mardi 8 septembre 2020

LE MINISTRE EST ENCEINTE


LE LA MINISTRE EST ENCEINTE

        OU LA GRANDE QUERELLE DE LA FÉMINISATION DES NOMS

Repéré chez Keisha, je me suis empressée de noter cet ouvrage en lecture urgente, déjà parce que les thématiques linguistiques me sont assez irrésistibles, et ensuite parce que le sujet abordé ici m'intéressait tout particulièrement : l'histoire de la féminisation des noms de métiers (titres, grades, fonctions...) qui, comme on s'en doute et comme le confirme le sous-titre, ne s'est pas faite en douceur. 
En exergue, comme pour ouvrir les hostilités, cette phrase de Louise-Athénaïse Claudel, à sa fille Camille :
"Tu ne vas tout de même pas exercer un métier qui n'a pas de féminin !"

Rien ne reflète aussi bien les moeurs sociales d'une époque que la langue, et en contant de manière fort savoureuse les aventures de la langue française à travers les siècles et plus particulièrement sur ces dernières décennies, l'auteur, Bernard Cerquiglini, dépeint ce qui finalement s'apparente à une guerre des sexes qui mêle le linguistique et le politique et oppose les anciens et les modernes.

Je pourrais m'étaler longuement sur cette lecture passionnante, j'ai souligné des passages que je pensais commenter ici mais ils sont bien trop nombreux au bout du compte. 😂 J'ai donc choisi de me focaliser sur la féminisation du mot "auteur" parmi les multiples exemples cités car c'est un des mots qui me semble être sujet à controverse encore aujourd'hui et j'ai toujours voulu être fixée sur son bon usage au féminin.
Il y a plus de dix ans, j'écrivais, il est vrai, "auteur", sans sourciller (en atteste mon ancien blog), puisque c'était la forme attestée. Et puis il y a quelques années, l'usage a commencé à évoluer, de façon quelque peu hésitante tout de même, vers "auteure"/"autrice". J'ai suivi le mouvement, davantage comme un mouton que par conviction (c'est fou d'être conditionné à ce point) mais j'ai fini par trouver ça légitime de féminiser après tout, et j'ai opté pour "auteure". Ces derniers temps, c'est "autrice" qu'on tend à vouloir imposer, avec force revendication parfois, mais là je dis stop, on ne va pas changer tous les quatre matins ! "Auteure", c'est très bien, et pour être honnête, j'ai du mal avec la consonance "autrice". Mais finalement quelle est la forme correcte ?
La question a été traitée dans ce livre, en long, en large et en travers (même cet argument de la consonance), pour mon plus grand plaisir ! Finalement, tout est question d'usage. Quand les règles grammaticales et linguistiques naturelles permettent l'une ou l'autre forme, il n'y en a pas une moins correcte que l'autre, l'usage décidera pour tous (officiellement, la forme attestée à date est "auteure" et l'usage tend vers "autrice"). L'essentiel est de féminiser en fin de compte, de reconnaître le sexe de l'auteure/l'autrice, peu importe la forme dans ce cas précis.

Enfin, je ne pouvais pas terminer ce billet sans parler de l'Académie française, de certains membres du moins, dont l'attitude dans cette affaire m'a profondément indignée, choquée par leur mauvaise foi et l'absurdité de leurs arguments. Oui, certains étaient tellement puristes et conservateurs dans l'âme qu'ils en devenaient complètement bornés, têtus contre toute raison, contre tout bon sens. Cela m'a beaucoup fait penser au roman L'Isle lettrée de Mark Dunn. Sous couvert d'être les gardiens de la langue et au nom de la défense ardente du "bon usage", les plus véhéments s'acharnent à fixer les règles de la langue de façon quasi despotique, appliquant une véritable censure, et, pire encore, dans le cas du débat sur la féminisation des noms de métier et de fonction, il y avait cas flagrants de misogynie pure. Je trouve cela très grave !

Un indispensable pour se rendre compte, encore une fois, du rôle et de la voix secondaires accordées aux femmes jusqu'à il n'y a encore pas si longtemps.

Mon avis Goodreads (ou je me répète un peu 😂)
5/5 étoiles
Un indispensable ! On se rendra compte, à travers cet ouvrage, de la place accordée aux femmes par les hommes, non plus simplement au sein de la société mais dans la langue française, au fil des siècles, et plus choquant et révoltant, sur les toutes dernières décennies (et même années !).
Je crois que les 5 étoiles sont davantage pour le sujet (passionnant et important) que pour l'ouvrage que j'ai trouvé parfois ardu à suivre (= s'accrocher !) et un peu trop "théseux" par moment, bien qu'il traite le sujet de façon remarquable et que j'ai même fini par me détendre être sensible à son humour, au fil des pages.
Je le répète : un indispensable !

L'auteur
Né en 1947 à Lyon, Bernard Cerquiglini est un linguiste français, universitaire, membre de l'Oulipo. Il a exercé de nombreuses fonctions au ministère de l'Éducation nationale, au ministère de la Culture, et est l'auteur de nombreux ouvrages.

14 commentaires:

  1. Parfait! Pour auteur, je fais ce que je veux... ^_^
    De mon temps, mes parents consultaient une 'doctoresse' tu sais, et ça ne choquait personne;
    Pour revenir plus loin, au Moyen Age, plein de métiers avaient u n féminin, et des femmes qui l’exerçaient; Ensuite, hé bien, heu.
    Et je constate que sur ces thèmes langue etc, on a les mêmes appétits!

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    1. Oui, moi aussi pour auteur je fais ce que je veux mais bon, je voulais quand même m'assurer que je n'étais pas dans l'erreur absolue.;)
      "Doctoresse", il me semble l'avoir vu dans quelques romans, ça ne me choque pas non plus. Sinon j'ai beaucoup aimé tous les exemples cités dans ce livre et suivre aussi l'évolution de l'histoire des métiers depuis le Moyen-Âge à nos jours. "Amusant" de voir aussi qu'à une époque, certaines fonctions au féminin désignaient, non pas la femme exerçant la fonction en question (aucune chance qu'elle l'exerce d'ailleurs !) mais l'épouse de l'homme exerçant cette fonction !
      Oui, oui, on est sur la même longueur d'ondes pour ces thèmes.^^

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    2. ^Même réflexion que Keisha.JE me suis fait à autrice, parce que je me suis dit que je disais directrice et par directeure... je crois qu'on est beaucoup conditionné parce que l'on a entendu toute notre vie...doctoresse aujourd'hui ça semble un peu bizarre alors que c'était très courant. J'essaie de l'utiliser au maximum, justement pour habituer ma fille et que pour elle ça soit totalement normal de féminiser. Après la forme...on trouve celle qui nous convient, j'imagine.

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    3. Les mots en -eur, c'est compliqué car il y a au moins trois formes existantes pour marquer le féminin : l'ajout du -e à la fin, qui est la forme la plus spontanée (et naturelle je dirais car pratique courante pour la plupart des mots, les adjectifs en particulier), la variante que tu cites avec directeur/directrice, ou encore la déclinaison conteur/conteuse. Pour auteur, les deux formes "auteure" et "autrice" ont existé par le passé (pas simultanément mais c'est pour dire que la forme "auteure" n'est pas plus nouvelle que la forme "autrice"). Je pense que ce qui dérange avec auteure, c'est qu'on n'entend pas sa féminisation à l'oral, et c'est comme si on la masquait du coup. L'usage finira par imposer une des deux formes comme la plus habituelle. Je pense d'ailleurs que la génération de ta fille trouvera effectivement très normal de dire "autrice".:)

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  2. Le féminisme, je trouve qu'on en parle un peu trop pour l'instant. Ça commence à me saouler !

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    1. Ahaha, j'aime ta sincérité et ce cri qui sort du coeur ! Bon, ici il n'est pas vraiment question de féminisme du genre "femmes qui râlent et revendiquent à tout-va"^^. C'est juste un linguiste qui raconte l'histoire de la féminisation des noms de métiers.;)

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  3. Ah L'écriture inclusive ! Grand débat... Je note, évidemment ça m'intéresse !

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    1. Oui, les règles de bon usage d'une langue en général soulèvent des débats houleux ! Je ne l'imaginais pas à ce point. Et les vieilles habitudes ont la dent dure.:) On oublie parfois qu'une langue évolue naturellement avec la réalité sociale de son époque et qu'on ne peut la figer.

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  4. Je l'ai aussi repéré chez Keisha ce bouquin et tu confirmes mon envie de le lire. Et j'ai bien ri toute seule en lisant ton avis, avant que tu commences à évoquer la problématique autour du terme "auteur" car je me disais déjà dans ma tête que je suis ok pour la féminisation des mots mais que phonétiquement, "autrice" me déplait énormément. mais me voici rassurée, je peux continuer à dire et écrire "auteure" !

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    1. Ahaha ! À vrai dire, ça a été un soulagement pour moi aussi, et une petite satisfaction personnelle.;) Si tu croises ce livre sur ton chemin, n'hésite pas ! Il est vraiment très instructif et passionnant.

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  5. Une lecture d'utilité publique en somme !

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  6. un vaste sujet... J'étais plutôt contre les changements, pensant que "auteur" pouvait désigner une femme sans problème mais finalement... y'a que les imbéciles qui... hein :) Je dis "autrice" même si c'est moche, on s'y fait, et ça existait déjà il y a plusieurs siècles. ("auteure" me fait penser à "hauteur"!!!)

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    1. J'ai l'impression qu'on est nombreux à trouver la consonance "autrice" moche, mais beaucoup se forcent.:) Moi je n'ai pas envie de me forcer, surtout que "auteure" est correct aussi et a également existé par le passé.

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