En cette rentrée littéraire aux éditions du Panseur, ce n'est pas sur Terres promises de Bénédicte Dupré La Tour que j'ai jeté mon dévolu (je compte bien le lire, cela dit) mais sur le dernier roman d'Isabelle Aupy dont j'avais adoré L'Homme qui n'aimait plus les chats. Sous ses airs naïfs, ce roman court alertait sur les dangers de ces dictatures sournoises qui s'appliquent à contrôler et asservir les gens par la manipulation du langage.
Ici, l'autrice renoue avec l'absurde pour une nouvelle satire sociale, mais sur un thème très différent, ce qui n'était pas pour me déplaire - même si j'avais particulièrement aimé cette intrigue autour des chats qui sont des chiens^^ - d'autant plus qu'il y était question d'un bateau et d'un capitaine (en plein dans le thème du book trip en mer donc^^), et que ce roman se présentait comme une allégorie du monde du travail, ce qui était doublement intéressant !
Vous connaissez la blague que tout enfant qui se respecte a dû faire au moins une fois : Pince-mi et Pince-moi sont dans un bateau. Pince-mi tombe à l'eau. Qui reste-t-il ?
Eh bien ici, c'est "Maurice et Momo qui sont sur un bateau. Mais quand on apprend que les deux ne font qu'un, on se demande comment l'un deux pourrait tomber à l'eau." (je ne le dévoilerai pas^^)
Avec eux, tout un équipage composé d'une galerie de personnages hauts en couleur, consciencieux et dévoués à leur métier, qui triment pour maintenir le navire à flot alors que celui-ci prend l'eau depuis trop longtemps. Car on ne peut pas vraiment compter sur le Capitaine, "jeune homme fringant et dynamique" certes, mais un peu déconnecté de la réalité du terrain vu qu'il ne quitte quasi jamais sa cabine. À ses yeux, un navire n'est "qu'un ensemble de chiffres, de résultats et de performances, dans lequel il est moins important de savoir nouer les bouts ou matosser correctement que de donner des leçons aux autres à coup de cafetière." Il est donc bien déterminé à redresser la barre et tenir le cap coûte que coûte, mais ses grandes idées et décisions répondront-elles aux besoins réels du bateau et de son équipage ?
Et surtout, "c'est donc l'histoire de Maurice et Momo qui sont sur un bateau, l'un des deux tombe à l'eau, [mais] quel est l'âge du Capitaine ?" 😁
J'ai adoré l'idée de cette fable qui, avec beaucoup de dérision et par le biais de la métaphore du bateau en mer (à deux doigts du naufrage), s'attaque au monde professionnel et au management, "montrant les mécanismes insidieux de subjectivation du travail provoqués par certaines idéologies managériales".
Si l'allégorie du monde du travail saute assez vite aux yeux et que beaucoup pourraient s'identifier facilement aux situations évoquées dans ce roman, sans être marin et quel que soit leur domaine d'activités, Isabelle Aupy cible en particulier le secteur hospitalier, en témoignent ses remerciements aux soignants qu'elle a côtoyés, "des hommes et femmes de terrain qui tentent chaque jour de tenir bon malgré un système qui prend l'eau, un système obnubilé par la performance et qui finit par déshumaniser."
Toutes les citations jusque-là proviennent de la quatrième de couv ou des mots de l'éditeur en fin d'ouvrage. Un mot de l'éditeur dont j'ai particulièrement adoré l'audace (!) :
"Une pensée aux Capitaines, pourvu qu'un jour ils en finissent avec leurs idées à la con." 😂
J'ai beaucoup aimé ce roman, mais j'avoue avoir une préférence pour le premier d'Isabelle Aupy, celui des chats-chiens^^ (très difficile de rivaliser avec cette thématique). Cela dit, on a là encore un roman nécessaire que je ne peux que recommander vivement. Je l'ai juste trouvé moins percutant peut-être parce que l'allégorie était trop évidente et que cette transposition du monde de l'entreprise (avec tout son vocabulaire spécifique qui ne colle pas toujours avec le milieu maritime) à l'univers du bateau ne fonctionnait pas toujours très bien - un petit côté un peu plaqué qui rendait la transposition parfois bancale - même si l'idée était franchement originale, amusante, bien vue et qu'il y avait d'excellentes trouvailles.
Ça reste un roman subtil et intelligent sous ses airs de grosse blague carambar, facétieux, malicieux, ironique à souhait, qui traite de sujets de société préoccupants, avec des personnages "virevoltants", certains de vraies têtes à claques, d'autres attachants et truculents, parmi lesquels la formidable et inoubliable Fatima qui mélange toujours les expressions :
"- [...] Ça m'embrouille si tu savais, je sais plus qui est qui dont je parle.
- On dit : "à qui je parle".
- C'est pareil et t'as compris, commence pas toi non plus à me faire tourner la langue sept fois en bourrique, je parle comme je pense que je suis."
D'autres extraits
"Ce fut une impression si puissante que plus personne ne semblait noter que, derrière son sourire et son éloquence, Hervé Pinel ne glandait rien. Mais rien de rien. Il est d'ailleurs amusant de remarquer que glander et ne rien glander consiste à faire la même chose, et bien, Hervé Pinel réussissait la prouesse de combiner les deux. Une sorte d'inaction au carré. Et ça fonctionnait extrêmement bien."
"Et pour affronter ces fameux enjeux qui sonnaient parfois comme une menace de catastrophe imminente, chacun devait se sentir concerné. C'est ainsi que toute une chaîne de décision et de responsabilité se mit en branle dans la même direction, portée par la vision du Capitaine. Et tant pis si cette vision apparaissait floue dans le regard de la plupart des Commandants ou des Officiers, tant pis si le Capitaine articulait dans la même phrase des mots que tout opposait comme machine et humain, ou tradition et innovation."
Je l'ai vu en librairie, où j'ai fait un carton, mais j'attends sagement la bibli , ou j'ai aussi cartonné dans les emprunts... Bref, je veux le lire en son temps. SNIF que va y on faire sans Book trip? Tu prolonges à fin décembre !
RépondreSupprimerOn a des périodes de fringales livresques comme ça de temps à autre.^^ Après on a un petit coup de pression pour tout lire, surtout les prêts bibli, haha ! Très curieuse de tes achats !
SupprimerPour le book trip, je ne prévois pas les prolongations sur décembre (plus propice aux lectures cocooning^^), mais je reconduirai peut-être le challenge en 2025, sur une période plus courte. C'est en réflexion.:)
Je note et renote ! J'aime beaucoup les livres qui, sous couvert de fiction, fustigent les travers du monde du travail.
RépondreSupprimerPareil ! C'est très malin en plus la façon dont l'autrice s'y prend ici.:)
SupprimerC'est une bonne idée au départ de réaliser une satire du monde du travail et de le transposer sur un navire. Même si parfois cela ne colle pas vraiment. En tout cas, rien que le titre intrigue et donne envie den savoir plus...
RépondreSupprimerOui, il fallait y penser et malgré mes quelques réserves, j'ai vraiment pris plaisir à cette lecture.
SupprimerOui les fameux capitaines qui se veulent absolument ingenieurs....je t'avouerais qu'au chili cela devient un probleme....jusqu'au desastre....surtout les ingenieurs commerciaux....bref....un sacre livre a lire alors....j'avais aime son premier....;)
RépondreSupprimerAah tu vois le style de l'autrice alors. Ce roman-ci est dans la veine du premier, même si le thème est différent. Ça devrait te plaire.;)
SupprimerJ'avais déjà repéré (chez toi, je pense) L'homme qui n'aimait plus les chats. Je suis moins tentée par ce voyage en mer par contre, sans doute parce que tu es moins convaincue (c'est le pouvoir d'une influenceuse).
RépondreSupprimerAhaha je ne pensais pas avoir ce pouvoir, mais bon, du coup là il dessert ce roman. C'est dommage car il vaut vraiment le détour malgré mes bémols. Je maintiens toutefois que je préfère l'histoire des chats.^^
SupprimerJe ne connais pas, mais ce que tu en dis ne me pousse pas à le lire. Je ne crois pas que ce soit mon genre.
RépondreSupprimerIl ne me semble pas non plus que ce soit ton genre. On a peu de genres communs en fin de compte.;)
SupprimerLe monde du travail, vraiment?
RépondreSupprimerA te lire, moi, j'imaginais clairement l'allégorie visant notre monde politique, plutôt... Pas Momo, mais Mama! ;-/
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Certains aspects du monde du travail rappellent beaucoup le monde politique^^, ce n'est pas anodin que cela t'y ait fait penser. On est rarement satisfait de la classe dirigeante dans nos sociétés. Capitaines (enfin, celui du roman en tout cas), managers, gouvernement, tous ces décisionnaires, c'est un peu du pareil au même en fin de compte.
SupprimerJe découvre trois choses dans ta note : une maison d'édition et deux autrices ... C'est un bon début de journée ! D'autant plus que tu songerais à un deuxième book trip ! Si j'ai un peu quitté le navire à la fin de l'été pour cause de pérégrinations urbaines, je repartirais bien l'année prochaine !
RépondreSupprimerC'est bien aussi de revenir à quai de temps en temps.:) Au début, je ne pensais pas rempiler pour un book trip en mer, estimant être maintenant bien sur ma lancée pour continuer à lire maritime de manière plus ou moins régulière (et ma LAL a bien augmentée depuis), mais un petit rendez-vous collectif pourrait aider à tenir cette bonne résolution.^^
SupprimerJ'aime beaucoup cette maison d'édition, originale et audacieuse comme j'aime, tout en étant gage de qualité. Il faudrait d'ailleurs que j'explore d'autres auteurs de leur catalogue.
Le nom de l'auteure et cette histoire de chats me disait quelque chose, et oui, je viens de vérifier, j'ai ça sur mes étagères (L'homme qui n'aimait pas, ou plus les chats, c'est ça ?), je crois que c'est ma belle-mère qui l'a apporté un jour... bon, je le sors donc du coin obscur où on l'avait oublié, d'autant plus qu'il est tout petit !
RépondreSupprimerMais oui, il se lit vite et se case bien entre diverses lectures thématiques.^^ Très curieuse de ton avis !
SupprimerParfait pour le booktrip en effet, et en plus je ne connaissais pas du tout ce titre ni son autrice (mais je te rassure je connais pince-mi et pince-moi, j'ai joué à ça enfant en effet !).
RépondreSupprimerUn grand classique, ce jeu.:) Oui, un roman qui a toute sa place dans le book trip, mais qui ne se limite pas à des histoires en mer.
SupprimerJe ne connaissais pas, mais bien tentée. Le monde du travail, même si je n'y suis plus, je l'ai bien connu et souvent subi. Et puis, je le fréquente encore en tant que cliente...
RépondreSupprimerOui, on a tous eu au moins une expérience dans le monde du travail (que ce soit dans le privé ou le public d'ailleurs) (et même en tant que simple observateur extérieur) qui peut nous permettre de nous identifier à certaines situations ici.
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