Tome 1 de la trilogie du même nom et j'annonce d'emblée qu'il me tarde déjà de lire les deux tomes suivants !
Repéré sur les blogs il y a six ans par là, j'ai enfin pu le caser, comme quoi, tout espoir est permis.^^
Ce qui m'a intéressée d'emblée, c'est le contexte historique : l'Atlanta d'après-guerre (l'intrigue se déroule en 1948) et ses huit premiers policiers noirs. Mais oui, en fait, je n'avais jamais rien lu sur le sujet des premiers officiers noirs aux États-Unis ! Comment s'est passée leur intégration et quid de l'exercice de leurs fonctions dans un contexte racial aussi chargé qu'à l'époque ? L'épigraphe en début de roman donne tout de suite le ton. Un des agents de l'époque, retraité à la fin des années 70, s'exprime ainsi :
"I must tell you, it was not easy for me to raise my right hand and say, 'I Willard Strickland, a Negro, do solemnly swear to perform the duties of a Negro policeman.' "
"J'avoue qu'il ne m'a pas été facile de lever la main droite et de déclarer : "Moi, Willard Strickland, nègre, je jure solennellement d'exercer les fonctions d'un policier nègre." "
Extrait d'un discours prononcé en 1977 par Willard Strickland, retraité, l'un des huit premiers policiers afro-américains recrutés par la police d'Atlanta en 1948.
Bon, pour ce qui est de l'exercice de leurs fonctions, c'est vite réglé : leur périmètre se limitait à Darktown, ainsi que sont désignés les quartiers noirs d'Atlanta, et leur rôle de flic était presque anecdotique, consistant principalement à arrêter les ivrognes et empêcher les hommes de battre leurs femmes. Ils ne pouvaient patrouiller qu'à pied, n'avaient pas le droit d'arrêter des suspects, ni même celui de mettre les pieds dans les locaux de la police. En bref, pas de vrais pouvoirs ni d'autorité. Ils devaient, par ailleurs, se présenter à chaque fois en disant "Negro Officer Untel" (traduit "Agent nègre Untel" en français). Et bien sûr, aucun respect, aucune considération de la part de la grande majorité de leurs homologues blancs qui ne rataient pas une occasion de les humilier (sans qu'ils puissent vraiment riposter).
Pas simple de mener une enquête dans ce contexte ! Surtout que, dans les faits, ils n'avaient pas le droit d'enquêter ! 😅 Non, non, si enquête il devait y avoir, cela était pris en charge par les officiers blancs, même dans Darktown, avec, on imagine bien, assez peu d'intérêt et de sérieux quand cela concernait la communauté noire.
De tout cela, on s'en rend bien vite compte dès les premières pages qui m'ont tendue tellement l'ambiance était réussie, le contexte ségrégationniste parfaitement rendu.
Lucius Boggs et Tommy Smith, notre duo de flics noirs, auraient bien aimé arrêter cet homme blanc grisonnant en état d'ébriété au volant de sa voiture et au côté duquel se trouvait une jeune femme métisse visiblement blessée et apeurée, mais l'officier Dunlow, réputé pour sa brutalité, n'a pas estimé nécessaire de le faire. Lorsque le corps de cette femme est retrouvé quelques jours plus tard dans un dépotoir, Boggs et Smith décident de mener une enquête officieuse... à leurs risques et périls.
À partir de là s'enchaînent les moments inévitablement crispants et haletants qui tiennent du page-turner, et heureusement que l'auteur, Thomas Mullen, insuffle beaucoup d'humour dans ses descriptions et personnages, ça équilibre un peu la tension et c'est franchement bienvenu. Il y a aussi quelques scènes juste grandioses et superbement racontées, ainsi que des dialogues et réparties bien envoyées qui m'ont régalée.
Ce que j'ai trouvé très réussi également, c'est qu'il ne s'agit pas juste d'une enquête qu'on suit de façon classique. Il y a tout le quotidien de la ville et des personnages, avec d'autres affaires qui surviennent et qui dessinent vraiment bien le contexte racial de l'époque.
Autre très bon point, on n'est pas dans le manichéisme et c'est là que ce roman est très convaincant. On peut distinguer des zones grises chez tous les protagonistes, l'intrigue est très réaliste et loin d'être prévisible ou convenue.
Pas de bémol, j'ai adoré ce roman que j'ai trouvé hyper bien fichu et vraiment, l'auteur a réussi à dépeindre l'Atlanta d'après-guerre et son contexte racial avec brio. Tout sonne juste, les personnages sont très réalistes et surtout, nuancés. Non, vraiment, très fort.
Enfin, on sent vraiment l'injustice de certaines situations et l'impuissance des Noirs face aux Blancs. Ce qui rend cette lecture supportable, c'est qu'on sait que les choses ont évolué depuis, heureusement, même s'il reste encore du chemin.
L'auteur, Thomas Mullen, est un Américain blanc, qui n'est pas originaire d'Atlanta, mais qui y était installé depuis dix ans à la parution de son livre. D'après une interview que j'ai suivie sur Youtube, il a fait énormément de recherches sur le sujet, hésitant même à écrire une non-fiction plutôt qu'un roman. Sa trilogie a par ailleurs été très bien accueillie par la communauté noire d'Atlanta, une question qui lui a été posée lors de cette interview et qui ne peut que nous traverser à l'heure des débats et sensibilités autour de l'appropriation culturelle.
LC avec Stéphanie.


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