mercredi 20 novembre 2013

LA LETTRE À HELGA


LA LETTRE À HELGA

traduit de l'islandais par Catherine Eyjólfsson


ou "L'élégance du berger islandais", aurais-je envie d'ajouter en sous-titre !
Car cette lettre, la confession amoureuse d'un éleveur de brebis du fin fond de sa campagne islandaise, livre les pensées brutes, bourrues et coquines de ce dernier, avec une telle élégance qu'on ne peut manquer s'ébahir devant cette verve empreinte de poésie, et s'amuser de l'apparente incompatibilité du fond et de la forme !

"Mais moi, je dépendais de toi. Je l'ai compris, là, à te voir dressée dans la lumière de la lucarne, blanche comme la femelle du saumon tout juste arrivée sur les hauts-fonds, embaumant l'urine et les feuilles de tabac."

"Tes yeux brillent dans le regard implorant des brebis affamées. Je contemple la toile dans le coin de la fenêtre où un rayon de soleil miroite sur le dos vert d'une mouche."

Quelle excellente surprise que ce livre ! Moi qui pensais sérieusement aborder un récit barbant, regrettant presque de m'être laissée tenter par les avis enthousiastes après être tombée sur des avis très négatifs allant jusqu'à l'abandon, je me suis régalée tout le long, allant d'hallucination en hallucination devant les propos qui me semblaient si audacieux, parfois déplacés, le tout rendant quelque chose d'inhabituel et déstabilisant, mais franchement jubilatoire !
Peut-être ai-je particulièrement apprécié justement parce que je m'attendais à une lettre d'amour planplan, mille fois lue (que je craignais), et que je suis tombée sur un dingos !

Hormis le style narratif qui allie de façon inattendue, improbable et réjouissante, poésie sans fausse pudeur et propos particulièrement crus alimentés de métaphores et de comparaisons des plus cocasses, j'ai aimé le tableau de cette vie rurale islandaise qui se dessinait en arrière-plan, mettant en scène cette homme simple, brave, profondément humain, et son entourage, face à la routine et aux épreuves du quotidien, le tout raconté sans détour, avec une certaine candeur.

"Les hommes discutaient du temps, de la diarrhée, de l'orientation du Parti agragrien et de l'occupation américaine. Ils se mouchaient, reniflaient leur tabac à priser. Une ou deux flasques d'eau-de-vie circulaient de main en main..."

Je me suis beaucoup amusée aussi de ces racontars islandais surgis de nulle part, et de ces références littéraires islandaises qui tombaient un peu comme un cheveu sur la soupe en cours de récit.

Mais cette lettre, au-delà de son style et de ses propos qui m'ont amusée tout le long, cache des blessures profondes, des regrets, et offre une réflexion sur des choix de vie, le temps révolu et le temps qui passe.
J'ai trouvé ce récit extrêmement touchant sur le fond, ce berger en particulier, et la fin m'a cueillie avec une élégance que je n'attendais pas.

Une sacrée bonne surprise ! Une révélation même côté livres islandais qui m'avaient déjà frappée par leur côté inhabituel, déstabilisant, étrange, drôle et irrévérencieux en même temps. Je pense notamment aux surprenants Et ça vous fait rire ? de Hugleikur Dagsson, ou T'es pas la seule à être morte ! de Kristín Ómarsdóttir dont je ne suis pas totalement ressortie indemne.
Là, non seulement j'en sors indemne mais franchement conquise !

Lu dans le cadre de   et intègre le 

L'auteur
Bergsveinn Birgisson est titulaire d'une thèse de doctorat en littérature médiévale scandinave. Il est lui-même la mémoire des histoires que lui racontait son grand-père, fermier dans le nord-ouest de l'Islande. La Lettre à Helga est un immense succès en Islande, dans les pays scandinaves ainsi qu'en Allemagne.

18 commentaires:

  1. Bon, d'accord, il y a toutes sortes d'avis sur ce bouquin...(à la bibli, d'ailleurs, hum), je ne sais pas trop maintenant. Franchement, je ne te voyais pas enthousiaste pour un berger islandais (loin de Paris, ça), mais s'il est un peu spécial, je comprends.
    DonQ démarré, ça s'annonce bien dans le n'importe quoi aussi.Pourvu que ça dure

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    1. Franchement, je n'en reviens pas moi-même d'avoir été séduite par ce berger.^^ Les probabilités étaient plutôt que je m'ennuie totalement avec cette lettre, mais je l'ai dévorée et je me suis vraiment bien éclatée à la lire. Il est à la bib' ? Mais qu'attends-tu ???^^ Bon, c'est pour public averti (encore que j'y suis allée sans me douter de rien), et a priori ça ne convient pas à tout le monde, mais il me semble que tu en as assez vu dans le genre gravos pour apprécier.
      Quant à DonQ, aïe aïe... faut que je me speede à finir mon pavé en cours, puis j'ai une petite LC avant, et normalement c'est bon.;-)

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    2. Oui, dans les deux biblis, et je l'ai eu en main (dans l'autre main, déjà six bouquins, et le quota est cinq). On peut attendre, je le sens... Je te fais quand même confiance!

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    3. A mon tour de jouer la carte du "c'est un court récit, ça se lit vite - 130 pages à tout casser".^^ Mais bon, pas de forcing, tu sais où trouver le livre quand l'envie te prendra (et là, préviens-moi, je tiens à ne pas rater ton billet^^).

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  2. Bon, eh bien, je sais maintenant dans quel camp te "classer" ;-) Je me rends compte que j'ai l'esprit bien étroit par moment !

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    1. :-) Les avis sur ce livre sont très partagés. Soit on est très enthousiaste, soit on est pas loin de détester. Le phénomène est assez intéressant.:-) Je ne sais pas si c'est une question d'ouverture d'esprit. Plus une question de goût et de ce qu'on recherche dans un livre peut-être.

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  3. J'aurais pu mettre beaucoup d'agressivité par ici si tu n'avais pas apprécié ce bon vieux Bjarni. C'est touchant, drôle, cru, assez barré par moments avec quelques fulgurances poétiques incongrues mais tellement belles je trouve. Bref j'ai adoré (mais ça tu le sais déjà...).

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    1. Haha ! Je t'avoue que j'étais persuadée que j'allais faire partie de ceux qui n'apprécient pas, alors quelle surprise de découvrir que je m'enthousiasmais au fur et à mesure de ma lecture ! Quel soulagement même car je craignais limite le calvaire. Un vieux berger islandais, une lettre d'amour, de la poésie au programme, c'était franchement pas gagné. Heureusement que je me suis fiée aux avis positifs quand même.:-)

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  4. Tu m'as déjà convaincue. C'est vrai que la lecture islandaises est très particulière. Ca me rappelle d'ailleurs que Tu n'es pas la seule à être morte était notre première LC.

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    1. Oui, c'est vrai ça !! La lettre à Helga est encore différent de notre LC islandaise mais ça reste assez particulier - enfin, pour nous, lecteurs non-islandais. Je me souviens justement dans notre première LC que le traducteur expliquait que ce qui pouvait nous paraître étrange était complètement normal pour un Islandais.^^

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  5. Bonsoir A_girl, je viens de lire d'autres billets sur ce roman pas tous élogieux. C'est intéressant de lire le pour et le contre sur un ouvrage. Personnellement, parmi la rentrée littéraire, je l'ai noté pour une prochaine lecture et c'est un écrivain inconnu. Bonne soirée.

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    1. Oui, ce livre séduit ou rebute. C'est intéressant de voir comment chacun réagit, et ce qui dérange ou enthousiasme. Curieuse de découvrir de quel côté de la barrière tu te trouveras.:-)
      Bon dimanche.

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  6. "blanche comme la femelle du saumon tout juste arrivée sur les hauts-fonds" : ça a l'air vachement précis. Je note. Depuis le temps que je veux lire des auteurs islandais. ;-)

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    1. Si cet extrait t'a interpellée et qu'en plus ça fait longtemps que tu veux lire des auteurs islandais, je n'ai qu'un mot : "Fonce !" :-)

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  7. Une petite pépite que ce roman !

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    1. Oui, vraiment ! Très bonne pioche, très belle surprise !

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  8. Finalement, j'aurais peut-être mieux fait de choisir ce livre pour le match PM, je m'y serais peut-être moins ennuyée que dans "Esprit d'Hiver" !

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    1. Aaah ça c'est sûr que tu ne t'y serais pas ennuyée !! (je rigole encore en revoyant des scènes du récit dans ma tête) Par contre, je ne suis pas sûre que tu aurais adhéré à 100%. C'est assez particulier comme style et esprit, je ne sais pas si c'est trop ton genre.

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