mardi 4 octobre 2022

PAS DE LITTÉRATURE !


PAS DE LITTÉRATURE !

J'ai mis beaucoup de temps à composer ma liste de livres à emporter (sur liseuse, ça laisse encore plus de latitude et rend le choix plus difficile) pendant mon récent séjour au Mexique. Éviter le pavé, ou se contenter d'un seul pavé pour tout le voyage ? Ne pas se rater sur le choix dans ce cas (j'avais envisagé 2666 de Roberto Bolaño) (sisi). Plusieurs petits romans pour varier les plaisirs ? Mais quels genres ? Il me fallait du captivant, c'était sûr. Thrillers, polars ? Mais lesquels ? Avais-je envie d'un thriller ? Idéalement du divertissant, hyène hilare garanti plutôt, non ? Mais pas que. Il me fallait un livre avec un peu de corps aussi. Je suis partie avec cinq livres pour pallier à toute éventualité, et finalement, je n'aurai lu que ce roman d'à peine 250 pages, repéré depuis quelque temps et qui, sur la foi de la quatrième de couv, me semblait remplir les bons critères :

"Avril 1950. Gringoire Centon est traducteur pour la Série Noire chez Gallimard. Parlant mal anglais, il fait traduire son épouse en cachette et se contente de transposer le résultat dans un argot approximatif qu'il apprend dans des bistrots mal famés. Désireux de devenir écrivain lui-même, il se laisse entraîner par un drôle d'Américain dans une rocambolesque affaire de truands lettrés, de faux manuscrits et de vrais gangsters sur fond de guerre culturelle Est-Ouest et de lutte entre anciens et modernes pour la recomposition du Milieu parisien."

C'était très prometteur. Je me suis réjouie de cette trouvaille sur les premiers chapitres. L'humour était efficace et truculent, et j'ai été impressionnée d'emblée par les prouesses de l'auteur autour de la transposition, en argot, de textes écrits en français plus formel, politique éditoriale de la Série Noire oblige : "pas de littérature, pas de psychologie, de l'action et la réalité, rien que la réalité !"

Ex :
(traduction de l'épouse)
"Le détective se présenta chez l'écrivain le lendemain en fin de matinée. C'est son épouse qui ouvrit. Peter Gondola ne s'y attendait pas. Pour lui, les écrivains étaient des êtres solitaires trop dans la lune pour s'occuper d'une femme. Surtout d'une femme comme celle-là."
" "Mister Underwood, please ?"
Elle le regarda comme s'il venait relever le compteur d'eau. Sans rien dire, elle lui tourna le dos et rentra dans la maison en lui laissant la porte ouverte. Peter Gondola le prit pour une invitation."

(=> retranscription du mari) 

"Il se pointa chez le babillard aux aurores. Les lèvres de la pépée qui lui ouvrit donnaient envie d'en faire son petit-déjeuner. Comme toujours après une nuit blanche, Peter Gondola n'avait pris qu'un café, il avait comme un petit creux. Vu le morceau, gare à l'indigestion !"
" "Je cherche Underwood.
- J'avais compris que vous ne veniez pas relever le compteur d'eau.
- Et ?
- Il va, il vient, il fait sa vie. Contentez-vous de cette réponse, c'est déjà pas mal."
Très prometteur au début donc, ensuite, c'est parti en sucette, ou plus précisément, c'est devenu trop rocambolesque pour moi, sans compter que le contexte de l'histoire et son époque ne me convenaient pas vraiment en terme d'évasion de l'esprit (années 50 dans une France marquée par la montée des tensions de la guerre froide - on y parle (même si brièvement car ce n'est pas le sujet) Indochine, guerre imminente en Corée, plan Marshall, lutte anti-communiste en Asie du Sud-Est, mais aussi de la pègre marseillaise, de la mafia sicilienne et de la CIA). 

C'est un roman à la croisée des genres, entre pastiche des polars de l'époque, roman noir et roman d'espionnage, essentiellement plein de malice, qui mêle allègrement le monde des truands et celui des lettres, tout cela sur fond de réflexions très intéressantes et enthousiasmantes autour de la littérature, de l'écriture, du langage, de la traduction et des (ré)arrangements, du réel et de la fiction, de l'auteur et du lecteur.
Le roman en lui-même est une sorte de jeu ou d'exercice de style autour de ces notions et regorge de bonnes trouvailles (comme établir le portrait-robot d'un auteur grâce à son style !). Que du réjouissant donc tout pesé, mais la voie prise par l'intrigue m'a vraiment laissée sur le bord par la suite et l'humour avait fini par ne plus prendre, à quelques fulgurances près. 

Je n'étais pas assez concentrée aussi et n'avais pas vraiment le temps ni spécialement l'envie de lire de tout le séjour, ce qui m'a peut-être empêchée d'apprécier ce roman à sa juste valeur. J'ai fini par terminer ce livre en diagonale dans l'aéroport au retour, histoire d'en avoir tout de même fini un sur les cinq (j'avais vu large 😅).

Extraits
"Un jour, Gondola avait entendu dire que les femmes d'écrivains tombaient en réalité amoureuse d'une oeuvre. Parce qu'elles n'avaient pas su faire la différence entre un roman et la réalité, elles finissaient mariée à un maigrichon à lunettes qui passait ses nuits à taper à la machine en fumant.
Quel était le chef-d'oeuvre qui avait pu conduire celle-ci devant l'autel ?"

"Une de mes rares règles de traducteur stipule qu'un petit fantasme passé en contrebande ne peut pas nuire au sens général."

L'auteur
Sébastien Rutés, né en 1976 à Annecy, est écrivain et maître de conférences spécialiste de la littérature latino-américaine et plus particulièrement mexicaine.

12 commentaires:

  1. Je vois le pourquoi de ton choix, l'auteur spécialiste de littérature mexicaine (tiré par les cheveux)

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    1. En fait, c'était surtout le résumé qui m'avait attirée, une histoire autour de traducteurs, d'écrivains, etc, ça c'est toujours irrésistible pour moi, mais c'était une belle coïncidence de découvrir par la suite que l'auteur était un spécialiste de littérature mexicaine, oui.^^

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  2. En tout cas, le point de départ de cette histoire est vrai : Marcel Duhamel, fondateur de la Série Noire chez Gallimard est le traducteur pendant des années des livres qu'il publie alors qu'il parle à peine anglais. Les traductions sont désastreuses, le texte est amputé mais certains titres sont encore republiés, ce qui est un vrai scandale. Il a fait beaucoup de tort à bien des auteurs américains, je pense en particulier à Jim Thompson.

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    1. C'est ce que j'ai découvert en lisant ce livre.^^ Je n'en suis pas revenue ! Les "réarrangements" de traduction, voire réécriture, pour coller à l'esprit et au genre de la Série Noire sont particulièrement bien illustrés ici, rien que dans les extraits que j'ai cités. Je n'ai lu qu'un Jim Thompson (que j'ai adoré) mais en VO. Il semblerait que j'ai bien fait.^^

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  3. C'est vrai que c'est dur de choisir le livre (ou les livres) des vacances... j'ai bien pioché cette année, mais je n'en avais pris qu'un et je l'ai dévoré, après je n'avais plus rien. J'aurais dû prendre la liseuse.
    Je ne connaissais pas l'histoire de Duhamel, que rappelle Sandrine dans son commentaire. C'est vraiment honteux. Quant à ce livre, je passe mon tour ça ne me tente pas du tout.

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    1. La liseuse, c'est ma grande amie des voyages depuis un moment. Tellement pratique !:) Après, il y a toujours la possibilité de faire un saut dans une librairie sur place, ça peut laisser la chance à de belles découvertes livresques selon les sélections de mise en avant des libraires.
      Et j'ai découvert aussi l'histoire de Duhamel et le concept de la Série Noire grâce à ce livre.:)

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  4. Et bin le sejour a ete bien prenant....c vrai que cela semblait bien interessant comme livre...;)

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    1. Oui, plus prenant que je ne m'y attendais.:)

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  5. oh dommage, ça avait l'air alléchant en effet... Whaouh, le Mexique !! Je me pose les mêmes questions que toi quand je voyage, surtout qu'il faut souvent partir léger (mon homme veille!) et on ne voudrait surtout surtout pas manquer de lectures (ciel!!)

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    1. Oui, gros dilemme, le choix des livres à emporter en voyage. Partir léger, c'est possible avec une liseuse, mais si les livres chargés ne font pas partie de l'envie du moment, c'est le début de la prise de tête...^^

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  6. Si c'est trop rocambolesque pour toi, je passe ! A part ça, ben je pense que si un voyage est réussi, il ne donne pas beaucoup le temps de lire ! Pour le Kenya, j'avais emmené Jonathan Coe... 30 pages lues dans l'avion à l'aller et c'est tout ! Et dans l'avion retour, trop crevée pour lire !

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    1. Aaah j'aime quand même avoir le loisir de lire quelques pages, ne serait-ce qu'avant de m'endormir, ou alors en transport, ou sur la plage, mais ma tête n'y était pas. Trop d'excitation peut-être. Et la fatigue de la journée aussi sûrement. Je dirais plutôt qu'un livre est réussi s'il parvient à vous absorber, même en voyage.^^

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