samedi 30 janvier 2016

NOTRE-DAME DU NIL


NOTRE-DAME DU NIL

Une très étonnante surprise au rayon rwandais ! J'avoue que je ne m'attendais pas à ça et que je suis ravie de cette découverte.
Le Rwanda, on l'associe au génocide, alors forcément je me suis dit que ce récit serait un peu dur, amer, démonstratif, démoralisant, rébarbatif même, pesant. Pas du tout !

Certes, on y parle des Tutsi et des Hutu mais dans les années 70. Certes, c'était déjà les prémices de ce qui se passerait quelques 20 ans plus tard. L'auteure, Sholastique Mukasonga, raconte les tensions et conflits existant déjà entre ces deux clans, cette haine raciale quasi ancestrale, mais avec encore une certaine légèreté que le permettait peut-être l'époque et qui confère à ce récit un charme tout à fait inattendu.

L'histoire se déroule principalement dans un pensionnat de jeunes filles, Notre-Dame-du-Nil, un lycée destiné à former l'élite féminine du pays, "des modèles pour toutes les femmes du Rwanda : non seulement de bonnes épouses, de bonnes mères, mais aussi de bonnes citoyennes et de bonnes chrétiennes."

Un contexte assez drôle, cocasse même, avec des personnages hauts en couleur, comme souvent dans les romans africains. Il faut dire que c'est avant tout une histoire de lycéennes, ça reste donc une histoire de jeunes filles avec des problèmes, considérations et questionnements de jeunes filles. Ça a de ce fait ses aspects amusants, entre commérages "girly", découverte de la vie, rivalités féminines, histoires de garçons, astuces pour échapper à l'autorité. Sans oublier les professeurs, la mère supérieure et le village, tout un univers délicieusement dépeint ! Et puis tout ce cirque et ce brouhaha autour de l'emblématique Notre-Dame du Nil, la Vierge noire, cette fierté locale, c'était juste truculent et savoureux !

À travers toute ces histoires à première vue anodines, délayées en épisodes presque indépendants les uns des autres mais qui se suivent chronologiquement quand même, l'auteure parvient à nous glisser l'histoire (plus complexe, riche et fascinante qu'il n'y paraît) du Rwanda, à nous faire comprendre cette rivalité entre Tutsi et Hutu qui se manifeste clairement chez les lycéennes. Malgré l'apparente légèreté du contexte, on sent déjà la menace. L'auteure nous éclaire aussi un peu sur le rôle et l'influence des Belges, anciens colons, dans l'histoire de son pays. C'est un récit culturellement très instructif également, où l'on découvre les traditions rwandaises et modes de vie des villageois entre modernité, rites et superstitions.

Ce qui m'a plu aussi d'emblée, séduite même, et agréablement étonnée, c'est l'écriture de l'auteure. Une écriture pas ampoulée, un style pas pesant. Juste fluide, agréable. Un récit qu'on boit comme du petit lait.

Un passage parmi d'autres qui illustre ces petits moments pittoresques du récit :

"- Tout ce que mangent les Blancs, gémissait Godelive, sort des boîtes, même les morceaux de mangue et d'ananas qui nagent dans du sirop, et les seules vraies bananes qu'on nous sert, ce sont des bananes sucrées pour finir le repas, mais ce n'est pas comme cela qu'on mange les bananes."
S'ensuit alors une petite série de souvenirs de mille recettes maison pour accommoder les bananes, que certains "épluchent et mettent à cuire dans de l'eau et des tomates". On y rajoutera, selon les goûts, "des oignons, des épinards irengarenga très doux et des isogi bien amers, des petits poissons séchés ndagala." Ou encore mieux,  les bananes cuisinées dans de la sauce d'arachide, que l'on fait "cuire doucement, très doucement, de façon que la sauce imprègne jusqu'aux entrailles de la banane." D'autres encore les préfèreront cuites à l'étouffée, non épluchées, dans une marmite avec un peu d'eau, "jusqu'à ce qu'elles soient moelleuses jusqu'au coeur". Il faut alors les manger avec de l'ikivuguto, du lait battu." Et n'oublions pas les "bananes toutes rouges parce qu'elles ont bu le jus des haricots". Ou encore, des bananes grillées "non pas dans les flammes, bien sûr, mais dans la cendre encore toute rouge."
Bref, les bananes ne se mangent pas nature ! Ça se prépare et se cuisine avec amour !
Et pour ceux qui trouveraient ça peu ragoûtant...

... sur le foie gras :
"Goretti s'empara discrètement d'une des boîtes que Frida avait vidée et alla demander à M Legrand, le professeur de français à la guitare, ce que pouvait être cette sorte de nourriture. M. Legrand lui expliqua que cela provenait d'un grand oiseau blanc. On le forçait à manger jusqu'à le rendre malade. On mangeait sa maladie. Toutes les filles trouvèrent cela dégoûtant."

Ah ! Et j'ai adoré ce voyage parmi des prénoms totalement improbables, Goretti, Gloriosa, Godelive (l'année des G ?), ah non, Modesta, Immaculée, le père Herménégilde... Les meilleurs romanciers de SF ou de fantasy n'auraient pu les inventer !:-)

LC Auteur avec Sandrine, LydieHélène, Brize, Mimi,

L'auteure
Scholastique Mukasonga est née en 1956 au Rwanda. Rescapée du massacre des Tutsi, elle vit et travaille actuellement en Basse-Normandie. Elle a déjà publié aux Éditions Gallimard Inyenzi ou les cafards, et La femme aux pieds nus, prix Seligmann "contre le racisme, l'injustice et l'intolérance". Notre-Dame du Nil a eu le prix Renaudot en 2012.

26 commentaires:

  1. J'ai raté le RV, on dirait! Il faut dire qu'en littérature africaine, je suis tombée sur des chouchous et des déceptions, là je craignais un peu...

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    1. Je ne savais pas non plus vers quoi je m'aventurais, j'avais quelques craintes aussi, mais là, Scholastique Mukasonga fait maintenant partie de mes auteurs chouchous !:-)

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  2. Le texte que j'ai lu est beaucoup plus grave, il se pourrait donc que je revienne vers elle avec un texte plus... girly ?

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    1. Ahaha, ce n'est pas non plus "girly" façon chick-lit, manga shojo ou que sais-je, hein, mais bon, il y a les petites chicaneries typiquement ado filles qui sont assez amusantes.
      Au vu de ton billet, le récit que tu as lu semble effectivement beaucoup plus grave, mais c'est un témoignage quasi incontournable, et j'ai assez confiance dans l'écriture de Sholastique Mukasonga maintenant pour me dire que j'apprécierai sans aucun doute.

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  3. J'ai raté le rv moi aussi. Dommage parce que ce roman me fait vraiment très envie.

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    1. Oui, RV raté mais ce n'est que partie remise. C'est un roman qui peut se lire à tout moment de l'année.;-) Je serais en tout cas très curieuse de ton avis.

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  4. Un livre que je n'achèterais sans doute pas en le voyant en librairie. J'aurais tort sans doute...
    Bon dimanche.

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    1. Je peux comprendre les réticences, j'en ai eu moi-même à la parution de ce livre, mais quelle erreur, quelle erreur !
      Bon dimanche.:-)

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  5. Je l'ai entendue à la Librairie Francophone pour Coeur tambour que j'avais du coup envie de lire. Ton billet me donne encore plus envie de découvrir cette auteure.

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    1. Franchement, elle est à découvrir ! Je ne sais pas pour Coeur tambour, mais celui que j'ai lu vaut vraiment le détour. Ça m'a donné envie de poursuivre mon exploration de l'univers de cette auteure maintenant.

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  6. Moi aussi, je ne savais pas du tout où j'allais avec cet auteur (et je lui donnais une trentaine de pages pour me persuader de poursuivre)et j'ai été conquise par ce roman !

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    1. J'ai été convaincue dès les premières pages.:-) Enfin, rassurée disons. J'aimais vraiment bien son style narratif, j'y étais bien tout de suite, et puis au fil des pages, j'ai été conquise par le récit aussi !

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  7. C'est une lecture qui me tente assez aussi.

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    1. Ça vaut le coup de se laisser tenter, de n'offrir aucune résistance.;-)

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    1. C'est fou cette quasi unanimité sur ce titre, ça me rend l'auteure encore plus fascinante !

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  9. Tu sais que ce livre me fait vraiment peur exactement à cause de ce que tu dis en introduction. A côté de ça je ne suis pas très histoire de filles, en encore moins de jeunes filles (oui je sais...) malgré tout, il y a quelque chose qui m'attire dans ton billet : le fond historique sans doute (j'aime quand c'est suggéré et non balancé à la figure), le côté fascinant de la Vierge Noire aussi sans doute. Tu vois au final, je me dis que j'y viendrai peut-être.

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    1. Mais je pense que tu peux te lancer sans problème, parce que ce que je n'ai pas souligné dans mon billet, c'est que je ne suis pas très histoire de filles, et encore moins de jeunes filles, non plus. Et j'avais encore plus peur quand j'ai lu en diagonal qu'il s'agissait de former l'élite féminine du pays, soit de bonnes chrétiennes qui devaient rester vierges jusqu'au mariage et tout le toutim.
      En clair, ce livre n'avait pas grand-chose pour me rassurer. Et puis j'ai lu les premières pages par curiosité quand même, prête à lâcher au moindre couac, et là, rien à voir avec tout ce que je craignais, ou plutôt, c'était amené de telle façon que le tout était juste savoureux de bout en bout.;-) (même les histoires de jeunes filles ;-))

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  10. J'ai comme toi découvert cet auteur grâce à Sandrine. Je ne regrette aucunement car j'ai passé un fort et émouvant moment de lecture. C'est glaçant mais malheureusement l'histoire se répète dans les pays voisins et le monde est une nouvelle fois passif.

    Les petites anecdotes de la vie quotidiennes au pensionnat sont de jolies petites perles. Celle du foie gras est en effet démonstrative.

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    1. Ravie de cette découverte d'auteur également ! Clairement une de mes plus belles surprises au rayon africain depuis un moment. Une femme en plus, c'est tellement rare ! Je ne m'attendais pas à être autant séduite par son style, sa façon de narrer les événements, mêlant anecdotes, cocasseries, réalités sociales et fond historique.
      Très très envie de poursuivre ma découverte de ses autres oeuvres !

      (j'ai supprimé tes autres commentaires en doublon. Je me suis dit que tu as dû valider plusieurs fois en ne voyant pas ton com'. Je suis malheureusement obligée de modérer pour éviter aux visiteurs les captchas et compagnie. A moins qu'il n'y ait eu un gros bug, c'est possible aussi ^^)

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  11. J'avais beaucoup aimé ce roman, moi aussi. Du coup, j'hésite à lire celui qui est sorti en janvier.

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    1. Je suis assez curieuse de son texte autobiographique. Je pense que je passerai par là avant, mais je suis bien tentée par son dernier aussi !

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  12. Bien tentée, d'autant plus que je ne suis jamais allée au Rwanda en littérature. Si en plus ce n'est pas un sujet "difficile"...

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    1. Je pense que ça pourrait vraiment te plaire. Je te le recommande vivement en tout cas.:-)

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  13. J'ai adoré ce roman, un excellent moment de lecture!
    Bravo pour cette belle critique...

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    1. Merci.:-) J'en garde encore un souvenir très fort, un excellent moment de lecture, oui !

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