traduit de l'espagnol (Venezuela) par Alexandra Carrasco
Extrait de la quatrième de couv :
"En 2018, comme plus d'un million de ses compatriotes, une jeune Vénézuélienne fuit son pays ravagé par la crise économique. Exilée en Colombie, dans la banlieue de Bogotá, la voici dans la peau de l'étranger démuni et rejeté. S'identifiant au personnage K du Château, dans un monde où rien ne lui est rassurant ni compréhensible, c'est à travers des lettres adressées à Kafka qu'elle parvient à dépasser son expérience."
C'est le sujet qui m'a attirée d'emblée, celui de l'exil, encore une thématique qui me parle, et j'étais d'autant plus intéressée qu'il touchait cette fois à ce qu'on a appelé l'une des pires crises migratoires d'Amérique du Sud sans toutefois que sa médiatisation ne m'ait franchement marquée, peut-être trop éloignée géographiquement. Sur la diaspora vénézuélienne, j'avais beaucoup à apprendre et ce court roman m'en a donné l'occasion. Je l'ai saisie.
J'étais très curieuse aussi de cette correspondance (à sens unique) avec Kafka, qui donnait encore une autre dimension à ce récit. La narratrice, alter ego de l'autrice, Vaitiere Rojas Manrique, nous livre en effet son histoire sous la forme d'un journal en le choisissant comme confident privilégié et compagnon d'infortune. On aurait pu craindre un récit au ton sérieux et furieusement intellectuel, mais c'est le côté absurde et un peu imprévisible qui prévaut.
Le premier chapitre s'ouvre ainsi :
"Franz, ami inespéré,Je n'entamerai pas cette correspondance par d'hypocrites formules de politesse. Je serai sincère dès la première ligne : j'ai du mal à m'intéresser aux autres. [...] À présent tout a changé, les rares points d'appui et autres combines que j'avais pour survivre ont disparu, partis en sucette.Je passe donc les comment vas-tu."
Ça m'a beaucoup plu. J'étais ferrée d'emblée ! J'ai tout de suite adhéré au ton décontracté, pas trop formel, et à l'écriture d'une belle maîtrise, fluide et vivante qui, sous sa légèreté apparente, n'en cache pas moins l'amertume, le sentiment de dérive et l'exil intime qui affectent la narratrice.
Tout en racontant son quotidien compliqué en Colombie, elle revient sur la situation de ces dernières années au Venezuela, levant le voile sur le drame traversé par son pays touché par une grave crise économique qui n'épargne que les membres du gouvernement et les militaires. Inflation, pénurie, pillages, des régions privées d'eau et d'électricité, des gens réduits à manger dans les poubelles, de nombreux morts dans les hôpitaux faute de médicaments et d'électricité... La faim et la misère ont poussé les Vénézuéliens qui le pouvaient à fuir ce pays pétrolier devenu pauvre et à tenter de survivre ailleurs pour offrir un avenir meilleur à leurs enfants. Une situation plus dramatique que je ne l'imaginais et que l'autrice nous partage par petites touches, sans pathos ni sans nous plomber tout le texte.
À travers son expérience, l'autrice évoque aussi le sort des migrants vénézuéliens en Colombie, confrontés à des conditions de vie très précaires, à la nécessité, au manque de tout et à la xénophobie quand ils sont repérés à leur accent.
J'ai vraiment beaucoup aimé, tout, le ton en particulier, plein de fraîcheur, avec une pointe d'autodérision par moment, ce qui était assez inattendu au vu de la thématique, et la franchise de l'autrice quand elle assène des vérités brutes, sans agressivité mais sans prendre de gants non plus. J'ai beaucoup aimé le personnage aussi, son côté un brin barré et fantaisiste. Ou est-ce l'expression d'une maladie nerveuse exacerbée par son exil ? Quoi qu'il en soit, elle adore les livres et la lecture, on s'est comprises.^^
Une très, très bonne pioche que ce roman vénézuélien ! Une autrice que je relirais bien volontiers.
Extrait
"Est-il égoïste de se sentir mal lorsqu'on vous réduit à une nationalité ? "Vous êtes vénézuélienne", me dit-on à tout bout de champ dès que j'ouvre mon clapet. Je ne suis pas vénézuélienne. Je suis un être humain doté d'une nationalité, oui ; mais je ne suis pas une nationalité. Cela me désespère qu'on me réduise à la faim, la misère, la pauvreté, le désarroi et les erreurs d'une nation à une période donnée de son histoire."
L'autrice
Vaitiere Rojas Manrique est née en 1989 à Táchira dans les Andes vénézuéliennes d'un père colombien et d'une mère vénézuélienne. Après des études en communication sociale, elle travaille comme journaliste, puis se consacre à l'écriture et à l'enseignement du français.
En 2018, elle émigre à Bogotá, en Colombie, et y travaille comme enseignante.
Tu parles comme la nuit a remporté le concours de romans de l'Université centrale à Bogotá en 2019.
Je sens bien que ça t'a plu? le côté A Kafka me fait un peu peur mais ... ça a l'air bien!!!
RépondreSupprimerRien à craindre côté Kafka, elle s'adresse juste à lui, mais le choix du confident n'est pas anodin, c'est sûr.:)
SupprimerJe ne suis pas une grande connaisseuse du Venezuela et de ses crises. J'aime ce que tu dis du ton de ce livre, une idée à noter pour l'année prochaine.
RépondreSupprimerOui, je lirais bien volontiers d'autres avis sur ce livre qui, à mon sens, mérite le détour.
SupprimerJ'aime beaucoup l'autodérision et le contexte est intéressant. Tu ne mentionnes pas trace de réalisme magique dans ton résumé donc ce livre devrait plaire à beaucoup de bloggeurs(es) que nous connaissons.
RépondreSupprimerNon, pas de réalisme magique (j'y suis allergique, comme beaucoup^^), mais c'est un roman qui ne manque pas de surprendre par d'autres aspects.:)
SupprimerLe thème m'intéresse aussi, et ce que tu dis du ton employé par l'autrice... Merci de cette découverte !
RépondreSupprimerJe suis très curieuse de ton avis si tu le lis !
SupprimerRavie de ton enthousiasme, et merci pour la participation ! Je me réjouis de voir autant de femmes à l'honneur pour cette édition du mois latino, dans laquelle le Venezuela se taille par ailleurs une place plus importante que d'habitude.
RépondreSupprimerAh eh bien je suis en phase avec les autres alors, sans qu'on se soit concertés pour cela.:)
SupprimerNous sommes en plein dans ce desastre....les consequences de cette migration a ses repercutions maintenant. Au perou certaines regions sont en couvre feu, en Equateur, l'armee est sortie recemment. Je soupconne Maduro d'avoir vide ses prisons notamment (je peux te conseiller de chercher sur le net "piñera et Cucuta")....au debut il y a eu vraiment des immigres comme elle. (au chili cela s'est vraiment bien passe)...puis apres....mais la faute au Chili aussi.
RépondreSupprimerBref tout un livre qui doit etre interessant....(mais bon il ne faut pas oublier le blocus americain sur le petrole venezuelien, maintenant il est termine, car Biden a besoin de petrole et Guado n'existe plus, le pauvre, un pantin de plus pour les USiens)...bref j'en aurais a ecrire le vivant en live....;)
Oui, c'est vrai que tu es bien placée pour connaître la réalité de la situation. On n'en parle vraiment pas ici. L'actualité est sur d'autres fronts. Ce livre est du coup une bonne porte d'entrée sur le sujet.
SupprimerBin disons que cela devient vraiment tragique....et cela aide l'extreme droite (ex: Milei) donc les autres infos ne passent pas chez nous....bref on espere une treve...D'ailleurs depuis l'ouverture et l'achat du petrole par les US, des venezuliens.nes retournent au pays
SupprimerLes populations souffrent toujours des magouilles politiques... On est presque anecdotique pour les politiciens...
SupprimerOh oui exactement.....et surtout pour les states, ici c'est l'arriere cours de leur beau patio.....bref....ps: juste un petit detail, au passage, les venezuliens.nes et les colombiens.nes ne s'apprecient pas....donc cela ne m'etonne pas que l'integration fut difficile pour elle....
SupprimerOui, ça m'a marquée dans son livre. J'ignorais cette animosité mutuelle. C'est historique ?
SupprimerToujours le probleme des frontieres......comme ici, la trination, perou, bolivie et chili, ne s'apprecie pas...et souvent en guerre.....mais je t'avouerais que cela change par ici....
SupprimerTu m'en apprends vraiment sur les relations tendues entre ces pays. 😮
Supprimerje te parle pas des bresiliens et des argentins...bref....tout n'est pas que love...;)
SupprimerVisiblement non.;)
SupprimerL'ouverture est prometteuse et je ne serai pas contre une rencontre avec cette jeune femme atypique en exil. Je le note, notamment pour son côté ironique.
RépondreSupprimerSi les premières phrases te plaisent, il y a de bonnes chances pour que la suite se passe tout aussi bien. :)
SupprimerUne belle découverte apparemment, mais ce ne sera pas pour moi pour le moment : ma PAL n'en veut plus !
RépondreSupprimerPas de souci. ;)
SupprimerNe connaissant pas grand-chose sur ce pays, le roman m'intéresse d'autant que j'apprécie les récits sous forme de journal.
RépondreSupprimerOh alors là, tu es servie.:)
Supprimeroh je le note ! tout me plaît
RépondreSupprimerJ'espère que tu l'apprécieras autant que moi à la lecture.;)
SupprimerC'est drôle cette aversion qui semble généralisée pour le réalisme magique. Moi je trouve qu'il introduit de la poésie, qu'il ouvre la porte à l'imagination, qu'il souligne soit en le durcissant, soit en l'humanisant, selon le cas, la dureté de la vie quotidienne et l'irruption de la violence.
RépondreSupprimerCeci dit j'aime aussi le réalisme et cette lecture me paraît intéressante parce que jusqu'à maintenant je ne sais de la crise économique du Vénézuéla que ce que j'ai lu dans les journaux.
C'est très vrai ce que tu dis sur le réalisme magique, mais ça ne m'étonne pas trop que tout le monde n'y trouve pas son compte. C'est assez voisin du fantastique, en plus étrange car plus proche du réel, mêlé à une pointe de fantaisie. On adhère ou non.:)
SupprimerOui, c'est toujours intéressant de lire directement les auteurs sur les problématiques liées à leur pays. Ça apporte un autre angle de vue.
Il me branche bien ce roman. Car comme toi, même si je suis au courant de la situation désastreuse du Vénézuela, j'ignorais tout de cette crise migratoire.
RépondreSupprimerOui, disons que les médias n'en parlent pas avec la même urgence ni le même désespoir que les populations concernées... D'où l'intérêt de certains romans qui éclairent mieux l'actualité que la presse parfois.:)
SupprimerJe vois qu'Electra, qui vient de publier son avis, l'a tout autant apprécié que toi!
RépondreSupprimerOoh il faudra que j'aille voir ça. Ce que tu dis me confirme en tout cas que je ne reçois plus les notifications de ses publications via Commafeed. Si tu ne m'en avais pas parlé, je n'en aurais rien su...
SupprimerElle a eu quelques soucis ces derniers temps avec sa mailing list. Je ne recevais plus non plus ses mails, maintenant ils arrivent à double :-) (bon, c'est mieux deux fois que pas du tout)
SupprimerAh moi c'est via un agrégateur de flux auquel j'intègre les blogs que je suis que je devrais avoir une notification, mais toujours rien, c'est étrange.
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