lundi 7 octobre 2019

LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES - UN CONTE


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES 
         UN CONTE

Il y a six mois, je suis tombée sur ce très court roman sous-titré "Un conte", ce qui n'a pas manqué susciter ma curiosité, moi qui suis particulièrement friande de contes en tout genre, détournés, revisités, réadaptés, réinventés même.
Le titre lui-même me plongeait déjà dans le merveilleux des contes, avec ce petit quelque chose d'intrigant en plus. De quelle marchandise pouvait-il donc s'agir ? 
Une lecture attentive de la quatrième de couv et j'étais cuite !

"Il était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron.
Non non non non, rassurez-vous, ce n’est pas Le Petit Poucet ! Pas du tout. Moi-même, tout comme vous, je déteste cette histoire ridicule. Où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir ? Allons…
Dans ce grand bois donc, régnaient grande faim et grand froid. Surtout en hiver. En été une chaleur accablante s’abattait sur ce bois et chassait le grand froid. La faim, elle, par contre, était constante, surtout en ces temps où sévissait, autour de ce bois, la guerre mondiale.
La guerre mondiale, oui oui oui oui oui."

J'ai tout de suite adhéré au ton, à première vue badin, malicieux même, du conteur qui veut mettre le lecteur à l'aise, et qui, après l'avoir bercé dans l'illusion d'un conte classique où tout est charme et beaux phrasés, le surprend au tournant, quasi en queue de poisson, en présentant son personnage principal qui surgit telle Maléfique en plein bal. La guerre mondiale.

Mon avis Goodreads, sans préambule :
Parler de la guerre mondiale à la manière d'un conte de fées, une sacrée mission ! Accomplie avec finesse et brio par l'auteur, Jean-Claude Grumberg. Un récit plein de subtilité et de pudeur. Magnifique, sans émotion forcée. Une prouesse pas si évidente. Tout est parfaitement "dosé". C'est juste un peu court, mais après tout, je ne connais pas de contes de 500 pages.

Ce roman est assez court d'ailleurs pour que je ne l'alourdisse pas d'un résumé à ma sauce, mais j'ai voulu laisser ici quelques extraits pour illustrer la délicatesse du texte et de la langue qui n'ont pas manqué me toucher :

"Dans bien des contes, et nous sommes bien dans un conte, on trouve un bois. Et dans ce bois, un espace plus touffu qu’alentour, où l’on ne pénètre qu’avec difficulté, un espace sauvage et secret, protégé des intrus par sa végétation même. Un lieu retiré où ni homme, ni dieu, ni bête ne pénètre sans trembler. Dans le vaste bois où pauvre bûcheron et pauvre bûcheronne tentent de subsister, il existe un tel lieu, là où les arbres poussent plus dru et plus serré."

L'épilogue est juste magnifique ! J'en ai eu la gorge serrée (très rare chez moi) :

"Voilà, vous savez tout. Pardon ? Encore une question ? Vous voulez savoir si c’est une histoire vraie ? Une histoire vraie ? Bien sûr que non, pas du tout. Il n’y eut pas de trains de marchandises traversant les continents en guerre afin de livrer d’urgence leurs marchandises, ô combien périssables. Ni de camp de regroupement, d’internement, de concentration, ou même d’extermination. Ni de familles dispersées en fumée au terme de leur dernier voyage. Ni de cheveux tondus récupérés, emballés puis expédiés. Ni le feu, ni la cendre, ni les larmes. Rien, rien de tout cela n’est arrivé, rien de tout cela n’est vrai.
[...]
La seule chose vraie, vraiment vraie, ou qui mérite de l’être dans cette histoire, car il faut bien qu’il y ait quelque chose de vrai dans une histoire sinon à quoi bon se décarcasser à la raconter, la seule chose vraie, vraiment vraie donc, attention SPOILER :) c’est qu’une petite fille, qui n’existait pas, fut jetée de la lucarne d’un train de marchandises, par amour et par désespoir, fut jetée d’un train, enveloppée d’un châle de prière frangé et brodé d’or et d’argent, châle de prière qui n’existait pas, fut jetée dans la neige aux pieds d’une pauvre bûcheronne sans enfant à chérir, et que cette pauvre bûcheronne, qui n’existait pas, l’a ramassée, nourrie, chérie, et aimée plus que tout. Plus que sa vie même. Voilà.
Voilà la seule chose qui mérite d’exister dans les histoires comme dans la vie vraie. L’amour, l’amour offert aux enfants, aux siens comme à ceux des autres. L’amour qui fait que, malgré tout ce qui existe, et tout ce qui n’existe pas, l’amour qui fait que la vie continue."

L'auteur
Jean-Claude Grumberg, né à Paris en 1939, est un dramaturge, scénariste et écrivain français qui a aussi écrit des pièces pour enfants.

20 commentaires:

  1. J'ai bien failli assister à une rencontre avec lui la semaine dernière, mais elle a été annulée, sans doute en raison des évènements à Rouen (dont nous n'a sans doute pas connaissance aux Etats-Unis) https://www.lemonde.fr/incendie-de-l-usine-lubrizol-a-rouen/

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    1. Dommage pour la rencontre, ça aurait certainement valu le détour. J'espère que ça va mieux depuis, à Rouen et moralement !

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  2. Oh là je sens que j'aurais aussi besoin de mouchoirs...

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    1. Je ne les ai pas sortis mais presque, presque...

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  3. Bravo! tu en parles drôlement bien. Lorsque je l'ai lu, j'ai été incapable d'écrire un billet.

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    1. Je n'ai pas trouvé ça évident d'en parler non plus. D'ailleurs, j'ai plus laisser parler le livre et ses extraits.;) C'est un roman pour lequel on a juste envie de dire : "lisez-le et vous comprendrez mon ressenti !".

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  4. Ce livre est dans mes cartons, je t'ai donc lue en diagonale ;-)

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    1. J'espère qu'il n'y restera pas trop longtemps.;)

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  5. Très tenté par ce livre grâce à ton billet. Merci !

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    1. Ça me fait plaisir que tu sois tenté par une de mes lectures.;)

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  6. Je dois être la seule à ne pas avoir envie de lire ce livre en lisant les extraits...

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    1. Ah oui ? Intéressant !:) Mais tous les goûts sont dans la nature, la diversité des réactions pour un même livre ne m'a jamais étonnée, au contraire, je trouve ça plutôt sain.

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  7. Touchée coulée. Il me le faut !

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  8. Une sacrée mission en effet!
    Tu en as eu la gorge serrée, je dois le lire!
    Je vais voir à le trouver ici dans mon coin de pays.
    BIG BISOUS, deux dodos seulement!!! :D)))
    xxx

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    1. J'espère que tu le trouveras facilement ! C'est un livre qui (pour moi) vaut vraiment le détour.
      Je te fais de gros smacks. J'ai un méga décalage horaire et des heures de voyage à récupérer en sommeil. Si je pouvais, j'hibernerais !!^^

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  9. Le décalage du traitement "façon conte" d'un sujet plus que pesant m'intéresse. Et si la prouesse est réussie, c'est encore mieux !

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    1. Oui, ce décalage procure une expérience de lecture à la fois délicieuse, bouleversante et secouante. J'ai vraiment aimé.

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  10. tiens, j'hésitais pour ce livre, ton avis est forcément très convaincant...

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    1. Laisse-toi donc tenter !;) Très curieuse de ton avis sur ce livre.

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