mardi 28 mars 2017

DOUBLE NATIONALITÉ


DOUBLE NATIONALITÉ

Un titre qui  a tout de suite alpagué mon coeur et mon âme biculturels, et que je n'ai pas manqué noter soigneusement lorsque je l'ai aperçu mis en avant en nouveautés sur le catalogue de la bibliothèque numérique de Paris (béni soit ce projet, je ne le dirai jamais assez !).
J'étais d'autant plus attirée que ce livre ne se présentait nullement comme un essai démonstratif ou un plaidoyer.
La quatrième de couv' annonçait une toute autre ambiance, quelque chose qui versait plus dans le complètement barré que dans le socio-politique ou le trop sérieux :
"Vous vous réveillez dans un aéroport.
Vous ne savez pas qui vous êtes ni où vous allez.
Vous avez dans votre sac deux passeports et une lingette rince-doigts.
Vous portez un diadème scintillant et vous êtes maquillée comme une voiture volée.
Vous connaissez par coeur toutes les chansons d'Enrico Macias.
Vous êtes une fille rationnelle.
Que faites-vous ?"

S'ensuit alors une longue (près de 700 pages quand même) enquête identitaire de notre protagoniste qui, au lieu d'aller consulter un médecin illico, préfère essayer de reconstituer elle-même le puzzle de la vie qu'elle menait et de la personne qu'elle était avant son amnésie, en fouinant entre autres dans son appartement et en lisant ses mails.
Une enquête jubilatoire car cette femme est complètement barrée et déchaînée ! Elle tente désespérément la rigueur d'un Sherlock Holmes pour céder parfois à la subjectivité et aux conclusions hâtives, s'imagine des passés improbables et saugrenus à la lueur du peu qu'elle découvre, oppose mille contre-arguments à des évidences qui finalement n'en sont peut-être pas, peine par ailleurs à se concentrer dans sa lourde tâche, ce qui ne lui facilite nullement la résolution de son problème. Qui est-elle au final ?
"Ni l'une ni l'autre. C'est encore trop simple. Plutôt un peu l'une, un peu l'autre, parfois l'une et l'autre, parfois aucune, en tous les cas là-bas toujours trop d'ici et ici toujours trop de là-bas."

Un roman qui, sous couvert de loufoquerie, aborde quand même les questions de l'identité culturelle et nous entraîne dans des réflexions justes, lucides et censées sur le biculturalisme et les notions de double nationalité et de double citoyenneté. 
L'intérêt de ce livre aussi, c'est que, loin des classiques biculturalismes extrêmes (Asie/Europe ou Afrique/Europe par exemple), notre protagoniste, tout comme l'auteure, Nina Yarkegov, est partagée entre la France et la Hongrie, ce qui amène des considérations encore différentes, et non moins complexes, du fait que ce soit deux pays européens, dont l'un faisant parti de ces pays de l'Est finalement assez méconnus et peu glamours dans l'imaginaire collectif occidental.

Le style narratif de ce roman est assez particulier aussi car notre héroïne converse avec elle-même, à la deuxième personne du pluriel en plus. Ce "vous" nous met du coup à sa place et nous amène à nous poser nous-mêmes des questions sur qui l'on est réellement en fin de compte.

Je découvre là une auteure follement facétieuse que je n'attendais absolument pas dans ce registre du grand n'importe quoi, qui s'éclate vraiment en écrivant et qui vous entraîne dans les délires les plus incongrus et inattendus, voire inracontables. J'ai en tête les épisodes avec Petitetaupe, des délires tellement n'importe nawak que, parfois, elle fait quand même peur ! Et s'il n'y avait que ça ! Je spoile un coup mais notre protagoniste découvre assez rapidement qu'elle est traductrice-interprète. Alors là, il n'y avait plus de limite pour la farfeluterie la plus extrême !

Quant à la fin, car on se demande forcément comment va se terminer cette (en)quête identitaire, je l'ai trouvée totalement inattendue, hilarante et bien trouvée. Cette auteure a vraiment plus d'un tour dans son sac !
C'est un roman assez vertigineux où rien n'est vraiment prévisible, on ne sait jamais avec certitude où on va atterrir, on surfe sur la vague de sujets très variés, liés de près ou de loin à cette thématique identitaire qui s'élargit à d'autres notions comme le racisme et aborde même la récente actualité des migrants en Hongrie, mais jamais on ne chute.

Mon avis Goodreads en quelques lignes :
Allez, ça vaut bien les 4 étoiles au moins, même si j'ai un peu souffert de la longueur du texte par moment (près de 700 pages, on ne se rend pas compte sur liseuse, mais ce n'est pas rien), et de quelques coups de fatigue, l'attrait des autres livres de ma PAL n'aidant pas. Une romancière aussi barrée sur un tel sujet, ça vaut le détour, même si je pourrais rajouter que, par moment, elle peut lasser ou épuiser tellement elle est déchaînée ! Mais au final, j'adore quand même ce genre de personnage. Et puis bon, la thématique est riche, jubilatoire et franchement bien traitée.

Un extrait :
"Car les vrais Français le sont en toute innocence, dans un ingénu relâchement, et même une décontraction, ils n'ont rien à prouver, ils ont le droit de porter des sarouels et des saris, d'adorer les nouilles chinoises [...] sans que cela altère leur solide identité. Un Français sans origines qui se pique d'apprendre le bambara est une personne ouverte et curieuse. Un homme à la peau marron assistant à un concert de Fatoumata Diawara est déjà susceptible de repli identitaire. La vie est profondément injuste."

Également commenté par Keisha dont le billet m'a confirmé que c'était mon créneau.:-)
(petite anecdote, j'ai cherché un moment où se trouvait la Yazigie !!! Hahaha ! Et après, je n'ai pas compris tout de suite pour la Lutringie !! )

L'auteure
Nina Yargekov, née en 1980, est une romancière française d'origine hongroise. Elle est également traductrice simultanée français-hongrois et hongrois-français auprès de l'administration judiciaire. 

10 commentaires:

  1. Rha la la, tu vois que c'était ton créneau!!! (danse de la joie). Jubilatoire et barré, mais aussi des trucs bien sérieux, réels, et ... d'actualité. Et la fin, tu as trouvé ça finaud , moi aussi! Bref, 100% raccord (et ma PAL demeure intacte)
    Bon les gens, faut lire ce livre, qui a peur de 700 pages brillantes, hein?
    Ah oui, Petitetaupe, cette fille est malade, j'avais oublié! ^_^
    (au fait j'ai terminé le coréen, je dois écrire mon billet pour vendredi, juste à temps pour le mois Picquier)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah oui, complètement mon truc, à tout point de vue !:-) Et la fin, bien vue, oui ! :-) Une lecture jubilatoire qui vaut vraiment le détour malgré mes mini-bémols concernant surtout l'effet longueur et fatigue par moment, et puis, 700 pages, ça passe très bien si on n'a pas une PAL avec quelques autres priorités.;-)
      Ouhla, tu nous as préparé un billet pour le coréen ? (frottement de mains) Je viens d'aller zyeuter ton appréciation sur Goodreads. J'ai hâte de lire ça !!

      Supprimer
  2. Déjà noté chez Keisha, je sens qu'il pourrait me plaire, mais les 700 pages (je connais aussi quand les autres romans à lire exercent un attrait presque irrésistible !)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je pense qu'il faut aborder ce livre dans une période où on se sent serein par rapport à la PAL.:-) En tout cas, c'est un récit qui vaut le détour. Il faut juste se préparer psychologiquement aux 700 pages (qui se lisent quand même aisément).

      Supprimer
  3. 700 pages de grand n'importe quoi, même vertigineux, j'aurais du mal à l'avaler je crois.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ahaha, oui, je ne suis pas convaincue que ce soit vraiment ton créneau. Je n'insisterai donc pas.;-)

      Supprimer
  4. L'histoire me branche bien mais plus de 700 pages, ce n'est pas possible. Il me faudrait 6 mois pour le lire, mon blog ne s'en remettrait pas !!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tsss 6 mois, tu exagères, tu lis plus de 100 pages par mois tout de même.;-) Ceci dit, je comprends ton appréhension, c'est un argument que j'utilise volontiers (encore que 700 pages, ça passe encore en pavé raisonnable), mais bon, quand l'histoire me parle vraiment, la longueur devient une parenthèse et je ne me prive pas.:-)

      Supprimer
  5. Sais-tu que tu me tentes grave avec ton roman, même s’il fait 700 pages (ouch.....!!!)...... même pas peur!!!! ^^
    Tu as su trouver les mots pour me séduire, le côté « complètement barré » et déchaîné, la touche loufoque, les questions sur l’identité culturelle qui suscitent aussi un écho en moi. Sans oublier les délires « inracontables » pfffffffffff moi tout ce qui ne se raconte pas j’ADORE!!! mdrrrrr
    Bises et bonne semaine à toi

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, 700 pages, ça se laisse lire tout de même.;-) Surtout que ce n'est pas le genre de roman écrit tassé, serré, avec moult réflexions philosophiques qui prennent bien la tête.
      Si tu aimes le barré, déchaîné, loufoque (et j'ai bien l'impression que c'est le cas), tu y trouveras ton compte, sois-en assurée !^^ Je t'assure, ce délire avec Petitetaupe vaut vraiment le détour ! Et s'il n'y avait que ça ! :-)
      Bises et bonne semaine !

      Supprimer

Merci pour votre petit mot. Les commentaires sont modérés par défaut, mais j'y réponds toujours.