traduit de l'anglais (Canada) par Daniel Grenier
C'est la couverture qui m'avait attirée en premier lieu chez Ingannmic. L'illustration est l'oeuvre de l'artiste nunavutoise Annie Pootoogook (1969-2016).
Un roman (enfin, recueil de nouvelles) inuit sur les Inuit, c'est toujours bon à noter si on s'intéresse quelque peu à cette thématique, mais j'étais assez partagée au début. Les histoires sur les Inuit sont souvent un peu tristes et glauques dans le fond, évoquant leur misère, leur mal-être et l'alcoolisme lié. Bref, il faut avoir envie d'y (re)plonger. Ceci dit, j'ai principalement lu sur les Inuit du Groenland et j'étais tout de même très intéressée par ces récits sur les Inuit du Canada par une autrice, Norma Dunning, elle-même Inuit. La fraîcheur et la modernité de l'illustration de la couverture laissaient par ailleurs présager une approche et un esprit assez différents de ce que j'avais lu sur le sujet jusqu'à présent.
Et là, en effet, très belle surprise ! Au programme, plein de tendresse bourrue, beaucoup de fraîcheur et d'humour, mais ça n'en est pas moins brut et cru. L'autrice ne minimise pas les problèmes (oui, il y a l'alcool, le tabac, la drogue), mais ça ne tourne pas qu'autour de ça. C'est la vie, avec ses côtés négatifs et positifs, mais aussi le quotidien, ses tracas et ses petits plaisirs, auxquels on s'identifie bien, même si on sent qu'on n'a pas tout à fait les mêmes repères. Je me suis régalée du ton des histoires. C'est vivant, vivifiant même, un peu gouailleur. C'est le ton de ceux qui n'ont rien à prouver, qui n'attendent rien de personne, qui ont vécu durement et qui veulent profiter de leur vie malgré tout.
J'ai beaucoup aimé qu'on ressente ce que les Inuit pensent des Blancs, de leur mode de vie et de ce qu'on leur a imposé (les pensionnats pour les enfants autochtones, l'assimilation forcée, l'adaptation (ou non) à la ville...). On ressent leur rancoeur et dédain et le fait qu'ils font avec tout en essayant de maintenir leur intégrité, leurs valeurs, leur communauté, leur individualité aussi, leur dignité, leurs traditions, coutumes et croyances. À ce propos, j'ai beaucoup aimé comment l'autrice intégrait la mythologie inuit à la réalité contemporaine dans certaines histoires. Je crois bien que c'est la première fois que je lis sur la cosmologie inuit !
Il y a un côté à la fois tragique et drôle dans cette retranscription de la réalité des Inuit et c'est franchement savoureux à lire. C'est narré avec une belle verve, une vraie fraîcheur, avec vie et drôlerie. C'est cru, sans détours, franc du collier, moqueur et plein d'autodérision à la fois. Norma Dunning n'hésite pas non plus à s'attaquer aux stéréotypes racistes visant les Inuit. J'ai eu l'impression ici de les voir s'exprimer, exister et vivre sous leurs vrais traits et de mieux comprendre enfin ce que ce que signifiait être Inuit.
Le gros bonus plus, c'est que c'est traduit en français québécois ! Ça apporte encore une autre touche enthousiasmante et puis ça ancre bien le texte au Canada. La note du traducteur en fin de livre sur le défi (et l'honneur) à traduire une écrivaine autochtone était aussi très intéressante. Un extrait :
"Est-il possible de décoloniser la traduction littéraire ? La question est immense, mais la réponse se trouve peut-être dans de petits détails, comme celui de consciemment détourner certaines recommandations orthographiques du Bureau de la traduction et de coller à l'orthographe préconisée par l'autrice : un.e Inuk, des Inuit, etc. De petits détails qui font une grande différence."
Pour une des rares fois, j'ai savouré chaque nouvelle, sans ennui, avec amusement. Je les ai enchaînées sans sentiment de gavage et pourtant, il y a tout de même une petite dizaine d'histoires.
Mon avis Goodreads pour résumer :
"Le meilleur livre sur les Inuit, écrit par une Inuk, que j'ai jamais lu !"
J'ai été profondément émue par ces lignes de l'autrice dans ses remerciements à l'éditeur et au traducteur pour avoir donné une nouvelle vie à son livre, une nouvelle chance, une nouvelle façon d'habiter le monde et d'avoir ainsi accompagné les Inuit dans leur lutte : "Mon coeur déborde de larmes de joie. Ma'na N."
Extraits
"[...] je lui répondais toujours que c'était une coupe traditionnelle. C'est pour mon peuple que je la laisse pousser. Voilà comment s'en sortait un Inuk. En disant aux Blancs que ceci ou ça, c'était traditionnel, obligatoire, incontournable si on voulait demeurer en mode esquimau."
"C'est un mot nouveau pour moi, ça, le "temps". Ici, tout le monde est à l'heure, tout le monde est "à temps". À la maison, c'est le ciel qui nous disait quoi faire et quand le faire. Je hoche la tête en essayant de suivre leurs règles."
L'autrice
Norma Dunning, née en 1959 au Québec, est une autrice, chercheure et professeure inuit. À l'âge de 50 ans, en 2009, elle s'inscrit à l'Université d'Alberta, où elle fera toutes ses études. Elle développe ses deux centres d'intérêts : la recherche en études autochtones et en sciences de l'éducation et la création littéraire. Elle est aujourd'hui professeure à l'Université d'Alberta à Edmonton. Depuis 2018, elle partage sa vie entre ses missions professionnelles et son oeuvre littéraire. Acclamé par la critique, Annie Muktuk est son premier livre.
Bravo pour cette belle proposition. Juste au moment où je me disais "-Tiens, il n'y a pas de nouvelles du Canada", deux recueils (dont le tiens) ont été ajouté à la liste. Effectivement les textes sur les Inuit sont rarement joyeux (du fait de leur histoire). Cet opus prouve donc qu'on peut aborder les sujets difficiles avec un brin d'humour et de légèreté.
RépondreSupprimerOui, l'humour est aussi une arme redoutable et efficace pour faire passer des messages.:) Contente d'avoir pu contribuer aux nouvelles du Canada !^^
SupprimerIl est sur ma PAL mais je n'avais pas réalisé qu'il s'agissait de nouvelles ! Comme la fin du mois approche, ce ne sera pas une lecture pour cette édition du challenge, mais je le lirai avec plaisir plus tard.
RépondreSupprimerJe l'avais noté aussi au départ en pensant que c'était un roman, mais bien que ce recueil soit relativement court, les nouvelles sont assez consistantes pour qu'on ait le temps de bien s'y installer.
SupprimerForcément intéressant, je vois ton enthousiasme (mais snif rien à la bibli)
RépondreSupprimerÀ leur suggérer ? J'avoue que je n'espérais pas trouver ce livre dans mes biblis, mais si, yes !:)
SupprimerOh oui les inuits...soupir en pensant a Jorn Riel...il va me manquer...snif snif...comme tu dis c'est souvent eprouvant leur histoire (tu oublies le probleme de sniffage, soit l'essence ou la colle).....mais lala un renouveau on peut ecrire..en tout cas tu me donnes envie de le lire et aussi me rebaigner dans le langage quebecois...il a tout pour me plaire quoi...;)
RépondreSupprimerMais oui, franchement n'hésite pas vu ton attachement au sujet !
Supprimerça a de quoi charmer, je comprends ton enthousiasme...
RépondreSupprimerOui, ça a été une belle surprise.
SupprimerCe billet me ravit, j'y retrouve tout ce qui avait fait le sel de ma lecture. De la verve, oui, et un humour spontané, sans complexe, qui fait beaucoup de bien !
RépondreSupprimer"Humour spontané, sans complexe", oui, c'est exactement ça. On en redemande même.^^
SupprimerJ'ai tellement, mais tellement adoré ce recueil. Tu me rappelles un excellent souvenir de lecture. Pour info, j'ai lu récemment Tainna, son tout dernier recueil. Plus inégal qu'Annie Muktuk, mais tout aussi revigorant!
RépondreSupprimerAh mais quelle excellente nouvelle que la parution de ce dernier recueil ! Je me réjouis d'avance de cette lecture !
SupprimerMarie-Claude avait beaucoup aimé, j'espère le croiser en bibliothèque !
RépondreSupprimerJe l'espère aussi ! Ce recueil mérite vraiment d'être connu et lu.
SupprimerLe thème ne m'intéresse pas, mais on a parfois de belles surprises...
RépondreSupprimerC'en est une de belle taille.:)
SupprimerLe ton a l'air savoureux à souhait et de permettre de mieux connaître les Inuits.
RépondreSupprimerOui, ce serait presque dommage de se priver d'une aussi belle opportunité.:)
SupprimerBon, toujours pas fan du format nouvelles (et pourtant j'en ai dans ma PAL !) Mais j'avoue que là, tu me tentes... Le sujet, la verve...
RépondreSupprimerC'est un recueil qui vaut franchement le détour. Je ne suis pas très nouvelles non plus à la base, mais je le recommande chaudement.
SupprimerJe l'avais repéré chez Ingannmic puis oublié... Merci pour ce rappel !
RépondreSupprimerC'est l'avantage (ou l'inconvénient^^) des blogs. On peut y retrouver des titres notés puis oubliés quelques semaines ou mois plus tard.:)
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