'éventuels résidents qui seraient restés.
- nos deux gardiens continuent néanmoins à surveiller l'immeuble avec une discipline militaire, espérant que "l'organisation" pour laquelle ils travaillent les récompensera pour leur travail.
- et puis, un troisième gardien arrive, et là, tout bascule...

Cette petite phrase en fin de résumé a achevé de me convaincre :
"Le gardien échappe à tous les genres littéraires. La descente aux enfers de deux hommes dans l'atmosphère absurde d'un monde dépersonnalisé nous tient en haleine jusqu'à la dernière page, tout en nous renvoyant à nos interrogations sur la paranoïa et la violence du monde moderne."

Je suis particulièrement attirée par ce genre de récit ancré dans un univers un peu absurde mais néanmoins très réaliste. J'avais d'ailleurs craqué il y a peu pour l'excellent Épépé de Ferenc Karinthy et Monsieur K. libéré de Matéi Visniec, évoquant tous les deux un univers un peu kafkaïen, déconcertant, frôlant le ridicule de situation, et dans lequel on a pourtant bien nos repères, et tout comme avec ces deux romans, je n'ai pas été déçue ici !

L'auteur, Peter Terrin, excelle dans la description du quotidien très ennuyeux de nos gardiens, sans pour autant nous éclabousser de cet ennui.
"... on exige d'un gardien quelque chose d'inhumain : ne rien faire, patienter et rester sur le qui-vive. Tâche presque impossible."
Au contraire, ce quotidien est presque passionnant dans son absurdité, fascinant en tout cas. J'ai particulièrement aimé le personnage de Harry, tout dévoué à sa cause de gardien, réglant son existence comme une horloge, donnant du sens à chacun de ses actes. J'ai été fascinée par ses espoirs, ses ambitions, sa foi, son obéissance aveugle malgré l'absurdité de la situation et le contexte insensé dans lequel nos gardiens se trouvent.
J'ai aimé cette image qui nous renvoie à nous aussi, à nos vies, au sens qu'on lui donne, à ce qu'on peut s'imposer pour une cause qui n'aurait de sens que pour nous.

"Je suis impressionné de voir comment sans crier gare, de temps à autre, il se laisse tomber de nouveau en avant pour enchaîner quinze pompes. Comme d'habitude, il rayonne de ce flegme imperturbable de qui vit en fonction du but simple, univoque, qu'il s'est lui-même fixé, ou qu'il a fait sien. Et qui ne met plus en doute l'existence qui en découle. Son dévouement semble reposer sur la sagesse."

C'est un récit qui est loin d'être monotone malgré ses apparences, on est toujours sur le qui-vive nous aussi, à essayer de comprendre ce qui se passe exactement dans ce monde, à observer les comportements des gardiens et leur évolution, à cogiter avec eux.
J'ai beaucoup aimé aussi l'évolution de l'intrigue, avec l'arrivée du troisième gardien, qui amène ce récit au sommet de l'absurde de façon magistrale et totalement inattendue, avec un certain suspense dans le dénouement du récit.

Le style est quant à lui précis, fluide et savoureux. C'est un récit qui tient en haleine sans pour autant qu'il soit mouvementé. On est pris par le quotidien de nos gardiens dont l'auteur parvient à bien communiquer les tourments et leur raison d'être. J'ai beaucoup aimé le soin que l'auteur portait à ses descriptions, avec un souci du détail patient, permettant à notre imagination de donner corps au récit qui se déroule :
"Claudia a un corps gigantesque, rond et relativement bien en chair.[...] On pourrait dire qu'elle se dandine, mais c'est là une illusion d'optique. Ce qu'on perçoit, c'est l'inertie de la masse mise en branle par la poussée des hanches."

Une découverte surprenante côté littérature belge d'expression néerlandaise. 

L'auteur
Peter Terrin, né à Tielt en 1968, est un écrivain belge d'expression néerlandaise. Il est l'auteur de deux recueils de nouvelles et de cinq romans. Le gardien est son premier grand succès international, traduit en une douzaine de langues.

Intègre le  
Belgique => 8/28

10 commentaires:

  1. Alors ça pour une découverte, c'en est une ! Come toi, la petite phrase de fin de résumé me tente terriblement, surtout associée au fait que l'auteur soit belge : ça promet. Et dire que j'ai eu "Epépé" entre les mains à la bib' la semaine dernière et que je l'ai reposé (mais noté sur ma LAL)... Je ne sais pas de quand date "Le gardien", mais je suis certaine de n'en avoir jamais entendu parler : je vais de ce pas interroger les catalogues de mes bibliothèques favorites. Merci pour cette trouvaille !

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    1. Aaah "Epépé", quelle erreur de l'avoir reposé !!! :-D Enfin je dis ça mais il était sur ma LAL des mois malgré plusieurs occasions d'emprunt.;-) Le moment où tu choisiras de t'y plonger sera le bon, et j'ose croire que ce sera sans regret.
      Quant au "Gardien", il date de la rentrée littéraire 2013. Il est un peu passé inaperçu dans le lot je pense, mais en même temps, je comprends que ce ne soit pas le genre de romans sur lequel l'éditeur miserait tout. Il faut aimer ce genre de romans un peu OLNI. Heureusement qu'il y a les bib' pour nous rappeler l'existence de ces livres qui valent le détour même s'ils ne bénéficient pas de la même publicité que d'autres. Pour la petite anecdote, j'ai lu ce livre en pensant tout le long que son auteur était hollandais. C'est en rédigeant mon billet que j'ai découvert qu'il était belge.:-)

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  2. Comme Sandrine : je suis cuite! Les belges sont forts sont le genre, regarde Quiriny!
    Je ne peux accéder au site de ma bibli, donc j'ignore si ce bouquin y est, grr!

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    1. Oui, je trouve aussi que les Belges ne manquent pas de ressources. Il faudrait d'ailleurs que je creuse davantage par là côté litté ! (mais bon, 2015, c'est mort...^^)

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  3. Bon là, clairement, tu me tentes, même si je trouve la couverture affreuse. Un vrai repoussoir !

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    1. Haha, j'avoue que je ne sais vraiment pas ce qui m'a attirée vers ce livre. La couverture a quand même ce quelque chose d'intrigant (cette série de chiffres, quand même^^) qui a dû prendre le contrôle de ma main... et puis après, j'étais ferrée.;-)

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  4. Encore un roman qui pourrait bien me plaire. j'aime l'absurde quand il est = à réel² !

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    1. Oui, je pense que ça pourrait être dans ton créneau. C'est assez prenant comme intrigue mine de rien.:-)

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  5. Je connaissais pas du tout mais comme toute littérature étrangère ça m'intéresse bien. Mais après je suis d'accord la couverture n'est pas très alléchante ^^

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    1. Elle rend mieux en vrai, elle fait plus sobre, plus quelconque même (enfin de mémoire).;-) Sinon côté littérature étrangère, je pense très peu aux Belges, mais visiblement, il y a du bon par là-bas.^^

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