lundi 25 mai 2020

LA SERPE


LA SERPE

Et voilà, ma première rencontre (enfin !) avec Philippe Jaenada s'est faite, contre toute attente, par l'intermédiaire d'une serpe, alors qu'au départ, c'est un Chameau sauvage qui aurait dû croiser nos destins il y a plusieurs années. Il n'est pas impossible que notre histoire échoue sur la Plage de Manaccora, 16h30 prochainement car j'ai testé le romancier des faits divers, il me faut maintenant tester l'écrivain d'autofiction, la voie par laquelle il a commencé et qui lui a valu un lectorat fidèle grâce à un humour a priori irrésistible et un grand sens de l'autodérision, deux qualités qui me sont indispensables dans ce genre littéraire que j'ai plutôt tendance à fuir autrement.

Encore que La Serpe m'a permis d'avoir déjà un avant-goût de sa plume autofictive car parallèlement (ou devrais-je dire "parenthèsement") à la reconstitution des faits et de l'enquête qui nous intéressent ici, Jaenada nous parle beaucoup de lui, et en passant, de sa femme et de son fils, en faisant bien d'autres digressions qui n'ont parfois aucun rapport avec la choucroute.
Le tout avec beaucoup d'humour, d'autodérision et de loufoquerie, en effet, qui, il est vrai, détendent agréablement l'atmosphère d'un récit qui serait bien glauque autrement (nous enquêtons sur un triple meurtre bien sanglant tout de même) et nous rendent beaucoup plus indulgents face à ces interruptions incessantes qui coupent quelque peu le rythme de l'histoire et pourraient être aussi inconvenantes qu'une coupure pub aux moments les moins opportuns (au fait, Monsieur Jaenada, au fait !).

Mais venons-en au fait, justement. Au fait divers sur lequel l'auteur a souhaité se pencher ici. Un triple meurtre une nuit d'octobre en 1941 dans un château familial à Escoire, dans le Périgord. Tout désigne Henri Girard (qui, bien sûr, clame son innocence), seul survivant alors que son père, sa tante et la bonne ont été sauvagement massacrés à la serpe. Mon choc à moi, c'est que cet Henri Girard, dont je n'avais jamais entendu parler, est devenu par la suite l'écrivain connu sous le nom de plume de Georges Arnaud, qui a écrit entre autres Le Salaire de la peur adapté par Clouzot. Comment a-t-il pu filer aussi impunément entre les mailles de la justice ? Comment s'est déroulée l'enquête ? Que s'est-il donc passé lors du procès ? 

C'est là que Philippe Jaenada entre en scène, se plonge dans les archives, se rend sur place, et sans pour autant quitter sa casquette d'amuseur, reconstitue minutieusement l'enquête et parvient à ses propres conclusions à force de recherches acharnées, faisant preuve d'une sagacité telle que Columbo et Poirot lui auraient tiré leur chapeau. Et moi je lui tire le mien pour la structure narrative de son récit d'une efficacité redoutable, un récit haletant qui vous fait basculer de certitudes en incertitudes, de doutes effroyables en convictions inébranlables, vous surprend et vous révolte tour à tour, vous passionnant en tout cas pour cette affaire pourtant diabolique et sordide, et étrangement tristement émouvante à la fois.

Je reviens maintenant sur l'affaire des digressions simplement pour préciser que je suis assez fan des digressions et des délires en général mais quand c'est un peu trop systématique (comme ça l'est ici quand même un peu beaucoup), ça perd un peu de son intérêt et j'avoue que ça me lasse au bout d'un moment si ça n'apporte rien de plus vraiment (#nonàladigressionpourladigression).
En revanche, j'aime assez cette façon que l'auteur a de glisser sa personne (et toute sa personnalité avec) dans le récit, le rendant ainsi moins tendu, moins sinistre, plus réjouissant en fait. Ses réactions et remarques spontanées et ironiques qui, elles, m'ont franchement amusée sur la deuxième partie, font écho aux nôtres, on a l'impression de participer à l'enquête à ses côtés et ça c'est vraiment très appréciable.
Son style est simple (mais non moins efficace), à son image je dirais. Un style agréable et confortable, sans artifice, sans fard et sans prétention, mais assumé. Les digressions sont naturelles chez lui, et de façon naturelle, il a un style qui le rende sympathique.

Encore une fois, chapeau bas pour ce travail de reconstitution. Le sujet était déjà solide, la matière première était déjà de qualité mais ce n'est pas un exercice facile de raconter un fait divers, justement parce qu'on n'invente rien et qu'on a généralement moins de place que dans un roman pour la créativité et l'expression artistique. Philippe Jaenada s'en sort haut la main !

J'ai aussi beaucoup aimé la fin, la façon dont il concluait son récit, et à la lumière de cette fin, on apprécie encore mieux l'ouverture du récit.


Intègre le challenge À l'assaut des pavés. Mon cinquième de l'année.:)

L'auteur
Né en 1964 à Saint-Germain-en-Laye, Philippe Jaenada est un écrivain majeur de la littérature contemporaine française.

32 commentaires:

  1. Youhou youhou!!! Ah j'espère que tu es tombée dans la marmite, sans en abuser, bien sûr. La plage est vraiment bien, c'est plus court, mais quelle histoire et en plus j'ai vérifié c'est basé sur du réel.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ça me semble tout désigné pour les vacances alors, lors d'un voyage en train.^^ Sinon pour l'instant j'apprécie le Philou mais je ne l'ai pas encore adoubé auteur chouchou.

      Supprimer
  2. Ravie que cette première rencontre avec un de mes auteurs chouchous ait été aussi fructueuse !! C'est une très bonne idée de continuer avec Plage de Manacorra, c'est un de mes préférés, et je confirme, il est inspiré d'un véritable épisode de la vie de Jaenada, comme d'ailleurs tous ses titres "hors faits divers", exception faite de La grande à bouche molle (à lire aussi !! Et le Cosmonaute, sur la grossesse de sa femme...).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah oui, je n'avais pas réalisé à quel point tu étais fan de Jaenada. Tu as quasiment tout lu et semble experte de toute son oeuvre.:) Très bien, la Plage est doublement noté. Sinon, l'autre "fait divers" que l'on m'a chaudement recommandé est le Sulak. J'hésitais avec La petite femelle qui me tente bien aussi. Bref, il me reste tout à lire de cet auteur.^^

      Supprimer
    2. Ah, Sulak n'est pas mauvais mais ce n'est pas mon préféré. L'histoire en est intéressante, et prenante, mais on y retrouve moins la "marque Jaenada" que dans ses autres titres. Si tu ne l'as lu, je te conseille plutôt, dans le genre "fait divers", La petite femelle.

      Supprimer
    3. Ah ben voilà que tu me fais hésiter ! Au départ je devais enchaîner avec La petite femelle, et on m'a recommandé plutôt Sulak. Bon, je vais déjà commencer par Plage de Manaccora.:)

      Supprimer
  3. Il est dans ma liste d'écrivains à decouvrir il faudrait que j'aille aussi à l'assaut de ce pavé ou de la petite femelle

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'avais hésité entre les deux aussi et je ne regrette absolument pas d'avoir commencé par La Serpe.:)

      Supprimer
  4. Il a l'air à la mode tout d'un coup, ce roman… il faudra aussi que je le lise.
    Bonne semaine à toi!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il vaut le détour, ça je peux te l'assurer.:) Bonne semaine à toi aussi !

      Supprimer
    2. J'en avais lu d'autres de Jaenada, non sans délices! Je garde un bon souvenir de "La Femme et l'ours", pour lequel le romancier avait même créé un blog où il publiait les photos de femmes et/ou d'ours, parfois osées, que les lectrices et lecteurs lui envoyaient. Pour le fun, c'est ici: http://lafemmeetlours.blogspot.com/ .

      Supprimer
    3. Ahaha j'adore ! Je vais me le noter celui-là aussi, tiens ! En plus je suis fan des ours, je ne comprends pas que je n'ai pas surligné ce titre tout de suite d'ailleurs.

      Supprimer
    4. ... et du coup, j'ai lu... et commenté! Un ou deux petits bémols, mais c'est du tout bon:

      http://fattorius.blogspot.com/2020/06/philippe-jaenada-refait-le-match-au.html

      Supprimer
    5. Tu as été rapide dis donc ! :) Je file voir ça.

      Supprimer
  5. Jamais lu cet auteur, mais je ne suis pas sûre que ça me plaise. Ta remarque sur les nombreux délires et digressions me refroidit carrément (j'avais détesté ça dans le seul et unique roman de Foenkinos que j'ai lu).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah si tu es réfractaire aux digressions, en effet, ça risque de ne pas te plaire.;) C'est visiblement le dada de l'auteur.:) Quant aux délires, le mot est un peu fort, rien de déjanté ici, c'est juste que l'auteur s'amuse et se fait clairement plaisir en écrivant, mais ça reste quand même très soft et sobre.

      Supprimer
  6. Voilà encore un auteur que je devrai lire un jour. J'ai déjà entendu parler de ce livre, mais des délires??? ça, ça me fait peur !
    Bonne soirée.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je te renvoie à ma réponse à Anne ci-dessus. Rien de trop foufou. Ça relève plus de l'anecdotique que du délire à l'état brut.;) Essaie, tu sauras vite si ça te plaira sur la longueur ou non.

      Supprimer
  7. J'ai essayé cette serpe mais les digressions ont eu raison de ma patience et j'ai abandonné !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai remarqué que les digressions n'étaient pas du goût de tous.:) Comme il en fait quand même des caisses, je peux comprendre qu'on lâche l'affaire.

      Supprimer
  8. Tu n'es pas complètement fan des parenthèses donc... moi si, je trouve même ça très contaminant...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oh si, j'en fais beaucoup usage moi-même, et ce depuis toujours.:) C'est pour ça qu'il m'est sympathique, comme une impression de me retrouver en lui, mes tics d'écriture du moins, mais du coup ça ne me frappe pas comme un style particulièrement neuf ou original, et quand c'est systématique, surtout dans ce type de récit, ça me lasse un peu sur la longueur.

      Supprimer
  9. Un auteur qu'il faut que je découvre...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je n'ai sauté le pas que maintenant après m'être dit exactement la même chose depuis des années. Il n'est jamais trop tard.;)

      Supprimer
  10. Bonjour A_girl_from_earth, toujours pas lu cet écrivain qui m'attire et même temps, j'hésite. C'est vrai, je me perds souvent dans les digressions. Bonne journée.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonsoir Dasola, si tu n'as pas trop d'affinités avec les digressions, je crains que tu n'accroches pas trop avec Jaenada mais bon, il faut tenter pour s'en assurer.:)

      Supprimer
  11. j'adore ton billet ! ça me fait sourire parce que j'avais noté ce titre, il y a un moment déjà, je me retrouve à la bibliothèque devant le bouquin et euh… ah oui le pavé!! Je ne l'ai jamais touché mais j'ai tort, j'ai tort! Je vais m'y mettre, promis !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est en cela que je trouve les ebooks vraiment bien aussi parce que du coup on ne se rend pas trop compte de l'effet "pavé". Ceci dit, s'il n'y avait pas eu ce challenge "à l'assaut des pavés" et la LC, il n'est pas impossible que ce livre soit encore en statut LAL à cette heure-ci, et pour des années encore.;)

      Supprimer
  12. Arrrrhhh, tu gâches tout avec cette mention "à l'assaut des pavés". Ce doit être la raison pour laquelle je ne me suis pas penchée sur ce livre lors de sa sortie, car en lisant ton billet, on a qu'une envie, plonger dedans. Fait divers et humour, le mélange est alléchant !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'avais pourtant l'impression que les pavés n'étaient plus un obstacle pour toi. En tout cas, je trouve ça dommage de se priver de lectures qui nous tentent furieusement pour 200 pages "de trop" alors qu'au final, quand on enchaîne 3 lectures de 300 pages, c'est un peu comme si on lisait un pavé, non ?^^ En plus, il y a pavé et pavé, et celui de Jaenada est de ceux qu'on dévore comme s'il ne faisait que 250 pages.;)

      Supprimer
  13. De l'autofiction dans ce genre d'enquête ça me fait toujours fuir !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Mais Jaenada n'est pas le genre nombriliste si ça peut te motiver.;)

      Supprimer

Merci pour votre petit mot. Les commentaires sont modérés par défaut, mais j'y réponds toujours.