vendredi 11 juillet 2008

AMKOULLEL, L'ENFANT PEUL


AMKOULLEL, L'ENFANT PEUL

Très bon moment de lecture avec ce livre d'Amadou Hampâté Bâ que je devais lire depuis des années sur le conseil de deux amis. Ravie de m'être lancée enfin et d'avoir tenu les 50 premières pages (où je peinais un peu à suivre les histoires de lignées et filiations), car ce récit devient très vite captivant une fois qu'on a trouvé nos repères. L'auteur révèle ici un talent de conteur indéniable à travers un style limpide et agréable.

J'ai beaucoup aimé l'avant-propos de l'auteur, qui met en condition son lectorat européen en le préparant à ce qui pourrait le dérouter et le rendre sceptique par rapport à la culture africaine et qui est pourtant très naturel et ordinaire chez eux, par exemple les rêves et prédictions qui font partie de la vie courante.

Par ailleurs, son topo sur l'emploi de l'expression "tradition africaine" est particulièrement éclairé, c'est en effet une erreur assez courante que de mettre tous les africains dans le même panier (c'est un peu comme considérer un japonais "chinois" sous prétexte qu'il fait partie du continent asiatique... en même temps, curieusement, je n'ai pas l'impression qu'on fasse ce type d'amalgame pour le continent américain... enfin bref, je m'égare...).

"Quand on parle de "tradition africaine", il ne faut jamais généraliser. Il n'y a pas une Afrique, il n'y a pas un homme africain, il n'y a pas une tradition africaine valable pour toutes les régions et toutes les ethnies. Certes, il existe de grandes constantes (présence du sacré en toute chose, relation entre les mondes visible et invisible, entre les vivants et les morts, sens de la communauté, respecte religieux de la mère, etc), mais aussi de nombreuses différences: les dieux, les symboles sacrés, les interdits religieux, les coutumes sociales qui en découlent varient d'une région à l'autre, d'une ethnie à l'autre, parfois de village à village."

Il y parle également de la mémoire africaine, c'est assez impressionnant finalement cette tradition du récit oral qui a permis la transmission des connaissances traditionnelles africaines sans jamais passer par l'écrit. J'ai beaucoup aimé ce passage, notamment quand il dit:
"Lorsqu'on restitue un événement, le film enregistré se déroule du début jusqu'à la fin en totalité. C'est pourquoi il est très difficile à un Africain de ma génération de "résumer". On raconte en totalité ou on ne raconte pas. On ne se lasse jamais d'entendre et de réentendre la même histoire! La répétition, pour nous, n'est pas un défaut."

Et lorsque que Hampâté Bâ raconte sa vie, il prend son temps, mais on ne s'impatiente pas pour autant, il n'hésite pas à éclaircir certains points pour le lecteur étranger à sa culture, ce qui est particulièrement appréciable, il raconte chaque événement tranquillement, posément, efficacement, méthodiquement, agréablement, sans jamais se perdre en route. On le lit sereinement, on l'écoute même devrais-je dire, et on ne s'ennuie pas une seconde.

C'est que la vie d'Hampâté Bâ et de sa famille a l'avantage d'être riche en événements divers, ce qui rend ce récit véritablement intéressant. Il offre par ailleurs un aperçu des coutumes et cultures locales, des traditions et croyances populaires illustrées par quelques fables, des proverbes qui font partie du langage de tous les jours et intègrent de façon très naturelle les conversations du quotidien.
C'est un véritable voyage culturel au sein de la savane ouest-africaine de début de 20è siècle!

Ce récit est aussi un témoignage très instructif sur l'organisation sociale de l'époque, et un bel enseignement sur les valeurs africaines : le sens de l'hospitalité (illustrée par la coutume des "maisons ouvertes") et de l'honneur, la générosité, le respect, la solidarité, sont autant de valeurs qui animent la communauté peule, entre autres. Il émane de chez eux une certaine dignité, une grandeur d'âme, une certaine humilité. J'ai été assez frappée par cette attitude face au destin chez certains, l'acceptation sereine de leur sort, la recherche du positif dans toute épreuve et expérience.
Aucune amertume ne ressort non plus quand Hampâté Bâ évoque la colonisation et ses conséquences sur les sociétés africaines. Il ne manque cependant pas d'en souligner les travers de façon quelque peu satirique et c'est souvent très drôle. Il a par ailleurs un humour malicieux qui transparaît de temps en temps dans le récit et qui m'a beaucoup amusée.

L'auteur livre également un témoignage intéressant sur la vision que les africains avaient des français, ou des blancs en général, l'homme blanc faisant l'objet d'un véritable mythe à cette époque. C'est parfois hilarant cet imaginaire autour de l'homme blanc. Les différences culturelles ici aussi sont particulièrement flagrantes et sont illustrées de façon vivace. Vraiment très instructif et très intéressant tout cet aspect dans le récit!

Bref, plutôt séduite par cet homme hors du commun et charmée par son style! Je pense que d'ici peu j'entamerai la suite de ce récit,  Oui, mon commandant! (rien que le titre, évocateur, me fait sourire et titille ma curiosité...).

Clarinette en fait également un commentaire particulièrement enthousiaste, ce qui m'a poussé enfin à le lire.

10 commentaires:

  1. Contente que ce livre t'aie plu. N'hésite pas à lire "oui mon commandant" je suis curieuse de lire ta critique. Et d'ailleurs, ça me donne envie de le reprendre...

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    1. Aha! :) On le lira peut-être au même moment!

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  2. excellent livre. J'adore le relire.
    Citation de ce grand homme:
    "quand un veuillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle"

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    1. Très juste! Il a bien fait d'écrire ses mémoires d'ailleurs! C'est un témoignage tellement riche sur toute une époque, tout un pays, toute une culture...

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  3. J'ai été moins touchée que toi par ce récit. Pourtant je l'ai lu dans l'ambiance, lors d'un voyage en Afrique de l'Ouest. Je devrais peut être le relire maintenant que j'ai la nostalgie de ce continent... Je me suis toujours dit que la suite, Oui mon commandant! devais être plus intéressante avec plus de détails sur l'administration coloniale (pour laquelle l'auteur a travaillé sauf erreur). Je voulais donc savoir si finalement tu l'avais lu?

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    1. Non, pas encore lu mais tu fais bien de le remonter des archives^^, non pas que je l'avais oublié, mais entre-temps tellement de livres se sont immiscés dans mes LAL et PAL qu'il s'est retrouvé un peu relégué loin loin derrière...
      Je pense que Oui mon commandant! sera plus "amusant" aussi que Amkoullel, il laisse présager plus de dérision de par le thème, enfin je me trompe peut-être.

      Je comprends aussi qu'on puisse ne pas être particulièrement enthousiasmé par Amkoullel, ça reste principalement factuel, c'est une culture très éloignée de la nôtre, dans le temps et dans l'espace, ça parle de l'enfance, thématique qui nous distancie encore plus de l'histoire, mais j'ai beaucoup aimé le talent de conteur de l'auteur malgré tout, c'est ce qui m'a donné envie de lire la suite.

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    2. C'est vrai que Amadou Hampâté Ba est un excellent conteur et ce livre nous plonge vraiment dans l'ambiance, les traditions et la façon de voir les choses si particulière à l'Afrique de l'Ouest. Maintenant le thème de l'enfance n'est pas mon préféré... Bon je me pense quand même me lancer pour Oui mon Commandant et je te tiens au courant...

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    3. Pareil que toi pour le thème de l'enfance, c'est pourquoi aussi je suis encore plus motivée par Oui mon Commandant! J'espère pouvoir le lire cette année, c'est pas gagné avec tout ce que je projette de lire...

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  4. j'ai beaucoup apprécié ce livre que je viens de terminer. Il est passionnant, riche d'informations pluridisciplinaires, mais aussi d'évenements et de rebondissements, plein d'humour et très bien écrit ce qui ajoute du plaisir à sa lecture.

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    1. Oui, riche et passionnant, en effet, un récit captivant! Une lecture qu'on ne regrette pas au sortir de ces quelques 500 pages. Tu viens de me rappeler que j'avais pour projet de lire la suite, merci!:)

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