vendredi 29 juin 2012

STALINGRAD OMNIBUS


STALINGRAD OMNIBUS
  
Alors ça, c'est typiquement le genre de roman improbable qui trouve son chemin vers moi par hasard, au détour d'une bib', et dont je ne m'explique ni l'attirance, ni l'envie de le lire. Et encore pire, une fois la première page lue, je n'ai pas compris pourquoi je n'arrivais plus à m'en détacher alors que j'étais attirée par bien d'autres lectures.
  
C'est la voix du narrateur déjà, je pense, qui m'a complètement subjuguée, et par là même, le style de l'auteure, Vanessa Fuks. 
J'ai aimé sa verve, son franc-parler, brut, façonné de vérités sans détours. J'ai aimé l'idée de faire parler un clochard, car les entend-on jamais vraiment... J'ai aimé le fait qu'elle le fasse penser et s'exprimer avec intelligence, le laissant porter un regard lucide sur la société et sur lui-même, dans une écriture colorée, percutante, qui a de la personnalité.

 Des extraits: 
"Vous vouliez du Zola, ben en voilà. C'est facile à trouver.[...] Là, juste au coin de la rue. Si ça se trouve, vous avez croisé Valjean hier et vous l'avez même pas reconnu. J'exagère ? Non, la misère est la seule à ne pas évoluer au fil du temps. Ça sent pareil aujourd'hui qu'il y a deux siècles. Le pus, le renfermé et l'ammoniac."

"La patronne du café est encore en train de laver le sol... [...] Son oeil jaune me fustige par-dessous la paupière lourde peinte en vert. Un clodo dans son palace! Elle ouvre le gouffre qui lui sert de bouche, je devine que c'est pour me demander de sortir de façon peu courtoise mais le doc diagnostique la diarrhée verbale de façon anticipée.
- Monsieur est avec moi."
Plus loin
"- Un café et un croissant pour le docteur et pour l'autre, ce sera quoi ?
L'autre, la chose, celui qui vient d'ailleurs. J'ai l'habitude mais l'oeil du docteur s'obscurcit de colère. Pas la peine, je ne vaux pas une poussée d'adrénaline. J'élude l'insulte d'un vague geste de la main en direction de la mégère.
- Pareil.
En fait, j'en crève pour un ballon de blanc mais je ne peux pas. Pas devant le seul docteur, voire le seul être humain, qui se préoccupe de ma santé."

"La première goulée, bon sang, c'est une petite extase montée de toutes pièces par l'attente et le manque qui me broie presque en deux. Je visualise presque mes cellules à l'agonie, hurlant pour leur poison et soudain, vlan, la douche salvatrice, l'onde se répand de façon centrifuge, la misère, la douleur s'effacent une seconde et c'est tout, mais pour cette unique seconde, je me condamne à la quête éternelle."
Je trouve ce passage tout simplement magnifique ! Des descriptions vives, des images précises, des mots choisis avec justesse...
  
"La générosité d'un pauvre, ça ne se refuse pas. Se dire qu'on peut encore donner un peu quand on n'a plus rien, c'est juste la dernière marche avant le fond. Je vois dans ses yeux délavés par une vie trop dure, sans pitié, la fierté d'être la main tendue et non l'inverse."
Très fort, très évocateur.

J'ai été assez marquée par ce clochard et par le réalisme de son quotidien. Un récit sans vraie rancoeur, sans agressivité, sans chercher à apitoyer. Un homme résigné mais pas abattu. J'ai été assez bouleversée par cette démonstration de courage au quotidien. Il en faut pour vivre cette vie. Pour un peu, on aurait cru que c'était du vécu et un vrai témoignage. J'avais vraiment l'impression d'être dans la peau et la tête de ce clochard parfois, et ça c'est assez fort. Ça secoue, ça bouleverse, ça révolte, cette impression d'injustice, la faute à pas de chance, et même si on n'y peut pas grand chose, on ne peut rester indifférent.

J'ai moins accroché à l'intrigue en elle-même, celle impliquant ce jeune paumé aux troubles psychologiques qui semble persuadé que son salut est dans la rue. Je n'ai pas bien compris cette partie, elle m'a moins touchée. Ça m'a fait l'effet de ce titre qui me laisse encore perplexe aujourd'hui.
Ceci dit, cela ne m'a pas empêchée de dévorer ce récit.


Je regarde les clochards aujourd'hui, et mon attitude n'a pas changé. Un pincement au coeur comme d'habitude, peut-être plus vif en repensant à celui de ce roman, et ce même sentiment d'impuissance. Et puis j'avance, et puis j'oublie. Jusqu'au prochain... mais bizarrement, la voix de cet homme me reste en tête.

L'auteure
"Née en 1973 à Paris XII°, Vanessa Fuks, dès que ses neurones en acquièrent la capacité, exprime le désir d’être vétérinaire, affection mentale bien connue dans le milieu médical sous le nom de : "Syndrome Daktari". Parvenir à la conquête du Saint Graal, matérialisé par le diplôme de Docteur en médecine vétérinaire, nécessite de longues études qui lui permettent de découvrir la littérature, qui somme toute, l’intéresse plus que le lancer du poids ou le théorème de Thalès. Après un début de carrière riche en voyages et un passage bref mais remarqué au Service de Santé des Armées, elle s’installe comme vétérinaire de campagne sur l’île d’Oléron et prend enfin le temps d’écrire des romans et de faire des bébés." (présentation des éditions Les Contrebandiers)

6 commentaires:

  1. Une vétérinaire qui se met dans la peau d'un clodo parisien, pas tout de suite évident. Mais le style a l'air d'être de ceux qu'on n'oublie pas...

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    1. Pas banale, en effet, cette auteure ! Et elle s'en sort plus que bien. Ce roman m'a en tout cas convaincue de son talent d'écrivain.

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  2. Les passages sont parlants!

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    1. N'est-ce pas ? J'en avais noté bien d'autres mais il faut bien faire un tri...

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  3. belle conclusion de billet. De même, le dernier extrait est très vrai, on le ressent quand on voyage en "pays pauvre"... Ce livre me tente bien, je note.

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    1. Et c'est un roman court, moins de 200 pages ! Pour la conclusion, ça m'a coûté de me l'avouer mais bon, c'est tellement vrai... J'aime beaucoup le dernier extrait aussi, et c'est vrai ce que tu dis des "pays pauvres", la générosité des gens est parfois confondante !

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