samedi 20 avril 2019

ÉVASION


OLD LONESOME

ÉVASION )

traduit de l'anglais (États-Unis) par Jacques Mailhos

Un roman qui m'a attirée par sa couverture magnifique et par son titre très évocateur. J'aimais bien l'idée d'une intrigue autour de douze détenus en cavale, avec toute l'Amérique à leurs trousses. J'y voyais un mix entre "Prison Break" et "Les douze salopards". De l'action, de la testostérone, du palpitant, du page-turner !
J'étais bien loin de la réalité du contexte de l'histoire...

Nous sommes en 1968, le soir du Réveillon. Douze détenus se sont échappés de la prison d'Old Lonesome rattachée à une petite ville du Colorado encerclée par les Rocheuses. Un peu le trou du monde. Les chances de s'en sortir sont minimes, en pleine nuit, dans le froid, et sous le blizzard, mais le vent de la liberté galvanise les évadés qui n'ont de toute façon rien à perdre.
Sur leurs traces, se lancent la police et les gardiens de prison, dont un traqueur hors pair, deux journalistes locaux mais aussi une femme qui semble bien connaître l'un des fugitifs.

L'intrigue s'articule habilement autour de l'alternance des récits des principaux protagonistes de l'histoire, à savoir, un des détenus, le traqueur professionnel, les journalistes et la femme, offrant ainsi des angles de vue variés sur la situation au fur et à mesure de la traque, mais aussi un regard sur l'histoire personnelle de chacun, leurs propres problèmes, leurs états d'âme, leur rancoeurs et le faible espoir qu'ils ont dans leur propre avenir.

Car dans l'Amérique profonde dont l'auteur, Benjamin Whitmer, dresse ici un portrait sans fard, loin de celui du rêve américain, il n'est nul besoin d'être en prison, cloisonné entre quatre murs, pour se sentir soi-même prisonnier de son passé, de son statut social, de son milieu familial, de ses mauvais choix, et de se sentir écrasé par la fatalité, sans nulle échappatoire à la médiocrité, la solitude, la misère, la haine qui usent. 

"Parce qu'on survit. C'est tout ce qu'il y a. Il n'y a rien dans ce monde qui vaille qu'on vive pour lui, mais on le fait quand même. On n'y pense pas, on continue d'avancer. On survit et on espère seulement qu'on pourra s'accrocher à un bout de soi-même qui vaille qu'on survive."

Une autre phrase coup de poing que l'auteur a choisi en exergue et qui résume tout l'esprit de ce roman :
"Les prisons sont là pour cacher que c'est le social tout entier, dans son omniprésence banale, qui est carcéral." Jean Baudrillard

Mais si on devait faire encore plus court pour résumer l'essence de ce livre :
"La quintessence du noir", ni plus ni moins. Pierre Lemaitre l'a très bien décrit en 4 mots ! Je crois que c'est avec ce livre que j'ai enfin compris ce qu'était un roman noir.

Un roman puissant qui me hante encore aujourd'hui, et pourtant ce n'était pas très exactement ma zone de confort. C'est brut, violent, désenchanté et infiniment tragique mais c'est sans fard, authentique et profondément bouleversant. Le drame et l'absurdité de la condition humaine se dessinent à nu sous nos yeux. Le destin de l'homme ici est comprimé dans un système social impitoyable où chacun (hors-la-loi ou non) cherche simplement à sortir de la médiocrité de sa vie et à survivre avec les maigres cartes que la vie lui a donné.

Je découvre ici aussi l'écriture de Benjamin Whitmer et j'avoue que j'ai beaucoup aimé sa franchise sans fioriture ! C'est direct, droit au but, précis, ça ne s'embarrasse pas de pincettes, mais ça ne cherche pas à impressionner non plus. Ça sonne juste vrai, avec l'authenticité de ceux qui n'ont rien à prouver, ni à perdre, sans un mot de trop, mais de l'ironie en prime, et quelques phrases et vérités bien envoyées. Une voix qui, avec calme mais aplomb, parvient à exprimer toute la violence et l'injustice d'un monde.

Quelques extraits :
"C'est ça le problème avec les mots. On s'en lasse. Et elle, elle s'en encore plus lassée que moi. Du moins des miens. Elle aimait bien l'argent que je gagnais, mais au bout d'un moment elle a compris qu'elle pouvait avoir l'argent sans avoir les mots. Et là, c'était foutu."

"C'est sûr, tout le monde trouvait qu'il était un peu fou. Mais tout le monde vire un peu fou de temps à autre, et parmi ces gens il y en avait plein qui finissaient ici. Cette ville est un endroit où on échoue."

"Sans parler de la climatisation et des toilettes à l'intérieur de la maison, le genre de progrès qu'il considérait radicalement contre-nature, et auxquels seuls les fous pouvaient s'intéresser. Bon sang, imaginer quelqu'un faire ses besoins à l'intérieur de la maison me donne envie de vomir, disait-il."

"Sapprow regarde toujours en direction de la prairie. Son profil ressemble à un truc qu'un rat aurait pu faire en rongeant du carton."

"- [...] Je connais pas beaucoup de garagistes noirs qui lisent.
- Le monde est étrange et divers. Tu pourras toujours y trouver au moins un spécimen d'à peu près n'importe quoi.""

À noter qu'il n'existe pas d'édition américaine ou anglophone de ce roman bien que l'auteur ait déjà été publié aux États-Unis. Étonnant ! Un cas un peu similaire à celui d'Iain Levison, j'ai l'impression.

L'auteur
Benjamin Whitmer est né en 1972 et a grandi dans le sud de l'Ohio et au nord de l'État de New York. Il vit aujourd'hui avec ses deux enfants dans le Colorado où il passe la plus grande partie de son temps libre en quête d'histoires locales, à hanter les librairies, les bureaux de tabac et les stands de tir des mauvais quartiers de Denver.

24 commentaires:

  1. Gallmeister a opté pour des couvertures sublimes, mais des textes un poil noirs pour ma zone de confort. Rien ne presse

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    1. Oui, je suis fan de leurs couvertures actuelles, il y a une vraie recherche de composition graphique, c'est coloré, un vrai plaisir visuel ! Ils ont bien fait de les faire évoluer. Après, si je perçois du nature writing à plein nez, je saurai résister aussi.^^

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  2. Jamais lu cet auteur et ça m'intéresse fort. Je note.

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    1. Oui, tu peux. C'est mon premier de l'auteur et depuis, je me le suis noté comme auteur à suivre.

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  3. Je l'avais déjà noté, suite à plusieurs avis. Ton billet est, comment dire... une magnifique tentation ! Je ne vais pas pouvoir attendre encore très longtemps..

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    1. C'est une libraire de quartier qui m'avait convaincue alors que je fouinais dans ses recommandations. J'avais résisté sur le coup, souhaitant me donner le temps de la réflexion, mais ça n'a pas duré longtemps.^^

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  4. Pas du tout repéré mais je le note. J'aime bien le fait qu'il parle de la société sous des aspects roman d'aventures... Tout à fait d'accord pour la couverture !

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    1. Oui, ce n'est pas juste une "banale" (mais non moins excitante) histoire d'évasion de prisonniers avec la police à leurs trousses comme je le pensais au début. Il y a beaucoup de réflexions autour de la société américaine qui se développent à partir de cet événement, et j'ai trouvé le tout efficacement coordonné.

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  5. Quand c'est très noir, je ne peux pas prédire si je vais aimer, mais je me laisserais bien tenter tout de même...

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    1. Idem, et j'ai tendance à penser que je vais ressortir de là démoralisée, du coup j'ai toujours des hésitations avant de me lancer, mais quand l'auteur sait y faire, ça vaut le détour !

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  6. Le titre m'attire, la couverture aussi, mais pas le sujet. Je passe. Bon dimanche pascal.

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    1. C'est vrai qu'un livre ne s'arrête pas à sa couverture et à son titre.^^
      Bon dimanche (pas trop de chocolats !).

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  7. Ce n'est pas tout à fait a came mais ton billet est très tentant !

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  8. Si tu dis "Sans un mot de trop", cela signifie donc sans longueurs ni descriptions interminables non ? Dans ce cas, ce roman est bien tentant, même si "noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir" !

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    1. Si c'est juste les longueurs qui t'inquiètent, tu peux foncer en effet.:) Mais je remets un warning tout de même pour l'aspect sombre, noir, désenchanté et violent de cet univers.

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  9. Un auteur que j'adore, tu t'en doutes. Son "Pike" me hante encore des années après l'avoir lu.

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    1. Oui, un auteur complètement dans tes cordes, c'est ce que je m'étais dit tout de suite.^^

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  10. ça devrait coller à mes goûts, tiens! ça fait trop longtemps que je n'ai plus lu de Gallmeister d'ailleurs... ça va pas ça...

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    1. On est envahi de tentations diverses qui nous éloignent d'autres, c'est ça le problème.^^

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  11. L'auteur de Pike? Alors là oui, c'est bien noir.
    Mon billet
    http://enlisantenvoyageant.blogspot.com/2013/03/pike-le-tireur-gallmeister-le-retour.html
    J'en disais du bien... (à me souvenir en gros le chaton s'en sort, lui)(donc tu peux y aller sereinement)

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    1. Ah mais si le chaton s'en sort, tout n'est pas si noir !^^
      En lisant ton billet, oui, je reconnais bien là l'empreinte de l'auteur. Amusant aussi de voir mon commentaire et mes projets de lecture de l'époque. DonQ !^^

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  12. Quand il sera enfin disponible en anglais... (A moins que je demande directement à l'auteur. Nous sommes presque voisins.)

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    1. Je n'hésiterais pas à ta place ! La chance ! :)

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