LE CERCUEIL DE JOB

 

( JOB'S COFFIN )

traduit de l'anglais (États-Unis) par François Happe

Un titre qui n'avait rien de très engageant au premier abord, je craignais même une intrigue quelque peu morbide et pesante, mais j'avais là l'occasion de découvrir enfin ce fameux Lance Weller dont les précédents romans étaient systématiquement recommandés sur les réseaux. L'évocation de la guerre de Sécession dans le résumé a balayé mes derniers doutes. C'est une période historique aux États-Unis à laquelle je résiste mal.

Le voile s'est très vite levé sur le mystère du titre. Le Cercueil de Job est en fait un groupe d'étoiles appartenant à la constellation du Dauphin et c'est un peu l'Étoile du berger de Bell Hood, jeune esclave noire en fuite, son guide céleste qui la mènera vers le Nord, au pays de la liberté, ce rêve fragile caressé par les fugitifs noirs des états sudistes et rendu tangible par la guerre de Sécession qui fait alors rage. C'est l'histoire de sa fuite que l'on suit dans une succession de chapitres entrecoupés par l'histoire de Jeremiah Hoke, un soldat confédéré poursuivi, lui, par sa mauvaise étoile, qui ressort mutilé de l'horrible bataille de Shiloh et se retrouve à errer sur les chemins, en quête d'une forme de rédemption. Et là je reprends la dernière phrase de la 4e de couv parce que c'est si bien dit^^, "les deux destinées se révèlent liées par un même drame originel, emblématique d'une Amérique en plein tumulte".

J'ai adoré ! C'est un récit puissant, épique, beau et terriblement tragique à la fois, avec des personnages forts auxquels on s'attache au fur et à mesure qu'on apprend à mieux les connaître. J'ai adoré suivre Bell Hood dans son périple éprouvant aux côtés de Dexter et June, leurs relations émouvantes, ainsi que Hoke tout au long de ses errances, un personnage aussi troublant que touchant.

L'écriture m'a un peu déroutée au début, alternant beauté et âpreté, contrastant poésie dans la description de la nature environnante, des mouvements du ciel, et brutalité dans la description de la réalité crasse de la situation des fugitifs, de l'horreur de la guerre et de la bêtise humaine. Quand l'auteur parle des hommes, le langage est plus brut, sans charme presque, et dès qu'il évoque la nature, son écriture change, plus délicate. 

Il y a d'ailleurs dans ce roman quelques moments de délicatesse, à défaut de grâce, qui contribuent à ne pas le rendre désespérant. De très brefs moments de répits très appréciables aussi, avant de basculer à nouveau dans l'horreur. Mais même ces passages plus tendus restent étrangement envoûtants. J'ai été étonnée, par exemple, dans un chapitre entier consacré à une bataille, d'avoir été complètement accrochée !

J'ai craint aussi au début qu'on soit dans du sérieux, du tragique tout le long, mais il y a quand même de grands traits d'humour, des dialogues assez truculents et des échanges franchement épiques (aah le chapitre dans la mercerie avec le gérant aveugle, excellent !).

J'ai aimé ce portrait sans concession de la guerre où l'on voit le point de vue de chaque camp et où rien n'est ni tout blanc, ni tout noir, juste une foutue guerre qui fait de terribles dégâts. L'auteur parvient à bien retranscrire les états d'âme des uns et des autres avec, au coeur, cette culpabilité autour de la question des Noirs. Et les Noirs un peu perdus dans tout ça. Quelle tragédie dans l'Histoire tout de même !

Enfin, j'ai trouvé la structure narrative de l'intrigue brillante et aimé la façon dont les personnages et leur destin se croisaient sans véritablement se croiser (pas toujours en tout cas) ou encore la façon dont on découvrait le sort des uns et des autres au détour d'une phrase, ou à travers un regard.

Et puis cette fin, quelle claque ! Terriblement triste quand même (j'aurais préféré un autre dénouement...), sans concession, comme tout le reste du livre, mais grandiose, comme tout le reste du livre.

Et cette poursuite du Cercueil de Job, pleine de symbolisme, magnifique !

Un coup de coeur, si ce n'est pour cette fin qui m'a brisée. Une révélation auteur en tout cas, clairement. C'est sûr que je ne m'arrêterai pas là avec Lance Weller !

Un petit mot sur la VO, introuvable. J'en conclus que ce roman n'a pas été publié aux États-Unis. Peut-être le sujet était-il trop délicat et les éditeurs américains frileux. J'ai trouvé que les esclavagistes avaient une image particulièrement pourrie, un comportement et une mentalité des plus ignobles ici par rapport à d'autres livres que j'ai pu lire sur le thème.

Extrait

"- Est-ce que ça rend les choses plus grandes ou plus petites ? demanda-t-il encore. Savoir lire ?

- Les deux, dit Bell en regardant à nouveau autour d'elle à la recherche de mots. Avant ? Le monde était fermé. Mais il s'est ouvert, et il continue à s'ouvrir à mesure que j'avance. Je dirais qu'il devient si grand que je ne sais pas quoi en faire. Ni comment m'y comporter. Et plus il devient grand, plus je me sens petite."

LC avec Sunalee.

Intègre le Défi lecture 2024 (20/30/100) => catégorie 1 (coup de coeur).

Palier "Élégant poème" atteint. 💪

L'auteur

Né en 1965 à Everett dans l'État de Washington, Lance Weller est l'auteur de plusieurs nouvelles primées. Wilderness, paru en France chez Gallmeister en 2012, est son premier roman. En 2017, il publie Les Marches de l'Amérique, puis en 2021, Le Cercueil de Job. Il vit à Gig Harbor, dans l'État de Washington, avec sa femme et ses chiens.