LE VIEUX NÈGRE ET LA MÉDAILLE
Repéré chez Ingannmic, j'ai tout de suite senti que ce roman court ne manquerait pas me charmer. Rien que le titre déjà, qui a la saveur des contes et légendes exotiques, des récits que me racontaient mon grand-père, avec un rien de malice, de cocasserie et de sagesse toute africaine. Autant le dire tout de suite, je ne fus pas déçue.
Pour situer le contexte, le vieux Meka qui, jusqu'alors, vivait humblement dans le petit village de Doum, apprend un beau jour que l'administration a décidé de lui attribuer une médaille qui lui sera remise par le grand Chef des blancs en personne. Une gratification inattendue qui le tourmente à trop vouloir bien faire et l'enivre tout à la fois, mais ne risque-t-il pas ainsi la gueule de bois du lendemain à donner tant d'importance à cette médaille qui n'en a peut-être pas autant pour l'administration ?
Un roman au charme suranné rendu savoureux par ses personnages hauts en couleur, sa langue colorée et piquante, une écriture pleine d'ironie mordante derrière un sourire désinvolte qui dénonce subtilement la domination coloniale (ce roman a été publié en 1956) mais aussi la naïveté et la bêtise des "indigènes". Truculent ! Et les quiproquos qui s'enchaînent. Désopilant ! L'intrigue ne manque pas de situations gaguesques qui ont un peu la saveur de ces vieilles comédies françaises, irrésistiblement drôles encore aujourd'hui. Tout le monde en prend pour son grade mais on garde la notion des profiteurs et des victimes du système tout de même.
Un plongeon décoiffant et dépaysant dans une Afrique d'une autre époque mais toute aussi conviviale, chaleureuse, solidaire, foisonnante que celle d'aujourd'hui. C'est goûtu comme un bon plat africain qui vous fait voyager ailleurs.
Quelques extraits parmi les nombreux qui m'ont bien amusée :
"Meka était souvent cité en exemple de bon chrétien à la Mission catholique de Doum. Il avait "donné" ses terres aux prêtres et habitait une case misérable au village dont la Mission portait le nom et qui s'étendait au pied du cimetière chrétien. Il avait eu la grâce insigne d'être le propriétaire d'une terre qui, un beau matin, plut au Bon Dieu. Ce fut un père blanc qui lui révéla sa divine destinée. Comment pouvait-on aller contre la volonté de Celui-qui-donne ? Meka qui, entre-temps, avait été recréé par le baptême, s'effaça devant l'huissier du Tout-Puissant."
(alors que Meka ne peut résister à la tentation de l'africa-gin)
"Pour ne pas décevoir le Père Vandermayer, Meka lui disait à chaque confesse : Mon père, j'ai étanché ma soif alors qu'elle était tout à fait supportable." Le Père Vandermayer s'étonnait et lui disait : "Mon frère, étancher sa soif n'est pas un péché, ne soit pas plus rigoureux que les lois de Dieu et de l'Église." Meka avait alors sa communion du lendemain assurée."
Un classique de la littérature africaine dont je n'avais jamais entendu parler mais je suis vraiment ravie de sa découverte.
L'auteur
Ferdinand Oyono (1929-2010) est un romancier camerounais francophone. Tout en suivant des études de droit et de sciences politiques à Paris, il publie ses premiers romans en 1956. En 1960, il obtient d'importantes fonctions diplomatiques dans son pays - il sera ambassadeur du Cameroun à Paris de 1964 à 1975, avant de devenir ministre de la Culture.
Tu sais lors de mon premier séjour sous les tropiques j'ai découvert pas mal de pépites, dont celui ci, et Une vie de boy d'Oyono aussi, et d'autres auteurs.
RépondreSupprimerIl faudrait vraiment que je me repenche sur la littérature africaine. Il y a quelques petites pépites par là-bas, c'est vrai.
SupprimerMoi aussi je ne connaissais pas et je note car le sujet m'intéresse
RépondreSupprimerIl est vraiment bien traité en plus, je pense que tu ne seras pas déçue.
Supprimer"c'est goûtu"...j'adore!! je note donc!
RépondreSupprimerÇa a un petit goût de livre d'antan mais c'est loin d'être fade en tout cas.:)
SupprimerOh le genre de petite pépite exotique qui pourrait bien me plaire !!!
RépondreSupprimerJe pense aussi.:)
SupprimerJe suis ravie -mais pas très étonnée- qu'il t'ait plu, j'en garde un souvenir assez net, alors que j'ai tendance à oublier assez vite les livres que je lis (l'épisode de la longue attente et de la torture provoquée par les chaussures m'a notamment marquée).
RépondreSupprimerCet épisode m'a aussi fortement marquée car c'est celui qui m'est revenue tout de suite en tête quand j'ai repensé hier à cette histoire lue il y a deux mois.:)
SupprimerLe titre me disait quelque chose, de loin, et ce que tu en dis est appétissant! Je garde en mémoire.
RépondreSupprimerJe pense que tu saurais apprécier.:)
Supprimertu donnes très envie ! On n'a pas supprimé le mot "nègre" dans ce titre-là alors? La littérature africaine m'a aussi déjà fait passer de très bons moments.
RépondreSupprimerOh, très bonne remarque !^^ Je n'y avais pas pensé. Bon, ça aurait été un auteur blanc, ça aurait sûrement été supprimé.;)
SupprimerJamais entendu parlé mais ça me semble aussi charmant que le Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain.
RépondreSupprimerHmmm... Gouverneurs de la rosée, c'était encore un autre voyage, beaucoup plus enchanteur, mais celui-ci vaut tout autant le détour.
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