BOOK TRIPS

AUTEURS ET THÈMES PAR PAYS

mercredi 7 septembre 2016

LA NUIT AVEUGLANTE


LA NUIT AVEUGLANTE

Un livre que j'ai découvert par hasard sur la table de ma bib', au milieu d'une sélection d'ouvrages correspondant à la thématique : "Vous n'avez jamais lu ça ! Romans ubuesques, surréalistes, extrêmes, alternatifs, géniaux : vous n'en croirez pas vos yeux..."

La quatrième de couv' m'a intriguée. Quelque chose dans ses lignes m'a attirée, je ne sais pas, la thématique du désespoir, ou ressentir le désespoir de cet auteur à travers ce livre.
"J'ai perdu l'habitude d'avoir peur dans le noir, et je ne crains jamais de perdre ma route. Tous les chemins mènent à mon désespoir."
Le résumé aussi m'a intriguée : "L'histoire d'un jeune homme qui, n'arrivant plus à ôter un affreux masque de carnaval, doit s'isoler du monde."
Et puis l'auteur, qui me semblait être tombé dans l'oubli alors qu'il avait quelque chose d'intéressant et de peu commun, m'a également intriguée !

Les premières lignes m'ont décidée : 
"Il faut pourtant que je me mette à écrire ces mémoires. Des fois que le bon Dieu voudrait me rappeler à lui, comme on dit : mais je n'y crois guère. Depuis quarante ans qu'il m'a laissé tomber sur sa terre, depuis vingt-deux ans que s'est passé l'événement, il a toujours été sourd à mes plaintes, à mes menaces. Tous les moyens m'ont été bons - je veux dire mauvais - pour essayer de me détruire. Rien à faire ! Au fond, pour être juste - il aime, paraît-il, qu'on soit juste ! - je crois qu'il a peur de moi. Il a peur de se trouver un beau jour nez à nez avec le visage qu'il m'a collé sur la figure.
Le Jugement, avant d'être expédié en Enfer - car je ne me fais aucune illusion - ne doit pas être long; mais aussi bref qu'il soit, on est obligé de rester au moins un quart de seconde face avec Lui."

Voilà ! Du mystère, l'humour du désespoir, une pointe de cynisme, une certaine lucidité de celle qui n'attend plus rien de la vie, une écriture sobre mais tout en finesse, agréable, évocatrice, les apartés du narrateur, son sens de l'autodérision, ça me plaisait.

Ce roman relate une histoire assez triste et tragique à sa manière, et parfois tragiquement drôle aussi, portée par une écriture aux qualités littéraires indéniables.
Profitant de son journal dans lequel il rédige ses mémoires, le narrateur évoque par moment ses réflexions sur le travail fastidieux de l'écrivain et la difficulté qu'il a à décrire le plus justement ses états d'âme. J'ai trouvé amusant ces passages dans lesquels il jugeait son journal, s'excusant de la médiocrité de ses efforts ou se satisfaisant au contraire de s'en être bien tiré.

"Je me suis embarqué dans une tâche qui dépasse mes forces. Le métier d'écrivain s'apprend. Le métier de lecteur aussi, bien qu'il soit plus difficile. Vouloir mêler des réflexions à ce qu'on décrit, tirer des conséquences, des symboles, de ce qu'on a vu, cela dépasse les forces d'un amateur. [...] et je n'aime pas du tout ce récit. C'est pénible que d'écrire pour essayer d'intéresser les autres; et c'est à cette souffrance, je crois, que je vois que je suis devenu, par désoeuvrement, légèreté, besoin de me rendre intéressant, comme tous les autres, d'ailleurs, un véritable écrivain."

Il expérimente diverses façons de restituer son quotidien dans son journal, passant par exemple de la première personne à la troisième personne. Au fur et à mesure de son récit, les frontières entre la réalité, ce qu'il écrit, et ce qu'il vit ou croit vivre se brouillent de façon presque imperceptible, rendant ce récit énigmatique, envoûtant et déroutant, et toujours aussi tragique et drôle à la fois.

Mon bémol, c'est le côté monologue du journal, un petit côté Robinson Crusoé. Au bout d'un moment, on se lasse un peu d'être seul avec ce personnage, ses hallucinations et ses élucubrations. 

Un roman très étrange au final, aussi bien subjuguant que déconcertant, dont je ne saurais finalement trop quoi penser (surtout après avoir laissé 7 ou 8 semaines passer). Il me restera l'impression d'avoir erré dans la solitude d'un être accablé par une tragique malédiction, qui sombre peu à peu dans une folie touchante, ou la côtoie même dès le départ à plein temps, avec des pointes de lucidité ici et là, et des observations très justes sur la vie, l'être humain...

"Mon Dieu, que la figure humaine est laide ! Plate, sans poils et avec, toujours, ce désir d'exprimer quelque chose - n'importe quoi."

L'auteur
Homme du midi, auteur d'un lyrisme bucolique et noir, André de Richaud (1909-1966) vécut écartelé entre gloire et misère, pris au piège de la solitude et de ses désillusions, dans un état de deuil intérieur qu'il a passé sa vie à réfuter et à nourrir.

7 commentaires:

  1. Ho là! C'est quoi ce truc, me dis-je...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Hé bien, je te croyais plus curieuse et aventurière.;-)

      Supprimer
    2. Je le suis, mais avec une PAL, et puis ça dépend de la bibli.

      Supprimer
    3. Mouhaha, il est à la bibli (j'avais l'impression floue d'avoir déjà entendu parler de ce bouquin)(donc je suis cuite)

      Supprimer
    4. Ceci dit, je ne garantis pas que tu y trouves ton compte.;-)

      Supprimer
  2. Bon, bon, bon... ça semble vraiment original mais cet argument n'est pas suffisant pour me décider.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est un roman particulier, c'est vrai, une curiosité qui ne correspondra certainement pas à tous. Je ne le recommanderais pas chaudement mais je ne découragerais personne de s'y tâter.:-)

      Supprimer

Merci pour votre petit mot. Les commentaires sont modérés par défaut, mais j'y réponds toujours.