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lundi 31 octobre 2016

MANUEL D'EXIL : COMMENT RÉUSSIR SON EXIL EN TRENTE-CINQ LEÇONS


MANUEL D'EXIL
               COMMENT RÉUSSIR SON EXIL 
               EN TRENTE-CINQ LEÇONS

Quand j'ai repéré cet ouvrage chez Jérôme, il me le fallait de suite ! La thématique de l'exil me touche et me parle. Je trouve ça bouleversant ces hommes et ces femmes obligés de quitter leur patrie pour diverses raisons, politiques souvent, et qui doivent s'adapter et refaire leur vie dans un pays quasi inconnu, où le choc des cultures peut être violent, et où l'on doit tenter, dans un courage désespéré, de faire taire sa tristesse d'apatride et de survivre la plupart du temps.

Velibor Colic en parle bien, et pour cause, il est passé par là :
"... des hommes perdus depuis longtemps, peut-être depuis toujours, entre les diverses administrations et les frontières, entre le vrai monde et ce sous-monde des citoyens de seconde classe, sans papiers, sans visage et sans espoir."

" - Les gens comme moi, me dit-il, sont faits de chair et de sang, de quelques litres d'eau, d'un peu de calcium et d'une fibre miraculeuse appelée courage."

"C'est une partie, pensé-je, et seulement une partie de notre vie que nous passons dans le temps présent. Pour le reste nous sommes ailleurs, dans les ténèbres denses de notre mémoire."

"Je sais que mon salut, ma thérapie ne doit être qu'une seule chose : l'écriture.
Il me faut apprendre le plus rapidement possible le français. Ainsi ma douleur restera à jamais dans ma langue maternelle."

J'ai été assez impressionnée par son parcours qui commençait plutôt mal. Après avoir déserté l'armée bosniaque en 1992, il débarque à Rennes à 28 ans, dans un foyer pour réfugiés regroupant des paumés et miséreux de toute sorte, sans argent ni amis, et ne parlant pas le français. Ses conditions de vie lui paraissent humiliantes, lui qui a un certain niveau d'éducation, une culture artistique solide et qui a déjà eu un prix littéraire en Yougoslavie. L'alcool l'aide à tenir et malgré les épreuves et la misère, il s'accroche à son rêve d'écrivain. Et tant mieux ! Je suis tellement contente pour lui qu'il s'en soit sorti et qu'il soit parvenu à réaliser son rêve, jusqu'à écrire directement en français et se faire éditer en France. Fantastique, tout de même !

Concernant cet ouvrage en particulier, je dois dire qu'au début, j'ai été un peu déroutée car je m'attendais à un récit plein de dérision, plutôt dans la veine humoristique et moqueuse, façon les déboires d'un réfugié mais racontés avec ironie et autodérision, avec moult conseils loufoques, ce genre-là, quoi. Le titre m'aura mise sur la mauvaise voie.
En réalité, c'est un récit qui aborde le sujet de façon plutôt "sérieuse", sans second degré disons, de manière assez factuelle. 35 chapitres où l'auteur raconte ses premières années d'exil, de 1992 à 2000, où l'on sent un peu de ressentiment, de rage, de mélancolie et de tristesse, comme si l'auteur, malgré sa réussite, était accidenté à vie et ne se remettra jamais d'avoir perdu sa patrie. Bon, il faut dire qu'il en a quand même bavé et que sa vie n'était pas très enviable avant d'en arriver à une vie à peu près correcte, où il peut se permettre de vivre de son rêve, l'écriture.

Il y a quelque chose de définitivement tragique dans son récit. J'y ai ressenti une certaine solitude de l'âme. Comme si quelque chose s'était brisée en lui. J'ai apprécié d'ailleurs cette mise à nue de son âme, sans tricher, cette franchise dans la description des conditions des réfugiés et de ses états d'âme.
L'humour et la fantaisie sont au rendez-vous malgré tout, mais on sent une certaine amertume et lassitude tout de même. La présentation de l'éditeur parle "d'ironie féroce et tendre", mais je dirais plus féroce que tendre. Il y a des passages qui m'auront en tout cas bien fait sourire.

"Dans ma chambre il fait tellement froid qu'en prenant ma douche je garde mes chaussettes.
Pour me laver les dents je mets si peu de dentifrice que cela ressemble à un nettoyage à sec. Mon déodorant est Eau Parisienne, c'est-à-dire de l'eau du robinet, et mon parfum est belge. Avant de sortir, je m'asperge de quelques gouttes de bière derrière les oreilles.
Je dresse un inventaire :
Je m'habille chez Abbé & Pierre, je suis PDF (plusieurs domiciles fixes) ou QDF (quelques domiciles fixes), j'ai tout le temps faim et froid, je ne parle pas bien le français, dans mon pays c'est encore la guerre, mais il me semble que je suis toujours vivant."

"- Voilà une autre histoire vraie, j'ajoute, pendant la guerre l'armée serbe entra dans une maison bosniaque. Ils trouvèrent juste une grand-mère assise près de la fenêtre. "Écoute la vieille, dit leur commandant, dis-moi rapidement où est ton fils." Et la mamie : "Où est ton fils, où est ton fils, où est ton fils... Ce n'est pas assez rapide ?"

Et d'autres passages dont la justesse des réflexions est admirable.

"- Il y a tellement de choses plus importantes dans la vie que l'argent, rétorqué-je, mais il faut tellement d'argent pour les acquérir."

"Pour écrire après une guerre, il faut croire en la littérature.
Croire que l'écriture peut remettre en branle des mécanismes qu'on a mis au rebut lors du recours aux armes.
Qu'elle peut ramener l'horreur, incompréhensible et inexplicable, à la mesure humaine."

J'ai moins accroché, par contre, à la partie où il dérive en Europe, de façon assez inexpliquée. Budapest, Prague, l'Italie, une vie un peu décousue, où la dépression n'est pas loin, l'alcool l'aidant toujours à tenir, ainsi que de brèves aventures féminines sans réel intérêt, puis retour à Strasbourg, où il semble enfin voir la lumière au bout du tunnel et son avenir d'écrivain commence à se préciser.
Dans l'ensemble, ceci dit, ça reste un formidable témoignage d'un exilé, finalement plein d'espoir.

L'auteur
Velibor Colic est né en 1964 dans une petit ville de Bosnie aujourd'hui détruite. Enrôlé dans l'armée bosniaque, il déserte en mai 1992, s'échappe et se réfugie en France, où il vit désormais. Après plusieurs ouvrages écrits en serbo-croate, il écrit maintenant directement en français.

16 commentaires:

  1. J'hésite, finalement... Pourtant un livre d'actualité, non?

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    1. Oui, c'est une thématique toujours d'actualité, l'exil, les réfugiés... Après les contextes sont différents d'un pays à l'autre, d'une culture à l'autre, mais c'est la même détresse et le même courage qui les animent tous.

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  2. Un formidable témoignage, oui. Et il faut que tu lises Ederlezi et Archange pour découvrir le Colic "écrivain", c'est un vraiment un bonhomme à part.

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    1. C'est sûr que maintenant, il faut que je tente un de ses romans !

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  3. Je ne connais pas encore Colic mais je crois que je préfèrerais le découvrir avec un de ses romans...

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    1. D'habitude, pour découvrir un auteur, je préfère aussi commencer par un roman avant de poursuivre éventuellement par son autobio, mais ça s'est décidé autrement pour cette fois-ci.:-) Et sans regret.

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  4. j'avais noté, ton billet me rend un peu plus hésitante...

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    1. Ah, on ne rigole pas à chaque page (comme je m'y attendais) mais ce récit-témoignage a ce que quelque chose de touchant qui ne se puise qu'au fond de l'âme. Ça vaut le détour rien que pour ça.;-)

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  5. Trop tard pour le faire lire dans la jungle de Calais, elle a disparu...pour quelque temps...

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    1. En même temps, je ne suis pas sûre qu'ils avaient besoin d'un manuel d'exil...

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  6. La thématique de l'exil me touche aussi énormément. Je suis spontanément attirée par ces lectures...
    (je vois d'ailleurs qu'il y a "Gouverneurs de la rosée" dans tes lectures communes. Ce livre est mon coup de cœur 2016 avec "Petit pays")

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    1. Ooh il ne faut pas que je tarde avec "Gouverneurs de la rosée", je ne sais pas si Jérôme aura la patience de m'attendre.:-) Et "Petit pays" est dans ma LAL urgente ! Très curieuse de découvrir ce livre encensé par tous, et la thématique me parle énormément !

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  7. Tu comptes t'exiler?
    Ce ne doit pas être facile, en effet !

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  8. Là, tu me tentes beaucoup. Par chance, je n'ai pas a eu à vivre (encore) ce type de situation, en espérant n'avoir jamais à les vivre. Bon, j'ai vécu ailleurs que dans mon pays mais c'était ultra volontairement.
    Hélas, il semble que ce type de sujet a toujours été et sera toujours d'actualité...

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    1. Oui, on ne mesure pas notre chance d'avoir le choix, de ne pas avoir s'exiler en terre inconnue, repartir de zéro et refaire sa vie, coupé des siens. Quand on sait qu'on peut revenir chez soi à tout instant, ou qu'on n'est que de passage, ça change tout.:-)

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