dimanche 25 septembre 2022

UNE HISTOIRE DES NOIRS D'EUROPE


AFRICAN EUROPEANS, AN UNTOLD HISTORY 

( UNE HISTOIRE DES NOIRS D'EUROPE

               DE L'ANTIQUITÉ À NOS JOURS )

traduit de l'anglais (Royaume-Uni) par Guillaume Cingal

Un titre qui a attiré mon oeil en parcourant les nouveautés du catalogue de la bibliothèque numérique de Paris. J'ai, en effet, bien moins lu sur les Africains-Européens et leur histoire que sur les Noirs Américains, et pour cause, on ne trouve pas tant d'ouvrages que cela sur le sujet, une observation qui m'avait déjà incitée à lire La Sonate à Bridgetower d'Emmanuel Dongala.

L'introduction le souligne d'ailleurs :
"On dispose de nombreux ouvrages de grande qualité qui traitent des Noirs, de leur vie et de leurs expériences, dans des contextes géographiques très différents. Cependant, rares sont ceux qui traitent spécifiquement des expériences des personnes d'ascendance africaine en Europe avant la Première Guerre mondiale."
L'auteure, Olivette Otele, ajoute ensuite qu'ils relèvent autrement de l'histoire de l'esclavage ou du fait colonial à partir du XVe siècle, et déplore l'absence de publications sur certains aspects de la vie des figures noires passées à la postérité, comme les liens étroits qu'ils auraient pu entretenir avec d'autres personnes d'origine africaine, et de bien d'autres histoires laissées de côté.

Cet ouvrage couvre une période qui va du IIIe siècle au XXIe siècle, répartie en sept chapitres.
Pour avoir un aperçu du contenu, il m'a semblé plus parlant de glisser ici la table des matières :
1) Premières rencontres => Des pionniers aux Romains d'Afrique
2) Les Noirs en Méditerranée => La Renaissance et l'esclavage (importante population noire en Europe du Sud au XVIe siècle, avec quelques personnages de renom, dont Alexandre de Médicis, premier duc de Florence, et Juan Latino (en couverture du livre) - certains sont devenus célèbres, d'autres ont mené une vie de servitude)
3) La traite transatlantique et l'invention de la race (la vie des Noirs en Europe occidentale et centrale au XVIIIe siècle)
4) Ni ça ni là => Héritages duels et assignations de genre (traite plus spécifiquement des personnes nées en Afrique de père européen, et du rôle des femmes noires dans la construction identitaire (exemple, les signares à Gorée et à Saint-Louis, au Sénégal, et leur influence dans la société danoise contemporaine))
5) La mémoire sélective => Amnésie coloniale et figures oubliées (exemple d'amnésie historique dans les territoires de Brandebourg en Allemagne, une nation qui se présente comme "immaculée" dans l'histoire de la traite des esclaves)
6) Revendiquer un passé, faire face au présent (les parcours des Africains-Européens au XXe et XXIe siècles en comparant les expériences des Afro-Italiens et des Afro-Suédois)
7) Identités et libérations => Les Africains-Européens aujourd'hui (notions de race, de racisme, de racialisme et de citoyenneté, militantisme des personnes noires et exemples de discriminations)

Les objectifs de cet essai en quelques mots : comprendre les liens des personnes d'origine africaine nées en Europe avec le continent africain, dans le temps et dans l'espace, faire revivre et célébrer les vies qu'ont menées tant d'Européens d'origine africaine, déconstruire certains mythes qui ont la vie dure.
Olivette Otele souligne la "nécessité de mieux faire connaître l'histoire des afrodescendants et l'urgence qu'il y a à remanier de fond en comble l'enseignement de l'histoire coloniale dans les pays du Nord. Cet essai cherche à répondre à cette demande, en partant d'histoires individuelles variées, pour mieux connaître le passé et parvenir à déconstruire les formes d'oppression raciale du monde contemporain."

J'ai beaucoup appris en lisant cet ouvrage, ceci dit, s'agissant d'un essai, le plaisir de lecture n'était pas toujours au rendez-vous. Non pas qu'il faille s'accrocher ou que ce soit confus, mais il faut suivre, sans toujours savoir clairement ce qu'on suit. Le développement est plutôt chronologique, mais on revient sur d'autres époques au sein d'un même chapitre. On parle des Noirs d'un pays européen spécifique, et subitement on passe à un autre. Il y a un fil rouge, mais il se fond parfois dans les angles d'approche et les quelques répétitions perturbent plutôt qu'elles n'éclairent vraiment le sujet.
Il y a aussi tout un vocabulaire et des termes propres au sujet que j'ai découverts, tel "blanchité", ou encore, "daltonisme racial" (qui consiste à situer son pays ou sa propre personne comme antiracialiste), avec lesquels j'ai dû me familiariser et dont j'ai trouvé l'existence intéressante (quoique déroutante) car cela reflète finalement une certaine réalité qui n'a pas toujours de nom, et c'est l'expression d'expériences vécues.

Olivette Otele explore toute une diversité de sujets très intéressants au fur et à mesure qu'on se rapproche de notre époque, et souligne des problématiques de représentations de la race, des classes et particulièrement du genre, encore persistantes de nos jours. 

"Il n'est pas rare en effet d'assister, dans le contexte universitaire, à des colloques sur l'égalité sans aucune femme noire."
Autre dichotomie fréquente : "les universitaires noirs ou issus d'autres minorités ethniques sont décrits comme des militants, tandis que les Blancs du groupe majoritaire sont des universitaires."

"Il est également révélateur que les sociétés dites "primitives" soient étudiées par les anthropologues, tandis que la sociologie s'intéresse aux sociétés plus "complexes". Ces hiérarchies reflètent des processus de pensée qui font partie de l'héritage colonial." 

Elle parle aussi de l'effacement du travail des femmes noires dans le discours féministe contemporain. Par exemple, qui savait que le #MeToo scandé par les féministes blanches en 2017 était une récupération du projet meToo lancé en 2006 par Tarana Burke, une militante noire américaine ?

La ligne directrice m'a un peu échappée par moment, mais en ce qui concerne découvrir et en apprendre sur les figures noires qui ont marqué l'histoire ou qui l'auraient mérité, c'était vraiment instructif, et j'ai vraiment beaucoup aimé cet aspect de l'essai. J'ai découvert, parmi tant d'autres personnages dignes d'intérêt, Juan Latino et Alexandre de Médicis mentionnés plus haut dans la table des matières, mais j'ai eu le plaisir de retrouver également le chevalier de Saint-George, Alexandre Dumas, ou encore Pouchkine, les seules personnalités dont je connaissais l'ascendance noire.

Extrait :
"Selon (Jacobus) Capitein (pasteur afro-néerlandais du XVIIIe siècle), mener une existence chrétienne est le but ultime de tout être humain. [...] La piété néerlandaise devait l'emporter sur les objectifs personnels ; les aspirations prétendument égoïstes, comme l'exigence de liberté demandée par les esclaves, étaient donc jugées futiles." 😦

L'auteure
Olivette Otele, née en 1970, est une universitaire d'origine camerounaise. Elle a étudié à la Sorbonne et est devenue la première femme noire à occuper une chaire d'histoire en Grande-Bretagne. Elle enseigne aujourd'hui l'histoire coloniale à l'université de Bristol. Spécialiste de l'histoire des peuples d'ascendance africaine, elle s'attache dans ses livres à analyser les liens entre mémoire, colonialisme et géopolitique.

16 commentaires:

  1. Hé bé le voilà ce livre! 300 pages me dit la médiathèque, car, oui, il y est!!!
    Je suis intéressée (emprunt un jour...) et ne serai pas étonnée si je patine un peu.

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    1. Ta médiathèque est vraiment bien pourvue !:) On ne patine pas vraiment, la lecture reste fluide, mais j'ai parfois cherché à comprendre ce qu'elle voulait démontrer vraiment.

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  2. Je ne suis pas vraiment attiree par les essais...donc pas sure....

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    1. J'aime bien un peu de non-fiction de temps à autre, mais ce sont surtout les thématiques explorées qui m'attirent dans ce cas.

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    2. J'aime trop la fiction...lol

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    3. C'est vrai qu'il y a déjà pas mal à lire dans ce créneau.;)

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  3. Pour les essais, je trouve que l'écriture est ultra importante, surtout si le sujet est touffu. C'est pour ça que j'en ai abandonné certains dont les sujets pourtant me passionnaient mais l''écriture, vraiment gonflante m'en a dégoûté.

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    1. Oui, c'est souvent un peu trop "universitaire" dans le ton, ça manque clairement de rondeur la plupart du temps^^, et parfois, l'expertise prend le pas sur la notion d'accessibilité et ce qui est clair et limpide pour l'auteur ne l'est pas forcément pour le lecteur lambda, mais je me lance quand même irrésistiblement quand le sujet m'intrigue ou me parle vraiment.^^
      Bon, ici ça reste très accessible bien que sur le ton de la thèse tout de même, mais je n'ai juste pas su bien déterminer la ligne directrice, ce qui m'a un peu perturbée par moment.

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  4. Sans être une grande adepte du genre de l'essai, j'aime quand même varier mes lectures et le sujet semble passionnant ici.

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    1. Oui, voilà, ça permet d'explorer d'autres choses aussi.:)

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  5. Je ne le lirai pas parce que j'ai beaucoup d'autres choses à lire, mais je suis sûr que ce livre est très intéressant. On est bien obligés de faire des choix !

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    1. Je ne te jetterai pas la pierre, on en est tous au même point.;)

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  6. Le sujet a l'air passionnant. Comme je suis en ce moment dans des lectures qui tournent autour de cette question, je l'air recherché... et trouvé en bibliothèque. A bientôt peut-être pour un billet (si je parviens à sortir mon blog de sa léthargie...)

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    1. Ah mais je suis très intéressée par d'autres ouvrages autour de ce sujet ! J'en veux bien les références ou des recommandations. J'espère à bientôt.:)

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  7. Ce livre m'intéresse ! J'ai déjà sur ma PAL deux autres essais plus ou moins sur le même thème (en anglais) mais ma PAL débordant, je ne m'y suis pas encore attaquée. Il s'agit de: Howard W. French, "Born in blackness. Africa, Africans, and the making of the modern world, 1471 to the Second World war" et David Olusoga, "Black and British. A forgotten history". J'ai découvert le second comme présentateur d'une intéressante émission de la BBC, "A House Through Time", où il va à la recherche des divers occupants d'une même maison ancienne dans une ville précise (comme Liverpool, par exemple).

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    1. Wow, merci pour ces références ! Ces essais m'ont l'air assez copieux donc je ne vais probablement pas me lancer tout de suite dedans mais ils m'intéressent clairement ! Original comme concept cette émission de David Olusoga.^^ J'ai vu qu'il y avait quelques épisodes sur Youtube ! Chouette !:)

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