LES NAUFRAGÉS DE L'ÎLE TROMELIN

Me voici de nouveau à l'assaut des naufrages avec ce récit d'Irène Frain qui rapporte un fait historique, dramatique et scandaleux, survenu cette fois au large de l'océan Indien au 18e siècle, et je crois bien que je suis complètement atteinte. En cours de lecture, en pleine mer, au milieu de vagues monstrueuses, poussés par des vents puissants avec "une violence extrême" vers ce grand bloc de corail encerclé d'une tourmente de déferlantes, le naufrage s'annonçait, inéluctable. Et je trouvais ça palpitant ! 😅 Dans le livre, l'autrice parle d'amateurs de catastrophes maritimes chez les lecteurs. Je crois bien que j'ai rejoint le club.😆

En réalité, ce qui rend ce récit palpitant, c'est la façon dont Irène Frain en rend compte, resituant le contexte et les enjeux de l'époque, reconstituant les faits à partir de témoignages de rescapés et de documents historiques, redonnant vie aux personnages impliqués avec un réalisme et un souffle romanesque décoiffants, qui nous animent autant de l'esprit d'aventures que d'effroi face aux forces potentiellement destructrices de la nature mais aussi face à la bêtise et la cruauté humaines, d'espoir (heureusement), de questionnements sur la nature humaine et de toute une palette d'émotions qui rendent cette lecture terriblement addictive.

En 1761, un navire français, L'Utile, s'échoue sur un îlot perdu de l'océan Indien. Il transportait alors 160 esclaves malgaches. Les rescapés, blancs et noirs, tentent tant bien que mal de s'organiser et de survivre sur cette petite île hostile cernée par les déferlantes, à la merci d'ouragans et de grands vents, qui n'offre quasiment aucune ressource ni aucun abri et dont il faut donc absolument partir. Avec les quelques débris du navire qu'ils arrivent à récupérer au fil des jours, le lieutenant Castellan, qui a pris les commandes, organise la construction d'une chaloupe. Certains marins refusent de l'aider, mais les esclaves y participent volontiers. Or, au moment du départ, on ne les embarque pas, faute de place. L'expérience de l'île l'ayant forcé à reconnaître en eux sa propre humanité, pris de remords et rongé par la mauvaise conscience, Castellan promet de revenir les chercher. C'est sans compter l'indifférence des autorités françaises au sort de ces esclaves, condamnés ainsi à une "interminable réclusion à ciel ouvert". Quinze ans !! Ce n'est en effet que quinze ans plus tard qu'une expédition sera lancée pour revenir chercher les éventuels survivants...

Ce récit m'a particulièrement parlée puisqu'il touche également à l'histoire de Madagascar en relatant "ce chapitre méconnu des droits de l'Homme, qui a conduit les consciences à l'abolition de l'esclavage". Si les chapitres mettant en scène les officiers et marins de L'Utile et alimentés par des témoignages de rescapés vibraient de réalisme et m'ont littéralement happée, avec en toile de fond, le contexte politique et économique de l'époque, impliquant la Compagnie des Indes, la traite des esclaves, l'île de France (Maurice), l'île Bourbon, j'ai toutefois un peu moins adhéré à ceux mettant en scène les esclaves entre eux qui m'ont semblé davantage dans la veine des contes et mythes africains, mais c'est un ressenti très personnel.

Ce n'est pas le Wager, mais quand même, pas loin, pas loin.^^ On y retrouve le même aspect récit passionnant restitué à partir d'archives maritimes, de documents historiques, de témoignages de rescapés, de fouilles archéologiques et d'un séjour sur l'île, avec une force romanesque qui me donne maintenant envie de lire d'autres livres d'Irène Frain. Elle a, tout comme David Grann, le sens de la narration et une écriture fluide et efficace. C'était un vrai plaisir de la lire. J'ai clairement palpité pendant cette lecture à chaque déferlante et j'ai été captivée, transpercée, bouleversée par cette histoire et ses personnages.

Il y a peut-être plus de tâtonnements sur certains aspects de cette affaire dont les faits restent plus troubles, faute de témoignages et traces écrites, et autour desquels l'autrice a dû théoriser et broder un peu, de façon un peu moins convaincante que chouchou Grann, mais ils ne prennent pas une part si importante sur l'ensemble du récit qui reste extrêmement bien narré et documenté.

LC avec Cristie et Thaïs.

Également commenté par Keisha, Géraldine, Manou, ta d loi du cine.

Intègre le

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⛵ Me voilà Major.:)

Intègre également le Défi lecture 2024 (19/30/100) => catégorie 59 (un roman dans lequel une affaire ou un scandale réel occupe une grande place).

L'autrice

Née à Lorient en 1950, Irène Frain est agrégée de lettres classiques. Romancière, historienne et journaliste, elle a publié une vingtaine d'ouvrages. Les Naufragés de l'île Tromelin a obtenu le prix Relay 2009 du roman d'évasion et le Grand Prix Palatine du roman historique.