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vendredi 30 décembre 2022

THE SWEETNESS OF WATER


THE SWEETNESS OF WATER

( LA DOUCEUR DE L'EAU )

Un titre rédhibitoire pour moi hors contexte, sur lequel je ne me serais jamais arrêtée si je n'avais repéré chez Keisha que ce roman traitait en fait des dernières heures de la guerre de Sécession, du lendemain au réveil même, alors que l'émancipation des esclaves est proclamée et que les soldats reviennent du front. C'est une période de l'Histoire dont il n'y a pas grand-chose en fiction. On lit souvent sur la guerre, ou la période juste avant (et ça m'intéresse tout autant), mais rarement sur la période juste après la guerre, qui est pourtant charnière, ou alors c'est principalement le point de vue des Sudistes qui est exprimé. C'est une réflexion qui m'avait déjà traversé l'esprit en lisant l'excellent Jubilee de Margaret Walker, un des rares romans que j'ai lus qui traite justement de cette période après-guerre du point de vue des Noirs. J'étais donc ravie de cette trouvaille inespérée.

Prentiss et Landry, deux frères noirs tout fraîchement affranchis, errent depuis quelques jours autour du domaine de leur ancien maître, cherchant en vain de quoi subvenir à leurs besoins. Alors qu'ils s'apprêtent à passer la nuit dans la forêt non loin, ils sont découverts par George Walker, un fermier blanc des environs. Celui-ci leur propose de les aider, lui et sa femme Isabelle, à cultiver leurs terres, contre rémunération bien sûr. Si ce deal leur convient à tous et qu'il se tisse même entre eux des liens inattendus de confiance au fil des semaines, il n'est pas du tout du goût de leur entourage qui digère encore mal la défaite du Sud et intègre encore moins bien la notion de liberté associée aux Noirs. Les Walker aspirent à une vie tranquille, déconnectée de ces considérations raciales, Prentiss et Landry à profiter de leurs nouveaux privilèges d'hommes libres, mais la communauté géorgienne d'Old Ox les laissera-t-elle agir à leur guise ?

J'ai été assez impressionnée par le style de l'auteur, Nathan Harris, qui, à mon sens, a la maturité des grands classiques américains du début du 20e siècle. Je m'attendais à une écriture plus "moderne" pour un jeune auteur noir américain de nos jours, mais il y a quelque chose d'assez solennel et profond dans le ton et de contemplatif dans l'ambiance, qui contraste un peu avec notre époque. Tout est exprimé avec délicatesse et élégance, mais ça n'en restitue pas moins avec force ce que ressentent et traversent les personnages émotionnellement. 
Il y a une distanciation étrange dans la façon de narrer les événements qui se déroulent comme un rêve semi-éveillé, mais il y a en même temps une force attractive étonnante, presque hypnotique dans son style narratif. Nathan Harris m'a fait l'effet de ceux qu'on qualifie de "old soul".
Le rythme de ce roman est assez singulier aussi, mais pas déplaisant. Il y a des moments lents, vraiment dans la veine du contemplatif, et puis subitement ça s'accélère, c'est tendu, et puis, sans transition, on replonge dans cette sorte de mélancolie, et de nouveau, ça s'accélère. Étonnamment, on se laisse porter sans haut-le-coeur, l'ensemble restant fluide.

L'auteur a très bien rendu l'esprit et l'ambiance du Sud juste après la guerre, de façon très réaliste, nous laissant percevoir avec finesse les chamboulements de cette période. La majorité des Sudistes vivent mal leur défaite face au Nord et refusent une société égalitaire intégrant ceux qu'ils considèrent toujours comme des esclaves, et les Noirs, libres mais abandonnés à leur sort dans une société qui leur reste inhospitalière, traînent leur colère et leur rancoeur vis-à-vis du passé, mais sont portés malgré tout par leurs espoirs dans un avenir meilleur. Tout un ensemble de bouleversements qui préfigurent ce qui va suivre dans les décennies à venir, jusqu'à aujourd'hui, concernant les problèmes raciaux aux États-Unis. 

Tous les personnages sont assez uniques en leur genre et ne sont jamais là où on les attend, à part les typiques racistes de la communauté dont le portrait est plus cliché (mais réaliste, hélas). Les Walker détonnent vraiment par rapport à eux, à travers leur incroyable ouverture d'esprit, leur absence totale de racisme, leur quasi-déni de la réalité de leur époque. C'est peut-être le côté fictif qui m'a paru le moins crédible, car le trait est très poussé. Malgré tout, l'histoire fonctionne bien sur cette base.
Je pensais aussi que ce roman se focaliserait principalement sur les personnages noirs, et même si Prentiss et Landry sont pivots dans l'intrigue, il m'a semblé que c'était finalement davantage l'histoire des Walker que des deux frères noirs. Je trouve ça intéressant comme démarche chez un auteur noir américain.

Quant à la fin, je l'ai trouvée attention mini-spoiler un peu trop ouverte par rapport à l'avenir des personnages. On est un peu lâchés comme ça, abandonnés à notre imagination. Tout se termine attention mini-spoiler sur des rêves et des espoirs, sans grandes illusions et avec la certitude que l'avenir ne va pas être simple. C'est peut-être juste le reflet de l'atmosphère et la réalité de l'époque, mais en roman, ça m'a un peu laissée sur ma faim. 

Malgré cette toute petite réserve, j'ai vraiment beaucoup aimé ce livre. Vraiment un très bon auteur ce Nathan Harris ! À suivre de près !

LC avec Stéphanie et Sarah.

L'auteur
Nathan Harris vit à Austin, Texas. À tout juste 29 ans, il publie son premier roman, La Douceur de l'eau, largement salué aux États-Unis.

16 commentaires:

  1. J'ai beaucoup aimé ce roman moi aussi et l'auteur est sympa (vu au festival America). Je partage ta frustration sur la fin trop ouverte, mais c'est peu par rapport à l'ensemble.

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    1. Je suis tellement verte de l'avoir raté au festival America ! Enfin, de ne pas avoir pu y aller tout court.:( Pour la fin, oui, rien de vraiment frustrant. C'est un choix de l'auteur que je respecte et qui reste cohérent.

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  2. Et bin, quand on voit le racisme aujourd'hui dans les etats du sud...cela laisse un peu sceptique....y'a pas de reves a avoir fin du 19e siecle....

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    1. C'est un peu le souci à l'époque. Ils ont aboli l'esclavage (très bien) mais sans anticiper les conséquences, ni préparer le terrain. Comme si les mentalités racistes allaient évoluer d'un coup de baguette magique, ou que les Noirs, une fois affranchis, allaient tout naturellement trouver leur place dans la société.

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    2. Un peu trop d'idealiste.....meme...surtout que la chute de l'esclavagisme n'avait qu'un but capitaliste.....pas de liberte....

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    3. C'est bien le souci, et qui explique en partie la situation encore aujourd'hui.;) Personne ne s'est jamais vraiment préoccupé sincèrement du sort des Noirs.

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    4. cela restait toujours des paires de bras rentables.....

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  3. Depuis le Festival America, je lorgne dessus... enfin, ce n'est pas comme si je n'avais rien à lire en attendant ! :)

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    1. Haha, on vit la même chose. Je n'ai pas assez d'yeux pour lorgner sur tout ce qui me tente ! Ce serait déjà bien qu'ils se concentrent sur ce que j'ai déjà.^^

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  4. Une de mes plus belles lectures de l'année .

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    1. Pareil ! Je guette déjà le prochain de l'auteur. J'espère ne pas être déçue.

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  5. Je ne connais pas, mais d'après ce que tu en dis, ça pourrait me plaire.

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  6. Un roman superbe que j'ai pris le temps de déguster. Quelle écriture !

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    1. Oui, elle m'a vraiment marquée ! C'est avec plaisir que je lirai un autre roman de cet auteur.

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