dimanche 14 février 2016

RETOUR AU PAYS BIEN-AIMÉ


RETOUR AU PAYS BIEN-AIMÉ

traduit de l'afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein

Parmi les auteurs sud-africains de renommée, j'avais entendu parler de Nadine Gordimer, J.M. Coetzee, André Brink, mais de Karel Schoeman, que tchi, malgré une petite vingtaine de romans à son actif et les appels de phare de Keisha pour attirer mon attention sur lui. Et pourtant, quel auteur, quelle écriture raffinée et savoureuse ! Un style narratif qui a le cachet des Zweig et Maraï quand il s'agit de sonder les profondeurs psychologiques de ses personnages, exposées avec justesse et finesse à travers leurs relations, un rien, un regard, une situation, une phrase, chargés de tension et d'électricité malgré une apparente quiétude et des échanges anodins. 
Pour moi, c'était la force de ce récit qui m'a révélé un auteur qui vaut vraiment le détour.

Pour résumer vite fait, ce retour au pays bien-aimé, c'est celui de George Neethling en Afrique du Sud, une trentaine d'années après les troubles (imaginés par l'auteur, rien d'historiquement avéré) qui ont contraint ses parents de s'exiler en Suisse. Il était encore enfant à l'époque et ne garde qu'un souvenir diffus de cette période, malgré les évocations nostalgiques régulières de sa mère. Cette dernière venant de décéder, il décide de retourner dans ce pays pour y vendre leur propriété. En arrivant, il se perd sur la route et atterrit chez des fermiers qui ont bien connu sa famille et n'ont jamais quitté ces terres malgré les événements.
Et c'est là que le long voyage "au pays bien-aimé" commence.

J'ai adoré la façon dont l'auteur a tissé petit à petit cette toile d'araignée dans laquelle est tombée George Neethling. de façon réaliste, parfois inquiétante. Il y avait quelque chose de "Misery" là-dedans, cette impression que George était retenu prisonnier de ces fermiers qui forçaient en lui l'amour de ce pays et des siens. Il a su parfaitement explorer ces rapports ambigus entre George, partagé par ses vagues souvenirs et sentiments d'amour, de nostalgie et de curiosité pour ce pays, tout en ne s'y sentant plus à sa place, et ces fermiers, l'observant à la fois comme une curiosité, un étranger et un des leurs. Un contexte générateur de situations tragi-comiques à travers toutes sortes de gaucheries comportementales. J'ai trouvé particulièrement intéressant aussi l'attitude de la deuxième génération de fermiers vis-à-vis de George et de leurs aînés.

J'ai aimé ce choc des cultures entre George qui ne se sent aucune affinité avec ces gens et ces derniers qui se rendent bien compte de leurs différences, mais comme il est l'emblème de tout ce qu'ils ont perdu, ils se rattachent à lui, quasi de force, tout en s'en méfiant. J'ai aimé l'évocation justement de tout ce qu'ils ont perdu, et la façon dont ils sont malgré tout restés attachés à ce pays, leur regard sur ceux qui se sont exilés et ne sont pas revenus, leur curiosité aussi sur cet "ailleurs" dont ils n'ont pas pu ou voulu profiter.

J'ai aimé aussi ce rapport inversé du Blanc démuni dans un pays où il était le maître, et l'image de l'exilé blanc fuyant une Afrique où il était chez lui, emportant avec lui la nostalgie et le mal du pays. C'est puissant psychologiquement.
Et puis cette description de la vie à la ferme, formidable, tellement réaliste et précise, avec des personnages touchants dans leur façon de vivre, une communauté soudée de gens devenus paysans par la force des choses, hantés par les souvenirs d'une époque faste où ils étaient les seigneurs.

Ce livre m'a évoqué, quelque part, Reste avec nous petite soeur ! d'Aili Konttinen. C'est une thématique qui me touche et me bouleverse, je crois, celle de l'éloignement familial ou d'un pays, et celle du retour, où l'on se retrouve confronté à un gouffre entre ce qui était familier et qui ne l'est plus, et qu'on tente désespérément de retisser des liens parce que ceux qui sont restés vous considèrent toujours des leurs.


L'auteur
Karel Schoeman est né en 1939 à Trompsburg (État libre d'Orange). Romancier, historien, traducteur, il est considéré comme un des écrivains les plus importants du continent africain. La presse française avait été unanime pour saluer en La Saison des adieux (Phébus, 2004) un chef-d'œuvre. Mais quel livre de Karel Schoeman n'en est pas un?

24 commentaires:

  1. Je crois que je ne vais avoir que l'embarras du choix pour poursuite ma découverte tardive quoique très enthousiaste de cet auteur.
    Curieusement dans "Des voix parmi les ombres", il y a aussi une ambiguïté sur le voyage, le trajet qui mène au village... c'est peut-être un motif chez lui...

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    1. Oui, précisément le genre de motifs qui me parle.:-) J'avais repéré ça chez cet auteur quand je commençais à caresser l'idée de le lire. De même, les thématiques qu'il explore me parlent beaucoup.
      Ça a été assez difficile d'ailleurs de m'arrêter sur un titre pour cette LC (et c'est sûr que sans cette LC avec date fatidique, j'hésitais encore longtemps sur le roman à lire en premier^^) mais je ne regrette vraiment pas mon choix. Et je compte bien continuer à le lire aussi.:-)

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  2. Bon, ça va, je continue à te fréquenter. j'aurai le triomphe modeste, mais tu comprends mon amour pour cet auteur?
    Chouette billet, qui me replonge dans une ancienne lecture.Oui, c'est là que dans la ferme survit un rosier?

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    1. Ahaha, "le triomphe modeste" !^^ Tu peux. Oh oui, je suis tombée sous le charme de cet auteur moi aussi. Une révélation (j'espère que tu as tes sels à portée de main ;-)) ! J'enchaînerai probablement avec En étrange pays. Encore un titre qui m'évoque beaucoup de choses, je sens que ça va me parler, et au vu des billets du jour, je ne pense pas être déçue !
      Quant au rosier, j'avoue que je m'en souviens très vaguement (mais bon, tu me connais, ce n'est pas trop la nature que je retiens dans les livres ;-)).

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    2. Dans En étrange pays, OK, c'est peut être parce que c'est le dernier lu, j'ai ressenti exactement ce qu'on ressent en Afrique, avec chaleur et poussière (et tu sais ils étaient habillés en costumes, robes longues et tout ça!)

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    3. :-) Ouioui je le lirai, sûr ! Pour ton histoire de ressenti, j'ai trouvé que c'était sa force également, à l'auteur, de parvenir à nous faire ressentir et vivre l'atmosphère du lieu de l'action. Pour le roman que j'ai lu, j'avais l'impression d'être dans cette ferme, avec ces fermiers. Fou quand même !

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  3. Quelle chronique ! Tu me donnes vraiment envie de lire ce livre !

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    1. Vraiment, n'hésite pas ! Ou n'importe quel autre livre de l'auteur que tu croiserais sur ton chemin. Apparemment, ils valent tous le détour !

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    1. J'ai été séduite moi aussi ! Par son écriture, par sa façon de raconter les événements, d'instaurer une atmosphère, par les thématiques qu'il explore... Bref, que du bon !

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  5. Je découvre cet auteur à l'occasion de cette LC. Une belle découverte pour moi aussi.

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    1. On est tous tombés sous le charme, et ce, à travers des romans différents. Voilà qui confirme mon envie de poursuivre la découverte de ses oeuvres !

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  6. Cet aspect "troubles imaginés par l'auteur, rien d'historiquement avéré" m'a gênée : je m'attendais à quelque chose davantage ancré dans la réalité historique du pays.

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    1. Ah oui, tu as dû être un peu déçue alors.;-)
      Moi je l'ai très bien intégré, ce côté "roman hors du temps", parce que je conçois que l'auteur ait pu imaginer toutes sortes d'événements possibles dans le contexte de l'Apartheid (roman paru en 1972, il me semble). Nadine Gordimer a imaginé aussi des événements défavorables aux Blancs dans "July's People" publié en 1981. Il faut croire que les événements auraient vraiment pu mal tourner à une certaine époque, enflammant l'imagination des écrivains, ce qui n'empêche que leurs oeuvres sont source de réflexions pleines de sens sur une certaine réalité dans ce pays.

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  7. Bien bien. J'ai emprunté ce titre il y a quelques jours mais je n'ai malheureusement pas eu le temps encore de m'y plonger. Je suis en plein dans le Brink (je m'y prends à l'avance, vu mon rythme actuel de lecture; je suis bloquée à la page 60 depuis plus d'une semaine pas que ça soit mauvais, hein, au contraire...) Enfin bref, j'espère enfin découvrir cet auteur très très bientôt.

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    1. Je suis convaincue que tu vas tomber sous le charme de son style toi aussi.;-) Moi j'ai un peu peur du Brink maintenant, haha ! Keisha l'a fini et je ne suis pas sûre qu'elle ait été séduite à 100%. C'est sûr qu'après Karel Schoeman, l'auteur sud-africain suivant a intérêt à être brillantissime !

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    2. Je ne dis rien sur le Brink, mon billet est prêt. Il me tarde d'avoir vos avis. ^_^ Mais après le Schoeman tout paraissait un peu fade, quoi.

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    3. "Je ne dis rien mais après le Schoeman tout paraissait un peu fade." OK, gros indice.;-) Bon, j'aurai lu quelques autres livres entre temps, je reste confiante, et puis il faut que je le lise ce fameux Brink quand même, rien que pour ma culture G. Sans compter que ma collègue en garde un très bon souvenir donc ça m'intrigue tout ça !:-)

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    4. Sur le net, il y a des enthousiastes, mais disons (sans trop en dévoiler) que je souffre du syndrome des Hauts de Hurlevent (celui qui vous fait passer à côté des histoires d'amouuuuuuuuuuuuur). Bon, je dois trouver une image d'antilopes pour fignoler mon billet.

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    5. Aaaah mais je garde un très bon souvenir des Hauts de Hurlevent moi ! Enfin, souvenir d'avoir beaucoup aimé, mais dans le détail, c'est bien plus flou (lecture qui remonte à Mathusalem !). Bon, j'ai bon espoir quand même donc.;-)

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  8. Jamais lu de littérature sud-africaine, ce serait une occasion en or de se lancer !

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    1. Mais tellement !;-) Tu ne peux qu'aimer Karel Schoeman, je n'envisage pas les choses autrement !

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  9. Ca, c'est une histoire qui pourrait bien me plaire ! je note !

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    1. J'en suis convaincue ! Je guette ton avis, je suis persuadée qu'il sera enthousiaste.:-)

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