RU

Ça faisait un moment que je voulais découvrir la plume de Kim Thúy, autrice québécoise d'origine vietnamienne, et Ru est un de ses livres que j'ai souvent vu commenté avec le plus d'enthousiasme, encore récemment chez Fabienne.

Je ne m'attendais toutefois pas à ce que ce soit un récit autobiographique. Ce n'est pas ce que je préfère habituellement, même si, quel meilleur point de vue que l'expérience personnelle d'un auteur pour raconter son pays d'origine, son exil, son identité double, des thématiques qui, pour le coup, me parlaient.

Est-ce que cela a nui à ma lecture ? Du tout.

Au début, c'est assez chronologique. On suit bien, l'écriture est agréable, assez savoureuse même, l'autrice ne tergiverse pas, la tragédie de son histoire s'égrène dès les premières lignes : sa naissance à Saigon pendant l'offensive du Têt, l'arrivée du communisme dans le Sud-Vietnam, la fuite avec d'autres boat people alors qu'elle n'a que 10 ans, l'internement dans un camp de réfugiés en Malaisie puis son arrivée au Québec avec les premières difficultés d'adaptation entre le froid, la langue, le mode de vie... Le tout est restitué avec juste ce qu'il faut de recul et de distance et, encore mieux, de touches d'humour bienvenues.

Une fois adulte, le récit s'éparpille en bribes et en fragments surgissant au fil de sa cohérence émotive, mélangeant les temporalités, naviguant (book trip en mer ? 😆) entre le passé et le présent, nous ramenant dans son enfance dorée à Saigon, nous propulsant au Vietnam des années plus tard alors qu'elle y retourne, nous réancrant subitement au Québec. C'était un peu déstabilisant par moment cette impression de récit décousu. On croit embarquer sur une période de la vie de l'autrice et on bifurque sur une autre période, sans trop de transition, mais cela reflète bien la difficulté de la nécessaire reconstruction de son histoire et par extension, de sa propre personne.

L'image la plus juste de ce récit est fournie par l'autrice elle-même :

"J'aime le cuir rouge du divan d'un bar sur lequel j'ose me mettre à nu auprès d'amis, et parfois d'inconnus, à leur insu. Je leur raconte des bribes de mon passé comme si elles étaient des historiettes, des numéros d'humoriste ou des contes cocasses de pays lointain aux décors exotiques, aux sons insolites, aux personnages parodiques."

J'ai beaucoup aimé les chapitres courts, qui défilent comme des instantanés et se concluent souvent sur une chute délicieuse, voire sur la parfaite conclusion. C'est un récit rythmé, plein de vie, empreint d'ironie et dérision, qui essaime plein d'observations très intéressantes et des remarques très pertinentes tout le long. Il y a également de nombreuses anecdotes truculentes, comme ces soutiens-gorge qu'un inspecteur communiste (qui n'en avait jamais vu) a pris pour des filtres à café dans la maison de ses parents à Saigon. 😆

C'est un récit plein de fraîcheur qui m'a tout de même un peu perdue par moment avec cette narration par bribes, mélangeant les temporalités, mais au final, ça reste une belle expérience de lecture d'un texte qui fait davantage appel à la mémoire des émotions qu'à celle des faits.

Extrait

"Un des vendeurs a donné en prime un chandail rouge à gros col roulé à mon père. Il l'a porté fièrement chaque jour de notre premier printemps au Québec. Aujourd'hui, son grand sourire sur la photo réussit à faire oublier la coupe cintrée de ce chandail pour femme. Il est préférable de ne pas tout savoir, parfois."

Lu dans le cadre des

Intègre le Défi lecture 2024 (14/30/100) => catégorie 15 (titre qui n'est pas écrit à l'horizontal sur la couverture).

L'autrice

Kim Thúy, née en 1968 à Saigon, quitte le Vietnam avec d'autres boat people à l'âge de dix ans. Installée à Montréal, elle exerce différents métiers - couturière, interprète, avocate, restauratrice - avant de se consacrer à l'écriture. En 2010, Ru devient un best-seller en France et au Québec.