dimanche 13 juillet 2008

LES MOTS ÉTRANGERS


LES MOTS ÉTRANGERS

Présentation de l'éditeur
"Grec par ses parents, Français par ses enfants, Vassilis Alexakis se promène depuis près de trente ans d'une langue et d'un pays à l'autre.
Pourquoi a-t-il donc éprouvé un jour le besoin d'apprendre et d'écrire une langue supplémentaire : le sango, idiome africain peu connu, parlé en Centrafrique ? Il espère sans doute que cette troisième langue finira par le rajeunir. Il souhaite qu'elle l'aide à retrouver ses sensations d'enfant quand l'alphabet et la grammaire grecs l'impressionnaient. Et ses élans de jeune homme que le français a aussitôt enchanté et ravi.
Il doit bien y avoir encore une raison, plus secrète, la vraie raison qui l'aura décidé à mener aussi sérieusement ce projet, de Paris à Bangui, d'une île des Cyclades au lac des Sorciers... "

Une belle découverte que cet auteur, à travers ce roman qui met en scène un narrateur inspiré de l'auteur lui-même et saisi d'une obsession particulière pour une langue étrangère des plus exotiques et quasi inconnue : le sango, parlé en Centrafrique. Lubie qui permet au lecteur de découvrir, lui aussi, un pays et une culture sur lesquels il n'aurait jamais pensé se pencher sans l'entremise de notre narrateur.

Un délire personnel auquel j'ai pu m'identifier par l'étude que j'ai entreprise moi-même de quelques langues comme ça, en autodidacte. Je me suis vraiment retrouvée dans ses réflexions liées à l'apprentissage de cette langue, la façon dont il l'applique au quodien à travers des exercices improvisés, sa découverte d'une culture à travers une langue, il y a quelque chose de vraiment délirant (au sens fou ET drôle) dans son rapport à cette langue qui affecte son quotidien, ses pensées et son regard sur ce qui l'entoure. Ses réflexions et observations sont d'une telle justesse et sont alimentées d'un humour si subtil que je n'ai pu m'empêcher de sourire tout au long de ma lecture.
Ce qui est excellent aussi, c'est qu'à travers son apprentissage du sango, on finit nous-mêmes par pouvoir former des phrases et comprendre ce qu'il écrit en sango. C'est que le narrateur fait une analyse si fine de cette langue et de son fonctionnement que ce livre pourrait être un manuel d'apprentissage du sango pour débutants!

En dehors de cet aspect ludique lié à l'apprentissage d'une langue, ce livre apporte également une réflexion sur la langue en tant que vecteur d'identité culturelle. Le narrateur, grec d'origine et français d'adoption, oscille entre ces deux langues et s'échappe dans une troisième pour finalement se rendre compte que les centrafricains lui ressemblent un peu dans leur impossibilité de se définir vraiment linguistiquement (et donc culturellement). Leur langue officielle est le français, imposé par la colonisation et resté maître après leur indépendance, et le sango, langue vulgaire au sens linguistique du terme, n'est pas enseigné :

"Nous n'avons jamais appris à écrire notre langue. Il n'existe pas de manuels scolaires en sango, nos instituteurs n'ont pas été formés pour l'enseigner. Son introduction dans les écoles demanderait un effort considérable que nos politiques ne sont pas prêts à soutenir. Ils se rendent bien compte qu'ils ont besoin du sango pour communiquer avec la population, toutefois ils ne le possèdent pas toujours très bien. Leur français est meilleur. Autoriser l'enseignement du sango reviendrait à reconnaître le droit du peuple à la parole. La majorité des élèves ont des difficultés avec le français, qu'ils entendent pour la première fois à l'âge de six ans."


Bref, un roman riche en observations linguistiques très intéressantes, qui m'a révélé un auteur dont le style m'a enchantée, un style sobre mais néanmoins savoureux, j'ai encore en tête quelques phrases sublimes! Il y a par ailleurs quelque chose de loufoque dans les situations décrites, ses réflexions, qui transparait de façon très subtile, comme en filigrane. J'ai vraiment aimé cet humour anodin, discret, qui se glisse très naturellement entre les lignes et que l'on pourrait croire involontaire.
De quoi me donner envie de découvrir ses autres livres! Merci à Daniel Fattore de m'avoir conseillé ce roman et cet auteur !

8 commentaires:

  1. ... et merci pour cette relation!
    Cet auteur bosse son style à mort, quitte à n'écrire que dix lignes par jour... jusqu'à ce que ça sonne juste. A noter qu'il dessine, également. Bonne continuation dans son exploration! Ca en vaut la peine. "Ap. J.-C." est par exemple une visite non conformiste du Mont Athos, zone de monastères orthodoxes célèbre.

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    1. Oui voilà! Son style sonne très juste, on sent que rien n'est laissé au hasard, mais en même temps c'est fait avec beaucoup de subtilité donc tout coule naturellement comme si l'écriture était spontanée. Je ne savais pas qu'il était perfectionniste à ce point. Enfin, il a l'air d'en avoir écrit pas mal de bouquins, donc côté rendement, on n'est pas perdant! Quelle chance pour moi (quelle chance?...euh...)!

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    1. Il est vraiment très bien traité et c'est un auteur que je recommande à mon tour!

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  3. Intéressant, ce livre, que j'avais déjà vu chez Mr Fattore.

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    1. Oui! Et je re-re-recommande! :) C'est un petit livre en plus, de quelques 300 pages, mais assurément un de mes plus grands plaisirs de lectures de ces derniers mois!

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  4. Ce qui est intéressant aussi, c'est le fait que la découverte de cette langue conduit le narrateur jusque en Centrafrique.
    Le personnage y découvre la difficile survie des langues nationales africaines au côté du français, les problèmes autour d'une littérature en sango, etc. Le fait du parcours singulier du personnage entre le grec et le français semble lui donner une souplesse d'esprit lui permettant de saisir le caractère périlleux de la situation.

    Quand les mots étrangers rapprochent les hommes et soignent un deuil douloureux.

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    1. Tout à fait! Merci de le souligner! C'est tout à son honneur d'ailleurs que de mettre en valeur le sango, et par extension les langues nationales africaines, par le biais de ce roman.

      D'une manière générale, ses observations liées aux langues sont très pertinentes, lucides et éclairées. La sensibilité linguistique de l'auteur/narrateur s'explique certainement par son parcours personnel, en effet.

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