C'est à la faveur d'échanges sur mon billet sur Le Clou de Zhang Yueran que j'ai noté ce roman de l'auteur chinois, Yu Hua. "Il est excellent", a affirmé Ingannmic. "Une vraie surprise romanesque", a surenchéri Athalie. Avouez, ces arguments étaient imparables, mais les 1000 pages annoncées m'ont tout de même inquiétée.
Un saut en librairie pour voir la bête, elle était tellement énoooorme (son dos a une largeur de bien 12 cm et je ne vous parle pas de la taille de police et des interlignes bien serrées) que je ne voyais pas comment je pourrais en faire une lecture confortable. Et à mon grand dam, la version numérique n'existait pas ! Abandon de projet donc, à mon grand regret, mais vraiment, je ne me voyais pas me trimballer ce parpaing.
Mes co-lectrices habituelles, à qui j'en avais parlé au moment où j'y croyais encore, me relancent toutefois, et motivée par la perspective d'une LC en live, je me résous finalement à prendre la version numérique anglaise (qui, elle, a le mérite d'exister...), même si ce n'est pas ce que je préfère quand la VO n'est pas anglaise.
Bref, c'est ainsi que je me suis retrouvée embarquée dans ce roman incroyable de Yu Hua qui a été une véritable révélation pour ma part, "une vraie surprise romanesque", oui, je suis d'accord avec Athalie, et j'ai d'ores et déjà envie de lire La Ville introuvable et La Chine en dix mots du même auteur.
Pour résumer brièvement, à travers les destins de deux frères de fortune, Li et Song, que l'on suit de l'enfance à l'âge adulte, l'auteur fait défiler sous nos yeux, en une seule génération, près d'un demi-siècle d'histoire chinoise, des années 60-70 marquées par la Révolution culturelle et la répression morale, à l'époque contemporaine caractérisée par une frénésie économique qui a favorisé des ascensions fulgurantes.
Si Song, plutôt du genre doux rêveur, loyal et sentimental, était dans son élément à l'ère de Mao, il se retrouve vite dépassé par son époque tandis que Li, plutôt culotté et ambitieux (et quelque peu lubrique sur les bords), moqué dans ses jeunes années, saura tirer le meilleur parti des bouleversements sociaux et économiques en cours. Enfants, ils s'étaient promis d'être toujours là l'un pour l'autre, quelles que soient les épreuves et les circonstances. Leur loyauté l'un envers l'autre résistera-t-elle à ces chamboulements qui ont affecté la vie de millions de Chinois ?
J'ai adoré ce roman qui annonce le ton, l'esprit et la couleur dès les premières pages. Un ton délibérément débridé qui détend tout de suite.^^ Moi qui craignais quelque chose de trop sérieux, sombre, voire intello, on est plutôt dans une comédie burlesque, délurée et décalée, avec des scènes dignes des plus grandes farces et des délires d'auteur truculents que certains pourront toutefois trouver un peu trop poussés, voire douteux, par endroit (mais paraît-il que la réalité en Chine est encore pire). Enfin, nuançons, comédie dramatique plutôt, car tout n'est pas que rires dans cette intrigue, même si l'on sent que l'auteur nous épargne justement par le truchement de l'humour et de l'ironie. C'est un roman qui a la saveur des contes populaires dans le style narratif. C'était rafraîchissant et un régal pour moi de m'y replonger à chaque fois.
Ce que j'ai trouvé admirable dans ce roman, c'est la façon dont l'auteur orchestre à merveille comédie et tragédie. On passe du cocasse, drôle parfois grossier, au serrage de coeur, genre, mais nooon, pourquoi ? 😭 et ces moments sont toujours sublimement retranscrits, opérant un vrai contraste presque déroutant avec le grand n'importe quoi juste avant.
Les personnages (même secondaires) sont extrêmes dans leurs défauts et on a souvent envie de les étrangler, mais ils sont aussi capables de grandeur d'âme qui remet les compteurs à zéro, sans que leur nature profonde ne soit non plus complètement transformée, et moi, ça me les a rendus profondément humains et attachants.
J'ai aimé aussi suivre l'évolution de l'histoire et de la société chinoises en fond, sans que l'intrigue ne s'appuie pesamment dessus. C'est vraiment l'histoire des frères qui est en premier plan et je l'ai trouvée bouleversante, surtout à la lumière de la fin.
Quelques bémols tout de même : l'auteur prenait un peu trop son temps à mon goût pour raconter les événements par moment, allant trop dans les détails, certains futiles, mais cela n'a pas franchement nui à mon plaisir de lecture, l'intrigue étant tout de même plutôt rythmée dans l'ensemble.
J'ai vraiment envie de poursuivre avec cet auteur facétieux et audacieux qui me fascine par ses prises de risque, et puis bon, malgré quelques passages un peu borderline, il m'a offert des pages sublimes et grandiosement poétiques dans la tragédie qui me remuent encore rien que d'y penser.
Dans les 700 pages en grand format, 1000 pages en poche français, je pense qu'il a mérité d'intégrer les challenges pavéesques :
L'auteur
Né en 1960, Yu Hua est un des auteurs majeurs de la scène littéraire chinoise. Figure centrale de la littérature expérimentale des années 1980, il n'a cessé de se renouveler au fil des décennies. Son roman intitulé Brothers, paru en 2008, a reçu en France un accueil critique très important.
Un pavé et en anglais en plus, bravo !
RépondreSupprimerC'est amusant parce qu'en voyant la couverture, je m'étais attendue presque à un drame ou au moins à une fresque sociale sombre alors que l'ensemble semble bien plus léger que je ne l'aurais pensé, malgré certains passages moins cocasses.
Je ne pense pas me lancer mais si un jour, le roman est adapté en film ou mini-série, je serai au rendez-vous :)
La couverture française est encore pire dans ce qu'elle évoque de sombre et dramatique. À la lecture de ce pavé, je me suis dit qu'une couverture façon manga aurait été très adaptée en réalité.^^ L'univers du roman et le ton narratif m'y ont beaucoup fait penser par moment.
SupprimerTu m'intrigues encore plus !
SupprimerEnfin, plutôt manga seinen que shojo, hein !^^
SupprimerHeu... Le bouquin est à la médiathèque. Dois je me précipiter? ^_^
RépondreSupprimerAhaha, j'ai envie de dire oui, mais je préfère prévenir, certains délires sont un peu borderline. Enfin, moi ça ne m'a pas dérangée, le ton et l'esprit sont donnés dès les premières pages, donc on y entre prévenu assez vite, mais mes co-lectrices n'ont pas apprécié certains passages (surtout sur le dernier quart).
SupprimerA part le côté brique c'est plutôt tentant. Je vais voir si ses autres romans sont un peu moins consistants pour essayer.
RépondreSupprimerIl me semble que ses autres romans sont moins épais en effet.
SupprimerJ'ai l'impression que les Chinois aiment particulièrement les romans fleuves. Je pense aux grands classiques comme Les 3 royaumes de Luo Guanzhong, tu as cité le clou (qui, si je me souviens bien est un pavé), il y a également les ouvrages de Mo Yan. Ton premier paragraphe m'a fait rire car je n'ai pas encore lu ce roman à cause de sa taille justement. Ton billet me remotive. Je remets ce roman dans ma LAL (pour les pavés l'an prochain).
RépondreSupprimerJe trouve qu'il y a un peu de tout côté littérature chinoise en termes de taille. Ça dépend aussi de ce qu'on veut bien nous traduire. Je ne sais pas si c'est très représentatif de l'ensemble de la littérature chinoise, sans parler de ce qui ne se publie qu'à l'étranger. Bon, les classiques sont pavéesques dans quasiment tous les pays. 😆
SupprimerOui, oui, remets ce roman dans ta LAL ! Je suis vraiment très curieuse de ton avis.:)
Bravo pour le pavé, mais las, je ne te suivrai pas en VO sur un volume pareil ni en traduction française avec une police trop petite... La solution pourrait être le grand format d'occasion ? A voir, ton avis me pousse à aller voir de plus près !
RépondreSupprimerC'est peut-être plus gérable en grand format en effet. Je trouve ça vraiment dommage qu'il n'y ait pas de version numérique en français. S'il y a des livres à proposer en numérique, c'est bien les pavés de 1000 pages...
SupprimerMerci pour le lien, je garde un souvenir assez net de cette lecture, j'avais adoré ! (la scène dans les latrines....)... j'ai lu d'autres titres de l'auteur, mais je les ai trouvés bien en-dessous de celui-là, et beaucoup moins drôles.
RépondreSupprimerAh cette scène donne le ton d'emblée et nous prépare pour la suite, c'est clair.^^ J'ai écouté un podcast sur Yu Hua après ma lecture, apparemment son style a beaucoup évolué en quelques décennies. Ses premiers sont a priori plus sombres, moins accessibles. Je compte lire plutôt ses derniers parus, dont La ville introuvable.
SupprimerDes pages sublimes et poétique : whaouh ! Tu trouves les mots pour donner envie de tenter ce plonger dans cet énorme parpaing ! Bon, par-contre, pour la lisibilité en français, si j'ai bien compris, on repassera. Donc, à voir....
RépondreSupprimerJe n'ai pas tenté le livre physique, le voir en librairie m'a suffi^^, mais mes co-lectrices, bien qu'elles s'en soient bien sorties, ont confirmé que ça faisait les bras et que les pages étaient bien denses.
SupprimerJ'adore, on dirait que tu écris tes billets spécialement pour moi, en mentionnant le nombre de pages dès le début !!! bon tu retires 600 pages et je prends l'histoire, car ce que tu en dis la rend bien tentante.
RépondreSupprimerPeut-être qu'en audio, ça pourrait passer ? Tiens, je n'ai pas vérifié si une version audio existait !
SupprimerOh oui cet auteur, je veux le lire....cela fait si longtemps...ouiii...j'en ai plein dans ma PAL...va falloir les sortir didonc....
RépondreSupprimerAh oui celui-là mérite vraiment de sortir de ta PAL. Ce serait déjà un bon début.^^
SupprimerUn auteur facétieux dis-tu et bien voilà que tu me tentes bien...je le note même si pour l'instant je ne me lance pas dans de trop gros pavés ! Tu sais nous donner envie...
RépondreSupprimerFacétieux ici, même s'il traite de sujets sérieux, mais je ne sais pas si ses autres romans sont dans cette veine.
SupprimerAu départ j'étais tentée, mais les passages un peu délirants et extrêmes ne m'attirent pas plus que ça. Je crois que ça restera dans l'ordre du "peut-être".
RépondreSupprimerOui, je crois que ça ne te plairait pas trop, ses délires sont un peu poussés ici, mais ça vaut le coup de creuser dans ses autres romans, ce que je vais faire d'ailleurs de mon côté.
SupprimerAh ce que tu en dis es très tentant (pas les 1000 pages mais le fait qu'elles passent crème)! Le côté potache ou farcesque me freine pas mal par contre...
RépondreSupprimerOui, je comprends que ce soit un frein, ce n'est pas du goût de tous. C'est un auteur qui vaut vraiment le détour en tout cas et ses autres romans ne sont peut-être pas aussi délurés.
SupprimerBon, 1000 pages ça se réfléchit avant de débuter : il me faudra attendre un moment où j'ai un peu plus de temps. là, niveau lecture, je suis "full". Mais apparemment ça vaut le détour, donc je regarde à la bibli : étonnamment ils ont la version papier... en anglais! Va comprendre...
RépondreSupprimerJ'ai mis deux ans et demi avant de me lancer. Mille pages, ça demande toujours une petite préparation psychologique et du temps en effet.^^ Étonnante ta bibli !
SupprimerUne belle brique en effet (lu-brique? Qu'en aurait dit Elsa Cayat?)...
RépondreSupprimerJe n'ai pas en mémoire, là, de livre chinois (contemporain) que j'aurais lu... Ce côté "grande fresque" me fait songer de loin (de très loin!) à la saga Kingsbrige de Ken Follet sur l'Angleterre médiévale, dont j'ai lu plus d'un tome et demi à ce jour: là aussi, des fratries peuvent avoir des destins très différents...
Merci pour cette contribution alléchante (mais, pour moi, ce ne sera jamais en VO ni en version anglaise...).
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Ah oui, la thématique des fratries est assez universelle et ne date pas d'hier. En tout cas, c'est l'un des romans chinois les plus marquants que j'ai lus ces dernières années. D'ailleurs, je vais le rajouter dans mes incontournables. Bien joué pour le jeu de mot.;)
SupprimerTu me le fais découvrir, merci, et c'est très tentant pour moi qui n'ai pas lu d'auteur chinois depuis longtemps.
RépondreSupprimerAvec plaisir, et j'espère te lire à ce sujet prochainement.;)
SupprimerComme tu décris la bête, non, je ne pourrais pas...
RépondreSupprimerOui, je crois que ce n'est pas trop ton créneau.;)
Supprimer1000 pages tout de même, mais si on ne les voit pas passer, je pourrais me laisser tenter.
RépondreSupprimerJe les ai englouties en une semaine (bon, allez, 8 jours^^).
Supprimereh bien, chapeau bas !! Je range l'idée dans la liste des pavés à lire alors, tu as bien fait de t'accrocher à ton objectif :)
RépondreSupprimerOui, ça encourage à se lancer dans d'autres pavés. Mais bon, il faut avoir du temps.;)
SupprimerJe suis admirative de ta ténacité pour aller jusqu'à entreprendre la lecture d'un pavé en anglais ! Bravo ! En tout cas, ton retour ainsi que celui d'Athalie et Inngamic sont vraiment alléchants... Vous savez communiquer votre enthousiasme !
RépondreSupprimerÇa se lit vraiment bien en anglais. C'est très fluide. J'avais même l'impression que c'était moins "littéraire" que la traduction française dont j'ai eu l'occasion de lire les premières pages.
SupprimerQuel livre, quelle lecture ! comme Ingannmic, c'est une lecture commune que je ne peux pas oublier ! burlesque, cocasse, ça pue, ça rote, mais comme tu le dis, on a aussi le coeur serré parce que l'on finit par les aimer ces affreux pas si méchants. Et la peinture de la révolution est sidérante, j'avais appris plein de choses !
RépondreSupprimerCette lecture me marquera longtemps aussi !^^ Oui, c'est un roman audacieux et ambitieux qu'on ne peut résumer à sa dimension parfois grossièrement burlesque. C'est bien plus vaste que ça.:) J'ai vraiment hâte de retrouver l'auteur dans un autre de ses romans.
SupprimerRhooo cette lecture!! Les montagnes russes! 😂 c'était une bien belle LC malgré les bémols de rigueur concernant cette fin hallucinante 😅 mais inoubliable c'est sûr! Très beau retour!
RépondreSupprimerAh ça oui, inoubliable !^^ Très chouette LC dans laquelle je ne regrette vraiment pas d'avoir embarqué.
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