dimanche 5 septembre 2021

JUBILEE


JUBILEE

Je m'inquiète de découvrir encore des romans culte dont je n'ai aucune idée de comment ils sont passés au travers des mailles de mon filet depuis le temps que je lis et, surtout, que je m'intéresse tout particulièrement à cette période historique aux États-Unis et à cette thématique autour de l'esclavage. Car voilà, avant l'année dernière, je n'avais jamais entendu parler de Jubilee et ça me semble juste aberrant. 

L'histoire est celle de Vyry, l'arrière-grand-mère de l'auteure, Margaret Walker, fille d'une esclave et du maître de la plantation où elle grandira elle-même comme esclave. Divisée en trois parties qui s'articulent autour de l'Antebellum South (la période avant-guerre), la guerre de Sécession et les années après-guerre, la petite histoire rejoint la grande. Au travers de la destinée de Vyry, l'auteure ravive le souvenir de la dure réalité de la vie des esclaves au sein des plantations, mais aussi de celle des Noirs dits libres, puis elle nous entraîne au coeur de la guerre, exposant ses enjeux et ses conséquences, et dans l'après-guerre, qui ne sera pas forcément la période la plus heureuse, ou du moins la plus paisible, pour les Noirs.

Je passe rapidement sur la période avant-guerre et la guerre de Sécession qui, pourtant, n'ont pas manqué d'intérêt mais qui sont peut-être plus "classiques" pour moi. D'ailleurs, j'ai eu le sentiment que l'auteure ne s'appesantissait pas trop là-dessus, non pas comme si cela avait peu d'importance mais elle en disait juste le nécessaire pour bâtir la suite. Le récit de ces deux parties était en tout cas très intéressant et n'a pas manqué susciter des réflexions bouillonnantes chez moi. Je repense en particulier à la situation de Vyry, fille de son maître, mais esclave comme les autres Noirs, étonnamment aussi blanche que sa demi-soeur, fille légitime, et maltraitée par la mère de cette dernière, à Randall, le Noir libre, qui s'entiche de Vyry, aux autres esclaves, bref, tout un monde qui m'a constamment tenue en haleine et en alerte.

Ce que j'ai tout particulièrement apprécié ici et que j'ai trouvé vraiment instructif, ce sont les années après-guerre. Je n'ai pas le souvenir d'avoir lu quoi que ce soit à ce sujet, et pourtant, c'est une des périodes les plus intéressantes, charnière, je trouve, pour mieux comprendre toutes les problématiques liées à la question des Noirs aux États-Unis. J'ai davantage lu ou vu des films sur l'esclavage et la guerre de Sécession, sur les années 60 aussi, ou au plus tôt les années 20-30, mais sur les années qui ont suivi la guerre, juste après 1865, rien, ou peut-être rapidement, alors que c'est une période de transition où l'on voit bien à quel point rien n'était évident dès le départ. 
La plupart des Noirs ne savent pas quoi faire de leur liberté, ou se rendent compte que liberté ne veut pas dire liberté et farniente. L'adaptation à leur nouvelle vie n'est pas aisée, il leur faut se reconstruire, bâtir leur chez-eux d'hommes libres dans un pays qui leur a toujours renié leur liberté et leurs droits en tant qu'êtres humains, gagner leur vie et s'intégrer. J'ai été épatée par le courage et l'esprit de labeur qui animaient certains. Les Blancs du Sud, quant à eux, digèrent mal l'abolition de l'esclavage et ont du mal à considérer les Noirs comme leurs égaux, les mentalités ne changeant pas du jour au lendemain, sans parler de l'émergence du Ku Klux Klan... Les rancoeurs, l'incompréhension et la méfiance générales annoncent un avenir trouble pour le pays même si tout espoir n'est pas perdu.

Un des plus beaux passages de ce roman, c'est le discours de Vyry à son fils à la fin, qui était juste grandiose, gran-diose !!! Bouleversant ! Quelle femme formidable !!! Quelle grandeur d'âme ! Quelle sagesse ! Quelle humanité ! Du Martin Luther King avant l'heure.
Et la préface de Nikki Giovanni, magistrale également ! À lire absolument !

J'ai trouvé ça extraordinaire et émouvant aussi que l'auteure soit devenue une grande écrivaine, alors que son arrière-grand-mère ne savait ni lire ni écrire. Et j'ai été tellement prise dans l'histoire de la famille de Vyry sur la fin que cela m'a quelque peu frustrée de ne pas pouvoir en savoir plus sur leur destin à chacun.

Ce roman, c'était comme un chant de negro spiritual. Calme et doux au début puis allant crescendo en puissance jusqu'à la note finale qui vous déchire l'âme. Ma-gni-fique !
In-con-tour-nable !

LC avec Stéphanie, Nasaissa, Audrey, Cécile et Manon.

Intègre le challenge À l'assaut des pavés. Mon cinquième de l'année (catégorie plus de 600 pages).

L'auteure
Margaret Walker (1915-1998) est née à Birmingham (Alabama). Première femme noire américaine docteur en philosophie, elle se consacre ensuite à l'écriture. Auteure de poèmes (For my people, 1942, Premier Prix du Yale Series of Younger Poets Competition) et de romans (Jubilee, 1966), elle est célèbre pour son approche humaniste des questions raciales.

22 commentaires:

  1. J'ai l'impression de me souvenir de l'avoir lu il y a trèèèèèèèèès longtemps, une personne dans le même voyage aux USA le lisait dans le bus et j'ai donc eu vent du titre.
    Pour la vie post guerre de Sécession, tu as Autant en emporte le vent (version blanc du sud ^_^) et Queen de Alex hayley (celui de roots), lu en 2002.
    Bon, ce Jubilee a l'air d'une lecture forte!
    (et j'ai dépasé la moitié de entre deux mondes, éprouvant donc je lis du plus soft aussi)

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    1. Ah oui, Autant en emporte le vent, ma lecture remonte à mon adolescence.^^ Quant à Alex Haley, ma lecture de Roots date aussi pas mal mais je me suis dit qu'il devait en parler un peu de cette période post-guerre. Aucun souvenir précis si c'est le cas, en revanche tu confirmes pour Queen. Je le lirai peut-être, mais la barre est haute après Jubilee.:)
      (ah oui, Entre deux mondes, c'est assez éprouvant émotionnellement, mais j'ai pu le lire d'une traite, étonnamment)

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  2. Eh bien si ça peut te rassurer, je ne connaissais pas non plus et il y a tant et tant de classiques que je ne connais pas ! Tu donnes envie de découvrir cette histoire en tout cas. (Margaret Walker est aussi l'auteure de La couleur pourpre, non ?)

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    1. Je continue aussi à découvrir des classiques ou livres culte. Je pensais en avoir fait le tour, pas forcément en lecture, mais en en ayant entendu parler au moins une fois. Eh bien, non.^^
      C'est Alice Walker, l'auteure de La couleur pourpre.:) Margaret Walker n'a apparemment écrit que ce roman (et des poèmes). Quel dommage !

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  3. Je te rassure, je ne connaissais pas ce roman... J'en apprends beaucoup par ta chronique ( il faut dire que je ne brille pas côté littérature américaine même si je m'intéresse à l'Histoire, à Martin Luther King. Avais-tu vu ce film documentaire formidable - constitué d'archives - simplement intitulé King ? )

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    1. Bon, ça commence à me rassurer un peu de voir que je ne suis pas la seule à ne pas avoir entendu parler de ce roman.:)
      Sinon, non, je n'ai pas vu ce film documentaire sur Martin Luther King. Ça m'intéresserait beaucoup !

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  4. Et bin tout un livre a lire, tout un classique a connaitre alors....oui il y en a tant des livres a lire...;)

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    1. Oui, on n'en viendra pas à bout, c'est sûr.^^

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    2. Oh que non....mais on arrive toujours a avoir le plaisir...;)

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    3. Oui, c'est l'essentiel finalement.:)

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  5. Moi non plus, je n'en ai jamais entendu parler, mais tu donnes vraiment envie de le lire...

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  6. bon, personne ne connaît finalement :)) même pas ma bibliothèque ! Il va devenir un classique grâce à toi, en fait ;)

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    1. Ahaha, c'est peut-être comme ça que naissent les classiques finalement. Quelqu'un pensait que ça en était un et fait courir le bruit, alors que personne n'en avait jamais entendu parler jusque là.^^

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  7. Damned ! Je ne connaissais pas non plus : merci pour la découverte.

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    1. Bon, décidément, personne ne connaissait dans mon entourage bloguesque (à part Keisha, mais un lointain souvenir incertain^^). Ça me rassure presque par rapport à mon niveau de culture mais pas pour ce livre qui mérite vraiment d'être plus connu que ça.

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  8. Livre culte dont tu es la première à me parler ! J'ai pas mal de ratés aussi ! Je note, évidemment intéressant et instructif !

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    1. Je suis à un stade de ma vie de lectrice où je commence à accepter difficilement d'avoir encore des ratés.^^

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  9. Ah! le cadre pour les commentaire apparaît enfin!! très envie de lire ce roman. comme toi, je n'ai jamais lu de livre concernant l'après guerre de sécession. Voilà donc qui semble passionnant!

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    1. Fais-toi donc plaisir !;) Ce roman mérite en plus vraiment d'avoir davantage de visibilité. Très curieuse de ton avis si tu te lances !

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  10. Mais je n'ai jamais entendu parler non plus de ce livre culte ! .... Merci !

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    1. J'espère que tu auras plaisir à le lire.:)
      J'ai essayé de laisser un message sur ton dernier billet mais impossible, ton blog m'affiche un message d'erreur à chaque fois. Je retenterai demain...

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