J'essaie de retracer comment ce titre s'est glissé dans mes projets de lecture assez urgents (depuis deux ou trois ans 😅). Certes, les éditions Zoé ont toujours été pour moi gage de qualité depuis que je les ai découverts il y a 10 ans avec un roman de Max Lobe, mais je ne cours pas particulièrement après les ouvrages féministes, comme il m'est très vite apparu que celui-ci en faisait partie. Je n'ai toujours pas lu Mona Chollet, en préface de cette édition, donc il ne s'agit pas d'une de ses recommandations. Je ne me souviens d'ailleurs pas qu'on m'ait conseillé ce livre, ni d'en avoir lu quoi que ce soit qui me l'ait rendu indispensable (mais je peux me tromper). Le titre ? C'est vrai qu'il est plaisant, mais ça me paraissait peu probable.
Finalement, la seule piste assez vraisemblable, c'est le billet d'Ingannmic sur Sans alcool, un autre titre de l'autrice, Alice Rivaz, qui m'avait bien tentée à l'époque. Faute de le trouver dans ma bibli, quand La paix des ruches est apparu dans les nouveautés du catalogue numérique de ma bibli, j'ai dû faire le lien avec l'autrice et noté aussitôt.
Noté aussitôt car la première page s'ouvre ainsi :
"Je crois que je n'aime plus mon mari."
Et ça, je trouve que c'est une belle entrée en matière.😆 Directe, franche. Un constat pur et simple. Plutôt dramatique tout de même, mais ce n'est pas la partition jouée par Jeanne Bornand, la narratrice, qui, en pleine désillusion maritale, prend le temps et le recul nécessaire pour se livrer à une réflexion sur la condition des femmes et leurs relations aux hommes. Petite précision : ce roman est paru en 1947.
Son journal se poursuit ainsi :
"Et dire que toute ma famille s'imagine que c'est l'homme de ma vie parce que pendant longtemps j'ai beaucoup peiné, travaillé pour lui, à cause de lui. Mais est-ce à cela que se mesure l'amour ? Je ne le pense pas. Ce qui se mesure là, ce qui porte témoignage, n'est-ce pas plutôt une certaine obéissance à une destinée ?
Le ton m'a plu d'emblée. Un parler franc, une pensée très articulée, des phrases simples mais délicieusement tournées et souvent percutantes, qui invitent le lecteur à réfléchir avec elle, mais sans brandir d'étendard.
Ce sont, ici, les propos, le ressenti d'une femme d'une autre époque, bientôt un siècle maintenant tout de même, mais cela résonne encore très fortement avec notre époque, nos récriminations, nos déceptions. Les mots "patriarcat" et "injonctions sociales" ne surgissent pas pointés du doigt toutes les deux phrases comme aujourd'hui, mais il s'agit bien de ça :
Conditionnement social des femmes à aspirer à plaire aux hommes, à rêver amour et mariage pour s'accomplir, à s'intéresser principalement à leur apparence pour satisfaire "le male gaze' comme on dirait aujourd'hui. Un système pernicieux orchestré par l'homme et auquel les femmes participent, se pliant de bonne grâce à leur jeu, acceptant et finissant par intérioriser le fait de devoir faire et de devoir être comme il leur est demandé si c'est le prix à payer pour "être admirées, aimées, préférées. [...] Il nous la faut, cette admiration, cet hommage des étrangers que sont pour nous tous les hommes."
Ainsi la narratrice explore les relations complexes des femmes à la beauté et à la mode, avec cette peur panique de vieillir qui les sortirait du "game", comme on dirait encore aujourd'hui, mais aussi leur rapport à l'espace domestique, avec cette notion de "double journée de travail" encore bien connue de la plupart des femmes aujourd'hui, et bien sûr, sujet central de ce livre, Jeanne se livre à une réflexion sur l'amour entre les femmes et les hommes en s'interrogeant sur ce "contraste entre l'état de grâce des premiers temps de l'amour et la déception sans fin de la vie conjugale".
J'ai bien aimé toutes ces réflexions qui en amenaient d'autres et que j'ai trouvées très intéressantes, surtout à la lumière de notre époque, mais j'ai éprouvé moins d'intérêt pour "l'intrigue" qui habillait ces réflexions comme en décor, les histoires de (et avec) ses collègues et amies, son attrait pour d'autres hommes qu'elle nous partage et les vagues intrigues autour. Bon, il fallait bien à l'autrice quelque matériau à partir duquel bâtir ou extraire ses observations.
J'ai beaucoup aimé en revanche, un peu avant la fin, la sorte de révélation que Jeanne a eue, le petit retournement de situation quand elle réalise que, attention spoiler les hommes recherchent en fait la même chose que les femmes dans le couple : "la liberté, l'espace, la solitude, le silence... pour se retrouver." 😆 Quelle ironie !
"Comme nous, alors ! Serait-ce que notre ennemi serait non pas l'autre, mais l'amour lui-même ?...
L'amour mal compris ?
Par eux, mais aussi par nous ?"
Quelques extraits (j'ai dû me restreindre...) :
"Depuis si longtemps je me réjouissais d'être seule. Seule, afin justement de ne pas l'être."
"C'est que nous étions des amoureuses, et qu'ils ont fait de nous des ménagères, des cuisinières... Voilà ce que nous avons peine à leur pardonner."
"Ce que nous n'aimons pas, c'est cette absence de solidarité entre eux et nous, cette incorrection première dans la distribution des tâches journalières entre eux et nous. Quand donc apprendront-ils le sens de la justice qui pourtant enfle parfois leurs voix dans les parlements, les cathédrales, qui les fait descendre dans la rue et élever des barricades ? Il semble qu'ils donneraient parfois leur vie pour ce grand mot, et il leur arrive de le faire, c'est vrai. Ils préfèrent tenir un fusil ou une mitraillette qu'un balai, un beau drapeau qu'une brosse ou un savon, et pourfendre les signes abstraits de l'injustice que de supprimer celle qui est à portée de leurs mains et dont ils sont eux-mêmes les artisans.
"Oui, les hommes devraient se méfier. Ils devraient songer plus souvent aux abeilles, à la paix des ruches. Au prix payé pour la paix des ruches..."
LC d'un titre paru aux éditions Zoé pour leur 50 ans, initiée par Sandrine. D'autres choix de lecture chez Keisha, Kathel, Ingannmic, Sacha et bien d'autres.
L'autrice
Alice Rivaz est née à Lausanne en 1901 et décédée à Genève en 1998. Au cours de son activité littéraire féconde en oeuvres de tous types (nouvelles, romans, textes autobiographiques), elle s'est vouée à l'émancipation féminine et à la dénonciation des injustices sociales, devenant une figure du féminisme romand d'avant-garde.
Les editions ZOE, j'aime , je compte y revenir (même si légère déception pour le l ivre lu, pas dans l'écriture, tout ça, mais dans l'option finale de l'héroïne). Je vai noter plein de titres;.. (soupirs)
RépondreSupprimerOn n'est jamais à l'abri d'une déception, même chez les meilleurs.:) D'ailleurs, tout ne me tente pas chez eux, même si je ne doute aucunement de la qualité des ouvrages. C'est juste une question de goût thématique.
SupprimerJe l'avais noté à sa sortie, puis un peu perdu de vue. Je pense l'avoir vu à la bibliothèque si jamais je me décide.
RépondreSupprimerJe l'ai lu en numérique, mais c'est assez court (140 pages environ), si ça peut t'aider à te décider.;)
SupprimerVoilà qui aurait pu être écrit hier... les relations hommes/femmes n'évoluent guère dans le mariage...
RépondreSupprimerConcédons tout de même qu'il y a quelques évolutions, ou quelque prise de conscience, même si le chemin semble encore long.;)
SupprimerIl ne faut pas oublier ce que fût la condition des femmes, ni ce qu'elles ont enduré mais je préfère des romans plus récents. Il encore beaucoup de choses à changer mais les problématiques ont un peu évoluées.
RépondreSupprimerCertaines choses ont un peu évolué heureusement, mais les mentalités, pas tant que ça, je trouve. Même quand on se croit émancipé, même chez les nouvelles générations. Je pense au diktat de la mode, au "culte" de l'apparence et aux standards de beauté auxquels les femmes continuent de se plier sans trop les remettre en question, aux injustices de la taxe rose, ou à tout ce qu'on a intériorisé comme normal alors qu'il est clair qu'on se fait avoir.^^ On s'en rend encore mieux compte quand on compare la réalité d'il y a quelques décennies sur le sujet, à celle d'aujourd'hui justement.
SupprimerIntéressant cette publication de 1947 qui permet une réflexion de l'époque sur le couple, la vision des femmes. On voit qu'il y a encore du progrès à faire !
RépondreSupprimerOui, les rapports dans le couple évoluent, les mentalités s'ouvrent peu à peu, il y a quelque prise de conscience, mais le chemin me semble encore long...
SupprimerJ'avais bien aimé son recueil de nouvelles, où j'avais appris que les restaurant "sans alcool" étaient ceux où se rendaient les plus modestes... j'ai hésité à lire ce titre pour l'invitation de Sandrine, mais je ne regrette pas d'avoir fait un autre choix.
RépondreSupprimerÇa t'a permis de découvrir une autre autrice du catalogue.;)
Supprimerça me fait penser aux romans Le cahier interdit et Elles de l'italienne Alba de Cespedès, écrits en 1949 et 52...
RépondreSupprimerJ'avais repéré (mais où, me demandai-je aussi) ce roman d'Alice Rivaz, et l'a demandé à la bibli départemental, mais pas eu le temps de l'emprunter à temps pour le 2 juin. Je vais le rajouter à mes projets d'été (que je ne compte plus).
Ahaha, moi j'ai déjà débordé sur 2026 (si je veux être réaliste, sinon oui, j'y crois encore pour cet été^^). Je note tes références... pour 2027 ?^^
SupprimerOn sent que tu as vrai aimé cette lecture.
RépondreSupprimerJ'ai aimé le côté "témoignage" d'une femme d'une autre époque sur ces thèmes, j'ai trouvé ses propos très intéressants, je n'ai pas adhéré à tout, mais ça a été plutôt riche de réflexions.
SupprimerLe sujet est intéressant et les extraits me plaisent, j'aimerai faire connaissance avec cette autrice mais hélas elle est inconnue de mes médiathèques et celle que je fréquente en ville n'a que 8 titres qui sortent lorsque je recherche l'éditeur, il va falloir que je leur soumette quelques idées d'urgence :)
RépondreSupprimerOh, 8 titres, c'est déjà très bien ! Ça se trouve, tu nous ferais découvrir des lectures incontournables avec cette sélection de ta médiathèque. Et c'est nous qui allons devoir faire des suggestions d'acquisition aux nôtres, haha !
SupprimerIntéressant... Je découvre au passage ton billet sur Max Lobe : il me faut ce bouquin !!
RépondreSupprimerJ'avais tellement aimé que je n'ose pas lire d'autres romans de cet auteur. Haha, oui, je sais, ça n'a aucun sens !
SupprimerOui mais non pas pour moi...ce combat est toujours aussi inegal.....pucha...
RépondreSupprimerJe te comprends. Je lis sur le sujet avec parcimonie pour me préserver aussi parce que c'est un peu toujours le même constat, même à des décennies d'écart, ça en est un peu désespérant...
SupprimerJe ne connais pas, mais je ne pense pas le lire.
RépondreSupprimerTu es libre de tes choix de lecture.;)
SupprimerIl me tente bien ce livre car même si les choses ont évolué, les réflexions soulevées sonnent quand même assez actuelles notamment dans la répartition des tâches... Et la plume de l'autrice m'est agréable ce qui n'est pas un détail :)
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé aussi la plume de l'autrice. Elle a une façon de s'exprimer assez élégante, sans effort ni fioriture. Et en même temps, ça reste assez simple et fluide, ça sonne naturel. On aimerait entendre parler davantage comme ça aujourd'hui.^^
Supprimerah je ne suis pas attirée par ce thème mais l'année et les extraits et puis aujourd'hui on est toujours à 70/30 sur les tâches ménagères, du coup, ça n'a pas tant évolué...
RépondreSupprimerNon, ça n'a pas tant évolué, mais il y a peut-être plus de prise de conscience et plus de voix qui s'élèvent aussi.
SupprimerEncore une autrice que tout le monde semble connaître sauf moi !!
RépondreSupprimerBon, le couple, je l'étudie de l'intérieur en ce moment... Mais en tant que spectatrice, puisque j'ai passé mes vacances chez un couple de cousin, dont les enfants sont partis du nid... Et bien loin des apparences des fêtes cousinades une fois tous les deux ans, il y a beaucoup à dire... Dont cette liberté et cette solitude cherchée, que j'ai bien observée !
Je l'entends et le constate souvent, ce soulagement (cette joie) de se retrouver seul(e), ne serait-ce qu'un ou deux jours. Ça en dit long en effet.^^
SupprimerCoucou Fanja, Tadloiducine vient de me suggérer de proposer mon billet sur Un barrage contre le Pacifique pour le Book trip. Je n'y avait pas pensé, mais c'est vrai que la mer y occupe une place importante. En revanche, pas de navigation (sauf si on tient compte des escapades en barque du fils pour aller pêcher dans le fleuve).. du coup dis-moi si tu le considères comme éligible. Le cas échéant, je viendrai déposer mon lien.
RépondreSupprimerMais oui, tout à fait ! Il y a une catégorie "autour des îles et des côtes" dans laquelle je classe ce genre de livres qui ne sont pas foncièrement maritimes, mais dans lesquels il y a des éléments marins certains.:) J'ai récupéré ton lien pour le récap, merci.
SupprimerMerci à toi, je viens d'ajouter ton logo à mon billet.
SupprimerSuper, merci !:)
SupprimerJ'avoue que ton billet me suffit, je ne ressens pas le besoin d'aller lire ce livre :) Je connais peu cette maison d'édition et carrément pas l'autrice !
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup la ligne éditoriale de cette maison. Je n'y connais pas tous les auteurs non plus, mais c'est une bonne occasion de belles découvertes.:)
SupprimerOn vient de l'acheter cette semaine et Eva est déjà en train de le lire :-). Encore une belle découverte à ce que je devine !
RépondreSupprimerBonne pioche, oui.:) Hâte de vous lire à ce sujet !
SupprimerLes esprits changent, mais parfois je suis découragée en écoutant certaines amies me raconter leur vie conjugale, la double journée, etc...
RépondreSupprimerMoi ce sont les nouvelles générations que je trouve encore très matrixées par le système même si elles croient avoir plus de lucidité et de girl power. Il y a du coup beaucoup de paradoxes dans leurs discours, sans qu'elles s'en rendent compte.
SupprimerMerci de me rappeler que j'ai ce livre dans ma PAL et que je souhaite le lire !
RépondreSupprimerMais avec plaisir ! :)
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