dimanche 17 mai 2015

L'ARABE DU FUTUR - TOME 1


L'ARABE DU FUTUR

UNE JEUNESSE AU MOYEN-ORIENT (1978-1984)

Riad Sattouf, j'ai un peu honte de l'avouer, m'évoquait toujours humour gras, un peu lourd. Il faut dire que je l'associais aux "Beaux gosses" et à "Jacky au royaume des filles", films que je n'ai pas vus pourtant mais dont les extraits ne m'ont pas semblé déborder de finesse... Je ne me suis donc jamais précipitée sur ses BD même si parfois la curiosité me prenait. 
C'est une toute autre affaire avec L'Arabe du futurrepéré chez Alison Mossharty, et que j'ai vu beaucoup commenté par la suite. J'ai tout de suite été interpellée par ce titre auquel j'avais du mal à donner un sens (j'ai adoré le découvrir à la fin) et qui m'intriguait assez.

Dans cet album, l'auteur nous livre ses souvenirs d'enfance partagée entre la Libye, la Syrie et la France dans les années 80, une vision d'une époque, à hauteur d'enfant, et je rejoins Alison sur ce point, quand on est enfant, on décrit ce qu'on voit de façon assez brute, sans analyse, sans jugement, avec une certaine innocence et sans a priori. Ce qui est intéressant, c'est que nous, adultes, avec le recul, pouvons donner un autre sens à tout cela, voir les incohérences d'un système, le ridicule d'une situation, la connerie humaine aussi au sens large. C'est assez typique d'ailleurs de ces récits vus à hauteur d'enfant, où nous, adultes, comprenons tout autre chose. Je pense entre autres au Garçon en pyjama rayé.

Ce que j'ai apprécié, c'est que tout ceci est traité avec énormément d'humour, sa maturité d'adulte lui donnant peut-être le recul nécessaire pour partager ses souvenirs avec dérision et une certaine désinvolture. En même temps, il y a quelque chose d'oppressant qui se profile tout le long de son récit, car la Libye et la Syrie qu'il décrit sont celles des années 80, sous les dictatures, respectivement, d'Hafez el-Assad et de Khadafi. J'ai trouvé que l'auteur arrivait très bien à rendre toute la réalité de cette époque en la cadrant bien dans son contexte, à faire passer beaucoup de choses subtilement, tout en restant dans la dérision. On sourit de la façon dont il voit les choses enfant (j'ai même beaucoup ri je dois dire), on frémit à l'idée de ce que ces dictatures ont entraîné comme conséquences dans le quotidien des gens, dans leurs comportements, leur façon de penser. On voit en particulier l'ambivalence du père vis-à-vis de cette situation.

C'est le père qui entraîne sa famille en Libye puis en Syrie, avec une certaine fierté dans ces pays, un certain espoir, une confiance totale et une certaine idéalisation des pays arabes. La mère suit sans trop se poser de questions visiblement. Rien n'est dit qui pourrait traumatiser ou inquiéter l'enfant d'avance. C'est d'autant plus amusant du coup quand sur place, le père se rend compte que les choses ne sont pas aussi roses que les souvenirs qu'il avait en tête, et que pour cacher sa gêne ou son humiliation, il se frotte le nez (j'ai adoré cette image qu'on retrouve plusieurs fois tout le long de l'histoire, qu'est-ce que ça m'a fait rire !). Étonnant et intéressant aussi son attachement quasi viscéral pour ces pays, alors qu'on voit bien qu'il y a un certain danger, qu'il doit faire profil bas la plupart du temps, que ce serait tellement plus facile pour lui et sa famille en France, et malgré tout, il y retourne, il persiste. Intéressant cette ambivalence du père, intéressant et inquiétant, car on visualise bien ce genre de personnes conscientes des problèmes et incohérences d'un système, et qui n'arrivent pas à l'admettre, à soi déjà, et aux autres ensuite. Il s'agit toujours de garder la face, devant sa femme et son fils.

Et dans ce contexte peu évident, on voit un gamin partagé entre deux cultures, qui s'attache quand même à celle de son père. Ce dernier lui fait par exemple découvrir un truc douteux qui est en fait une aubergine marinée, il adore. Il compare l'odeur de sueur de sa grand-mère paternelle à l'odeur de parfum de sa grand-mère maternelle, il préfère la première, j'ai trouvé ça touchant. J'ai bien aimé aussi ce rendu des deux cultures entre lesquelles il balance et doit s'adapter. Deux mondes différents tout de même, la France, la Syrie, entre lesquels il doit trouver ses repères, ce qui n'est jamais évident, surtout qu'on ne lui demande pas son avis. Malgré les petites difficultés dans l'un et dans l'autre, on voit qu'il se bâtit sa petite personne et se forge mine de rien.

J'ai bien aimé aussi le repérage en couleur, de chaque pays, un côté naïf assez en cohérence avec l'angle de vue du récit, la notion de trouver des repères simples. Encore une fois pour moi, c'est lié aux souvenirs d'enfance, des bribes, des impressions, des couleurs, des odeurs, des goûts. Ça reste donc pour moi une représentation assez cohérente de souvenirs d'enfance, avec ses périodes.

En bref, j'ai franchement bien aimé et j'attends avec impatience le prochain tome, car oui, il y a une suite !

L'auteur
Riad Sattouf est l'auteur de nombreuses bandes dessinées, parmi lesquelles Retour au collège, Pascal Brutal (Fauve d'or 2010) ou La vie secrète des jeunes. Il est également cinéaste ("Les beaux gosses", César du meilleur premier film; "Jacky au royaume des filles").

12 commentaires:

  1. J'ai démarré avec un bon a priori, mais bah, ça trainait, j'ai laissé. Dommage...

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  2. je suis comme toi, j'ai bien/beaucoup aimé malgré les défauts ou les partis pris. Il me tarde aussi de lire la suite!

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    1. Personnellement, je ne lui ai trouvé aucun défaut à cet album. Au contraire même, plus j'en parlais autour de moi avec des gens qui l'avaient lu, plus j'en voyais ses richesses et ses subtilités.:-) Oui, vivement la suite !!^^

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  3. Moi aussi j'ai beaucoup aimé. Et la suite sort le mois prochain !

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  4. Toujours pas tenté... Pourtant je suis curieuse d'habitude mais je bloque sur le dessin de Sattouf...

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    1. Ah oui, traits simples, sans fioritures si je puis dire, mais les expressions sont là, les gestes, le sens, le propos. Moi c'est plutôt bien passé, j'aime la rondeur du trait, et ce n'est pas ce genre de dessins qui me rebutent, mais je comprends que ça puisse coincer.;-)

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  5. Pour mon challenge, ne t'en fais pas si tu es en retard, ce n'est pas grave!
    Pour la session suivante, le titre doit comporter un mot en rapport avec l'enfance : enfant, enfantillages, bébé,...". Je laisse le soin aux blogueurs de trouver.

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    1. Finalement, je n'ai été en retard que d'un jour, je suis assez contente de moi.;-) Dommage, je n'ai pas vu le temps filer car j'avais prévu de lire un autre titre, un qui m'aurait enfin permis de découvrir un auteur de BD qu'il serait temps que je découvre. Bon, peut-être que j'arriverai à le caser lors d'une autre session...
      Pour la session actuelle, je crains d'avoir du mal à trouver un titre (pas évident cette contrainte-là, car peu de choix de mots) mais on verra bien, je ne baisse pas les bras avant de les avoir levés !^^

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  6. J'ai lu des avis très différents sur celui-ci, je l'ai donc noté sur ma liste à lire pour me faire mon opinion ;-).

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    1. Excellente initiative ! C'est la meilleure chose à faire quand les avis sont divergents. J'espère que tu apprécieras cette BD.;-)

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