vendredi 21 août 2015

L'OURS EST UN ÉCRIVAIN COMME LES AUTRES

THE BEAR WENT OVER THE MOUNTAIN

( L'OURS EST UN ÉCRIVAIN COMME LES AUTRES )

traduit de l'anglais (États-Unis) par Nathalie Bru


Un titre très affriolant, curieux et intrigant en français. Le titre original est plus classique, moins détonnant,  The bear went over the mountain, mais c'est en fait le titre d'une célèbre comptine américaine pour enfants sur l'air de "Malbrough s'en va t'en guerre" !
Je n'avais aucune idée de ce à quoi m'attendre mais ce roman avait attiré mon oeil dès sa sortie. J'étais plutôt confiante, avec cette idée d'écrivain dans l'histoire. Loin de moi l'idée que c'eût pu être un vrai ours, ceci dit, cette mention d'ours dans le titre, un peu comme les chats, m'a été fatale ! Et puis cette couverture, prometteuse d'un vague n'importe quoi, en tout cas, du pas banal, ça me plaisait d'avance !

Tout commence normalement. Arthur Bramhall, universitaire dépressif, se retire à la campagne pour donner libre cours à ses aspirations d'écrivain. Son premier manuscrit brûle dans un incendie qui ravage son habitation. Il se dévoue alors entièrement à son deuxième manuscrit, et prudent, l'enferme dans une mallette puis l'enterre sous un arbre chaque fois qu'il sort. Un jour, un ours le repère alors qu'il cache son trésor. Persuadé que c'est une tarte ou une de ces gourmandises dont seuls les humains ont le secret, à peine l'écrivain disparu, l'ours déterre la mallette et découvre le manuscrit.
Et là, ça dérive vers l'improbable et le grand n'importe quoi mais avec un tel naturel qu'on est ferré, on accepte dans un grand éclat de rire. Après une demi-seconde d'incertitude et d'incrédulité, on se dit, bon ok, pourquoi pas, voyons où compte nous mener l'auteur avec ça. Hé bien toujours plus loin dans l'improbable ! Petit à petit, l'ours s'habitue aux manières des humains, rêve d'être une vraie personne, d'appartenir à la race humaine, de profiter de tous leurs avantages, et de quiproquo en quiproquo, il devient une Star en s'appropriant la paternité du roman, sans véritable calcul.

On pourrait se demander comment les gens peuvent prendre cet ours pour un véritable être humain. L'auteur s'en sort bien en évoquant sa ressemblance frappante avec Hemingway. Autant dire que je suis allée voir tout de suite sa tête sur le net et qu'on comprend rapidement comment l'assimilation ours/humain - humain/ours pourrait se faire avec un peu d'imagination et en fermant les yeux.:-) Et puis il ne faut pas négliger la puissance de la bêtise humaine. Les gens entendent souvent ce qu'ils veulent entendre, et voient ce qu'ils veulent bien voir, quitte à se fourvoyer complètement.

" "Vous avez vraiment vécu, dit-elle.
- Dans une caverne." Il sirotait son miel, pas le moins du monde gêné par son aveu, maintenant qu'il avait compris que les gens entendaient toujours autre chose que ce qu'il cherchait à dire.
[...] Elle eut le sentiment qu'il essayait de lui enseigner quelque chose d'important. "Une caverne ?
- L'hiver.
- Vous faites référence à Platon ? À son mythe de la caverne ?"

" "Vous êtes bien silencieux, remarqua Mme Moody. Vous aimez méditer avant une interview ?
- Qu'est-ce qu'une interview ?
- C'est bien d'être un peu blasé. Mais faites attention de ne pas perdre votre spontanéité. Je l'ai vu arriver à tellement d'auteurs." "

"Personne ne sait que je suis un ours. Debout sur mes deux pattes, les mains dans les poches, je suis juste un type velu parmi d'autres en train de flâner."

Derrière ce semblant de grand n'importe quoi, se dresse en fond un portrait sans fard du monde impitoyable du livre à l'américaine. Un milieu risible et pathétique dans sa course à la promo et dans son déploiement de stratégies marketing des plus agressives. Truculent !
"Elle n'avait pas lu le livre, mais son enthousiasme était sincère. Dans le show-business, les livres n'étant que des livres, personne ne savait trop qu'en faire, mais le buzz, en revanche, ça, on pouvait s'y fier." 

Des comparaisons fortement imagées qui font mouche donnent aussi toute leur saveur à cette fable unique en son genre :
"Wheelock exhalait l'ambition, une odeur grasse et sucrée, comme s'il faisait rôtir un cochon sous sa chemise."

En bref, des grands moments hyène hilare ! J'ai a-do-ré ce livre, tellement audacieux, tellement malicieux, tellement improbable, tellement n'importe quoi, et en même temps brillant, sensé, astucieux, intelligent. Quelle imagination de la part de l'auteur, que de prises de risques ! C'est comme s'il se mettait lui-même des bâtons dans les roues avec son intrigue capillotractée, et qu'il s'en dépatouillait avec aisance, à la mine de rien, avec force clins d'oeil, et des "voyez, c'est pas plus difficile que ça."

Et la fin, excellent !

Également commenté par Mélopée, Ys...

L'auteur
Né en 1938 en Pennysylvanie, écrivain prolifique et éclectique, William Kotzwinkle a touché à presque tous les genres : récit autobiographique (Le Nageur dans la mer secrète), roman noir dans une veine loufoque (Midnight Examiner) ou fantastique (Le jeu de Trente), comédie postbeat (Fan Man)...Ses livres sont traduits et appréciés dans le monde entier. Il vit aujourd'hui sur une petite île, au large des côtes du Maine.

22 commentaires:

  1. Ça évidemment, c'était un livre pour toi ! J'ai trouvé ça drôle et méchant à la fois, vraiment réussi. Et puis, ça fait du bien de rire parfois :-)

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    1. Oui, complètement pour moi ! :-) Et je ne lui ai trouvé aucun bémol. Tout était juste parfait. Une de mes lectures véritablement mémorables de cette année !

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  2. C'est la soeur d'une amie à moi (ex-blogueuse d'ailleurs) qui a traduit ce livre, qui ne m'inspirait, a priori, pas du tout. Et puis, ta chronique change un peu la donne, ce n'est donc pas que du loufoque et de l'improbable...Tes extraits sont vraiment tentants, j'aime tout, tout, tout de ce que tu dis (une critique du monde du livre as-tu dit ? et une critique des critiques des livres non aussi? Et ça c'est génial).
    Allez hop, en projet...

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    1. Enfin, beaucoup de loufoque et d'improbable quand même.:-) Des scènes qui pourraient même en faire fuir certains tellement elles pourraient être considérées comme limite (trèèès limite ^^). Je n'en parle pas dans mon billet (déjà bien trop long) mais je préviens ici mouahaha ! Ce qui sauve le tout, c'est effectivement ce portrait caustique du monde du livre en arrière-plan. Portrait mieux léché qu'un ours, hahaha !
      Félicitations à la soeur de ton amie pour la traduction. Je me suis vraiment régalée de cette lecture !

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    2. Oui alors tu vois, ça m'arrête un peu tout de même les scènes limite, et le surenchère d'improbable....

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    3. C'est pour ça que je préfère prévenir. ;-) Je ne sais jamais quelles sont les limites des uns et des autres. Mais je pense, vu ton sens de l'humour, que tu pourrais y survivre. :-D Et pas du tout d'impression désagréable de surenchère ici. Juste les événements suivent leur cours. Et s'agissant de l'ascension sociale de l'ours dans le milieu du livre, concept déjà improbable en soi, forcément le reste paraîtra d'autant plus improbable.

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  3. Soupirs. Rien à la bibli (sauf le nageur...). Pourtant ton billet a tous les mots qu'il faut pour que je craque.

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    1. Aaaaah, à suggérer sans tarder à tes bib' ! Ce livre est juste incroyable, il te plairait sans aucun doute ! (ma main à couper...)

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  4. rien que le titre me tente !!!!!
    je me le note précieusmeent !

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    1. Tu peux ! Tu sais que j'ai pensé fortement à toi en cours de lecture, mais j'ai oublié de te signaler ce roman une fois fini, ooops ! Très clairement pour toi ! ;-)

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  5. C'est vrai que le titre et la couverture m'attire aussi ! Je vais me le noter pour voir si je le trouve à la bibliothèque ! Bon weekend.

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    1. Très curieuse de ton avis sur ce roman ! Bon dimanche !

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  6. Je sais qu'il est fait pour moi celui-là et ton avis ne fait que me confirmer cette impression. J'espère qu'une sortie en poche est bientôt prévue ;)

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    1. Attention hein, pas de vérité universelle ici, hahaha ! ;-) (ça va devenir ma nouvelle private joke avec toi, après le bouclier anti-PAL ^^).

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  7. Ce livre a été lu par des lecteurs de mon cercle de lecture. Ils ont mis en avant l'humour omniprésent. Tous ont bien apprécié cet ours et ont accroché à l'histoire. Moi j'avoue qu'il ne m'a pas tenté...

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    1. Quoi ? Pas tentée malgré l'unanimité des avis des lecteurs de ton cercle de lecture ? Aaaargh ! Laisse-toi donc tenter, tu pourrais être agréablement surprise.;-)

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  8. Le titre est accrocheur en tout cas...
    Bonne semaine.

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    1. Ah ça, je ne pourrais pas mieux dire, il m'a ferrée de suite !^^
      Bonne semaine.

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  9. Complètement jubilatoire, j'adhère complètement ! J'en avais discuté avec une anglophone qui m'avait dit l'avoir lu il y a une dizaine d'années et avoir été étonnée qu'il n'ait pas été traduit en français. C'est chose (drôlement bien) fait ! Ravie que tu l'aies aimé aussi :-)

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    1. Mais oui ! Je ne comprends pas qu'il n'ait pas été traduit avant. Peut-être une histoire de droits... En tout cas, ravie que ça ait enfin été traduit. Je ne sais pas si je serais jamais tombée sur la VO par hasard sans cela... Le nombre de pépites qu'on doit rater comme ça !

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  10. Je l'avais lu il n'y a pas très longtemps grâce à dasola (dont vous aviez commenté le billet). C'est amusant de voir comme le monde est petit et qu'en quelques clics sur des blogs on peut trouver trace de quelqu'un qui connaît la traductrice... Pour la vraisemblance, je me souviens m'être demandé si l'ours n'avait pas été au contact des hommes lors de son enfance en tant qu'ourson comme brièvement évoqué.
    Merci pour votre commentaire
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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    1. Oui, le monde est petit, celui du livre en particulier.;-)
      Concernant la question de la vraisemblance, j'ai juste accepté d'emblée les délires de l'auteur, sans trop me poser de questions.:-)

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