METS ET MERVEILLES
Dans cet ouvrage, l'auteure, Maryse Condé, "nous fait voyager à travers les mots et les mets", et rapproche ainsi littérature et cuisine. "Comment ces deux dons - celui d'écrire, celui d'inventer des plats - ont-ils cohabité en elle, s'influençant, s'enrichissant mutuellement ?"
Littérature et cuisine, deux de mes passions ! - d'ailleurs mon pseudo sur Insta, c'est books_food_swing 😅 - comment résister à cet ouvrage ? Bon, même si, moi, ce que j'entends par cuisine, c'est manger, et non créer des plats. 😆
Je m'attendais à un ouvrage qui allait principalement parler cuisine et littérature, ce qui m'aurait tout à fait convenu, mais en fait, ça va bien au-delà encore, ce qui n'était pas pour me déplaire.
Maryse Condé a séjourné aux quatre coins du monde, au gré de son travail et des colloques et conférences auxquels elle était conviée. Cette autobiographie se lit donc un peu comme un récit de voyages, avec ses observations sur les pays et les villes visités, les gens rencontrés, un récit où la cuisine et la littérature ont leur place mais ne la prennent pas toute. J'ai trouvé ça finalement beaucoup plus passionnant et plus savoureux encore, d'autant plus que la vision qui nous est donnée est celle d'il y a quelques décennies, comme le témoignage précieux d'une époque maintenant lointaine. Maryse Condé évoque les dictatures africaines, le communisme rampant, on voyage avec elle à Cuba, en Inde (où elle a été victime de racisme), en Roumanie, aux États-Unis (j'ai beaucoup aimé l'évocation de la difficulté d'intégrer la communauté afro-américaine en étant soi-même Noir mais pas américain), en Australie, au Japon, en France métropolitaine, en Jamaïque, et quelques autres pays encore, et bien sûr en Guadeloupe.
C'est un récit humain avant tout, à travers lequel j'ai découvert une écrivaine qui gagne à être connue, vraiment ! Quelle vie foisonnante et quel destin intéressant, riche en rencontres et expériences, de la Guadeloupe à toute une grande partie du globe !
Au début pourtant, j'étais bien loin d'être conquise. J'avais été déstabilisée par le style, un rien sophistiqué, qui m'avait même paru pompeux, mais c'est juste une façon de parler très soignée, peut-être celle d'une autre génération, un langage assez châtié comme on n'en a plus beaucoup l'habitude, et qui a fini par sonner très naturel, rafraîchissant même.
De même, elle m'avait paru très prétentieuse, mais c'est juste de la franchise spontanée, sans fard et sans filtre, que j'ai fini par apprécier là aussi. Cette impression de départ s'est d'ailleurs atténuée au fil des pages, à mesure qu'elle se rendait compte de ses erreurs de jugement par exemple.
Je me suis vraiment régalée à la lire. Son écriture se boit comme du petit lait, sa description des plats ouvre l'appétit, sa passion de la cuisine est communicative, ses expériences à travers le monde et son regard sur le monde sont captivants, et ses réflexions enrichissantes et stimulantes. Je la trouvais par ailleurs de plus en plus touchante et amusante au fur et à mesure de ma lecture.
Bref, c'était mon premier Maryse Condé, et sans doute pas le dernier.
Quelques extraits :
"D'après l'expérience que je venais de vivre, j'avais conclu qu'un même plat, en l'occurrence le mafé, diffère selon les peuples qui le préparent. Sur une base commune, arachide, tomate en boîte, viande, toutes les modifications sont permises. Cuisiner est un art. Il s'appuie donc sur la fantaisie, l'inventivité, la liberté de chacun. Les livres de cuisine ne sont que des gadgets pour gogos. Il n'existe pas de règles immuables, pas de directives contraignantes."
"Les visiteurs que nous recevions pouvaient se compter sur les doigts d'une main. D'abord mon frère et ma belle-soeur accompagnés d'un ou plusieurs de leurs enfants descendaient de Basse-Terre. Nous n'avions rien à nous dire, ils n'aimaient pas ma cuisine mais se croyaient obligés de venir s'ennuyer auprès de nous une fois par mois." 😂
"Un pays n'est pas seulement un espace physique, une réalité géographique. C'est surtout une série de sensations, d'impressions, de dispositions, un paysage intérieur que l'on porte en soi."
"Moi qui me suis toujours refusée à hiérarchiser mes deux passions, aujourd'hui je suis bien forcée de constater que l'une possède une éclatante supériorité sur l'autre. L'écrivain, quand il vieillit, vit dans la terreur de radoter, de répéter toujours et encore le même ouvrage. Puisque ce sont les mêmes obsessions qui tournent en rond dans sa tête, les mêmes pensées et les mêmes angoisses qui l'assiègent, une question lui revient inlassablement :
- N'ai-je pas déjà raconté cette histoire ? Dans quel livre ?
Pour se rassurer il lui suffirait de se relire. Hélas il recule devant cette tâche peu agréable.
Pour la cuisinière, au contraire, la répétition est gage d'excellence. Quand les amis exigent : "Fais-nous ce plat que tu réussis si bien", j'exulte et je m'affaire."
L'auteure
Née en 1937 à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, Maryse Condé est l'auteure d'une oeuvre considérable et maintes fois primée : Ségou, La Vie scélérate, Traversée de la mangrove, Moi, Tituba, sorcière noire de Salem... Après avoir longtemps enseigné à l'université de Columbia, elle vit aujourd'hui à Gordes.
Oh oui je reve d'en lire...cette auteure semble exceptionnelle.....
RépondreSupprimerOui, vraiment, j'ai ressenti une certaine admiration pour son parcours de vie.
SupprimerEffectivement, l'écriture... je ne sais pas si j'adorerais ou détesterais ! Le titre me plaît bien par contre !
RépondreSupprimerJ'ai fini par m'en délecter et l'apprécier pleinement, tout comme du personnage de l'auteure d'ailleurs.:)
SupprimerJe ne connais pas ce titre, et ne suis d'ailleurs pas vraiment intéressée par ce sujet, mais j'ai lu 3 romans de cette auteure, qui m'ont tous beaucoup plu : Moi Tituba, femme sorcière (l'histoire des sorcières de Salem imaginée du point de vue de l'accusée noire), Histoire de la femme cannibale et La migration des coeurs (l'intrigue des Hauts de Hurlevent, version caribéenne).
RépondreSupprimerJ'avais déjà repéré les romans de Maryse Condé sans y attacher trop d'urgence mais maintenant ils sont dans ma liste prioritaire, en particulier Moi Tituba, femme sorcière.:)
SupprimerMaryse Condé était dans la bibliothèque de mes parents, du coup, je ne m'y suis jamais vraiment intéressée (je me disais que c'était un peu désuet). Mais là, tu me tentes.
RépondreSupprimer(et du coup, je t'ai recherchée sur instagram, tu verras que j'y poste pas mal de photos de nourriture ;-) )
Arf, tu auras remarqué que je publie peu sur Insta, étant déjà active sur Facebook, mais je suis beaucoup les comptes autour de la nourriture, haha !^^
SupprimerJe pense que tu peux te lancer sans risque dans Maryse Condé, en particulier ce titre-ci, c'est vraiment un régal à tout niveau.
Pas mal de bons arguments, notamment, cet aspect voyage d'une autre époque. Bon la cuisine et moi, c'est parfois, mais pas souvent. Et dans ce cas, je préfère presque faire, parce qu'au moins, je n'y mets que des ingrédients que j'aime... Et après, je mange !!!
RépondreSupprimerMon souci, c'est que je n'ai pas la patience (laver, éplucher, découper, faire rissoler, mijoter...), et la cuisine requiert beaauuucoup de patience pour qu'elle soit goûteuse et savoureuse, sinon c'est bof, même avec les meilleurs ingrédients.^^
SupprimerD'elle je n'ai lu que Ségou (et y' a longtemps!!!)
RépondreSupprimerProbablement un de mes prochains Condé.:)
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