jeudi 18 avril 2024

LA LANGUE GÉNIALE : 9 BONNES RAISONS D'AIMER LE GREC


traduit de l'italien par Béatrice Robert-Boissier

Je suis une linguiste de coeur. Tout ce qui touche aux langues me passionne et j'apprécie particulièrement les ouvrages de vulgarisation linguistique, sans prétention académique. Forcément, ce livre m'a fait de l'oeil quand je suis tombée dessus au détour d'une petite librairie en Grèce. J'ai toujours été fascinée par le grec ancien même si je me suis on m'a plutôt orientée vers le latin au collège. Enfin l'occasion de découvrir les secrets de cette langue de manière visiblement divertissante et surtout accessible, sans passer par un manuel de grammaire grecque, sans avoir besoin d'en connaître les bases, et aussi, l'assurance de ressortir de là conquis, nous aussi, quasi prêts à dévouer le restant de notre vie à la contemplation de cette langue, à défaut de son étude approfondie.

L'autrice, Andrea Marcolongo, en faisait la promesse en quatrième de couv : "Le grec est une langue géniale : voici neuf bonnes raisons d'en tomber éperdument amoureux", en précisant bien, "peu importe que vous connaissiez le grec ou non." Forcément, je signe.

Le hic, c'est que nous avons affaire à une amoureuse éperdue, enragée, folle furieuse du grec ancien, qui n'est plus en capacité de se mettre à la hauteur de la pure novice que j'étais et qui s'adresse en plus majoritairement à des gens qui ont un peu étudié le grec ancien à l'école, contrairement à ce qui est annoncé au départ. Le qualificatif "génial" aurait dû me mettre la puce à l'oreille. C'est un terme déjà trop fort, à la limite du fanatisme. Elle l'admet en préambule d'ailleurs. Ce livre est avant tout une Déclaration d'Amour. Au grec ancien. Voici comment elle en parle, entre autres :
"Il raconte de façon littéraire (et non littérale) certaines caractéristiques de la langue magnifique et élégante qu'est le grec ancien : sa manière de s'exprimer foudroyante, synthétique, ironique, franche et dont nous éprouvons une nostalgie inconsciente." Ah bon ?

Trop d'excitation dès le départ alors que l'on n'a pas encore partagé grand-chose. Dès les premiers chapitres, on est abreuvé de termes abscons, qui refroidissent vite. On plonge bel et bien dans la grammaire avec l'aspect en grec, les genres, les nombres, les cas, le mode optatif, j'en passe et des meilleurs. Certes, comment parler d'une langue et de la manière dont elle réfléchit le monde pour ses locuteurs, sans passer par sa grammaire, sa construction, mais je m'attendais à ce que ce soit plus digeste, léger. Résultat, au lieu de se retrouver absorbé par sa passion, on s'en retrouve au contraire exclu, en observateur lointain du phénomène. 

Il y a par ailleurs beaucoup de répétitions, pour bien souligner le caractère génial, incroyable de cette langue et déplorer la disparition de la langue parlée, dont il ne reste plus que l'écrit, or on l'a bien compris (et on le savait d'ailleurs) que le grec ancien ne se parle plus depuis des lustres, qu'il n'existe plus de locuteur de la Grèce antique, que cette langue n'existe plus sous sa forme parlée et donc que l'on n'a aucune idée de son oralité. Ça nous est asséné tant de fois que ça en est lassant.

Ce que j'ai trouvé intéressant, ce sont les faits anecdotiques autour du monde de la Grèce antique qui illustrent en quoi ce monde et sa langue étaient géniaux. C'était davantage ce que j'attendais de ce livre, je pense, plus que l'aspect grammatical de la langue dans ses détails. La façon dont ils sont insérés dans le texte n'en rend pas la lecture fluide en revanche : des encarts de paragraphes insérés en pleine démonstration grammaticale ou traduction, qui coupent le rythme de la lecture et dispersent, mais on s'y accroche pour le côté divertissant et instructif qu'on attendait de cette lecture.

Par exemple, à propos des couleurs chez les Grecs :
"Les couleurs étaient avant tout pour les Grecs vie et lumière : une expérience entièrement humaine et non physique, optique, et qui n'a rien à voir avec le spectre chromatique du prisme tel que l'a théorisé Isaac Newton.
Homère, dans l'Iliade et l'Odyssée, ne mentionne que quatre couleurs : le blanc du lait, le rouge pourpre du sang, le noir de la mer, le jaune-vert du miel et des champs."
"En définitive, les Grecs de l'Antiquité donnaient à chaque couleur une autre signification, un sens de luminosité, de gradation de clarté. Ils voyaient la lumière et ils en coloraient l'intensité : ainsi, le ciel est d'airain, vaste et étoilé, jamais simplement bleu, et les yeux dont glauques, scintillants, jamais simplement azur ou gris."

J'ai lu les deux derniers chapitres en diagonale. L'avant-dernier, intitulé "mais alors, comment traduire ?", était pourtant intéressant, sauf que là encore, l'autrice part dans des généralités comme si c'était des particularités du grec ancien, s'adresse encore principalement à des élèves (anciens ou actuels), comme si, moi, lectrice lambda, j'attendais avidement ces conseils pour me lancer tout de suite dans la traduction du grec... Des belles phrases par ailleurs, mais un peu creuses.
"Une traduction n'est jamais l'oeuvre originale, mais elle est un chemin vers son sens original. Le résultat est une rencontre, comme lorsque l'on tombe sur quelqu'un : il était au loin et il se retrouve d'un coup tout près. Cela vaut aussi pour le grec ancien, même si personne ne le parle plus."

Bref, ce n'était pas inintéressant, mais peut-être un peu trop passionné.:)

L'autrice
Andrea Marcolongo, née en 1987 à Crema en Italie, est une helléniste, diplômée de l'Università degli Studi de Milan. Elle a beaucoup voyagé et a vécu dans dix villes différentes, dont Paris, Dakar, Sarajevo et Livourne aujourd'hui. Elle a travaillé comme plume auprès de personnalités politiques.

30 commentaires:

  1. Il m'arrive d'avoir des discussions passionnées au boulot avec mon collègue quand on parcours un texte écrit en caractères grecs: lui le lit avec la prononciation du grec moderne et me soutient mordicus que c'est la bonne, je le déchiffre avec ce qu'il me reste de mes études de grec ancien et ça ne sonne pas du tout pareil...
    J'avais eu la curiosité, il y a un ou deux ans, de regarder les chiffres des spécialités de nouveau Bac (à deux spécialités). S'il reste encore quelques centaines de bacheliers qui choisissent de passer la spécialité "latin", le nombre de ceux (celles, en majorité) qui choisissent la spécialité "grec ancien" se compte plutôt en dizaines... sur toute la France!
    Je suppose que les anciens profs de "lettres classiques" partent désormais à la retraite sans être remplacés...
    Sic transit gloria mundi, comme disait le poète je crois?)...
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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    1. Ahaha, je pense que tu saurais apprécier cet ouvrage sans problème et que tu y prendrais même grand plaisir. Ton premier paragraphe aurait même pu s'inscrire dans son texte, je n'y aurais vu que du feu.;)
      Le grec ancien a l'air quand même particulièrement compliqué, davantage que le latin en tout cas. Je ne m'étonne pas que les élèves préfèrent ne pas s'y attarder.:)

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  2. Dommage que l'autrice mue par sa passion en oublie de rester à hauteur de lecteurs non initiés au grec...

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    1. Je ne suis pas sûre qu'elle l'oublie vraiment. Je pense qu'elle est convaincue que son ouvrage est accessible à tous. Je suis peut-être l'exception.;)

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  3. Je ne suis pas tellement surprise que ce livre soit décevant : le titre et le sous-titre étaient un peu trop accrocheurs à mon goût.

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    1. Ah oui, moi ça m'a accrochée directe.😆 J'ai voulu y croire...

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  4. Oh que c'est dommage, sinon je fonçais! Figure to i que j'ai failli étudier le grec (dès la 4 ème, autre époque, ...) mais comme j'avais le latin, on ne pouvait avoir les deux. J'aimais beaucoup le latin, et le grec, quand j'ai voyagé en Grèce, facilement on lisait (sans comprendre, sauf si le mot avait donné un mot français). Notons que si l'on a fait des études scientifiques on acquiert l'alphabet sans s'en rendre compte, magnifique, non?

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    1. Oui, on connaît l'alphabet, mais on ne va pas si loin quand il s'agit de prononcer les mots du grec ancien, et je ne parle même pas de comprendre.^^ J'aurais bien aimé avoir la possibilité d'étudier le grec au collège. Aujourd'hui, je ne me sentirais pas le courage de me lancer, et encore moins en ayant lu son livre.

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  5. J'ai étudié le latin et le grec ancien à l'école, je n'ai jamais vraiment accroché (encore moins au latin qu'au grec), je n'aurais jamais imaginé qu'on puisse parler de "génial" pour le grec... Ce livre a l'air un peu tiré par les cheveux quand même !
    (je crois avoir lu quelque part que les anciens Grecs ne connaissaient pas le bleu, il n'y avait pas de mot pour décrire cette couleur).

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    1. J'ai fait un peu de latin, j'en garde un très bon souvenir, mais si lointain qu'il ne me reste de connaissances que ce que toute personne connaît du latin sans l'avoir forcément étudié.^^
      Pour le bleu, en effet, elle en parle dans son livre. J'ai bien aimé cette partie d'ailleurs.

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  6. Je dois être de la même époque que Keisha, car j'ai étudié le grec ancien en 4e et 3e ! Je n'en ai absolument rien gardé, si ce n'est de connaître l'alphabet... il faut dire que la prof ne rendait pas le sujet très passionnant...

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    1. Ah ça, si on n'a pas les bons profs, surtout de langues, ça n'aide pas... J'ai le souvenir vif de cours d'allemand d'un ennui mortel.^^

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  7. ça semble vraiment obscur pour les néophytes. Je n'ai jamais étudié le grec, seulement deux petites années de latin... Le grec moderne me plaisait bien en voyage, lire les panneaux et retrouver des racines qu'on a gardées en français !

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    1. Pareil, mais je n'ai réussi à déchiffrer que quelques mots.^^ Par contre j'ai été épatée en librairie de voir toute leur production littéraire et les traductions de livres étrangers en grec. Il y en avait à foison, quasiment comme ici en France.

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  8. Oui bon ce n'est vraiment pas mon style de livre...

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  9. C'est clair que ce n'est pas un livre pour moi. Je n'ai fait ni latin ni grec à l'école. A l'époque, je ne voulais pas entendre parler de ça. Maintenant, je pense que ça me plairait de suivre des cours...

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    1. Moi c'est un peu l'inverse, haha ! J'aurais bien fait grec à l'école, mais aujourd'hui, eh bien, tant pis.;)

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  10. ;) tu me fais sourire... J'ai eu ma période "apprendre le grec" toute seule aussi, j'ai encore des bouquins, bon, j'ai laissé tomber. Dommage que ça ne soit pas pour un plus large public.

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    1. Franchement, je trouverais un livre concis et efficace, je m'y mettrais volontiers, je l'avais fait pour le japonais. Bon, cet ouvrage ne se présente pas comme un livre d'apprentissage du grec ancien, mais j'avais tout de même espéré acquérir quelques notions avec ce livre.

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  11. Je t'imagine pleine d'entrain à l'idée de lire ce livre, puis de plus en plus perplexe, avec un sourire qui disparaît au fil des pages et des chapitres... Quel dommage! J'ai fait 7 ans de latin puis 4 ans de linguistique à l'Université. Je trouvais génial de pouvoir apprendre quelques mécanismes pour comprendre la syntaxe d'une langue dont on ne comprenais strictement rien (l'islandais revenait souvent en exemple). Il y a 25 ans, entourée d'amis indiens, l'envie m'avait prise de vouloir apprendre le hindi. J'avais donc acheté une méthode et me souviendrai toujours de la joie ressentie lorsque au bout de quelques temps certains mots ressortaient clairement d'un texte qui encore quelques temps ne ressemblait strictement à rien pour moi. Je déchiffrais certains mots bien sûr mais évidemment je n'en comprenais pas le sens, mais c'était une victoire quand-même vu la complexité de la langue ^_^. J'ai fini par abandonner mais c'est une petite expérience dont je me souviens avec plaisir.

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    1. J'ai eu la même expérience avec le japonais. Quelle joie en effet d'arriver, au bout de quelque temps, à déchiffrer les mots, à comprendre les phrases, à l'écrit et à l'oral, à se faire comprendre aussi. Ça demande beaucoup de discipline et de régularité dans l'apprentissage, mais quand on y parvient, on se sent vraiment récompensé de tous nos efforts.
      Oui, avec ce livre, l'entrain s'est éteint assez vite en réalité, mais je suis quand même allée jusqu'au bout.

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  12. On ne fait plus de latin grec ni de latin au collège (du moins dans le collège de ma petite fille.) L'option qu'ele a prise en 5 ième I n'est plus l'apprentissage des deux langues mais c'est une initiation à la culture et à l'étymologie. Quant à faire du grec au lycée, il doit falloir trouver l'établissement qui le fait ? Le privé, certainement !
    Pour notre LC de Céleste Albaret, le livre Monsieur Proust est assez épais et comme je pars pendant les vacances je ne pourrai pas faire la LC pour le 28 Avril. Est-ce que tu serais d'accord pour la repousser à mon retour et la programmer pour le 11 mai ?

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    1. Oui, pas de souci pour la LC décalée au 11/05. Je vais peut-être en profiter pour essayer de lire le tome 2 à ce moment-là (s'il est dispo à la bibli).
      Quant à ce livre, l'autrice est italienne et il semble que l'apprentissage du grec ancien soit obligatoire (sur un cursus de 5 ans) dans ce qu'ils appellent les "lycées classiques". Ça semble être un peu l'équivalent des filières "lettres classiques".

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  13. Quel dommage que le vocabulaire soit abscons, le propos est intéressant.

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    1. Très intéressant, oui. Il aurait gagné à être plus accessible à tout venant.

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  14. Je me reconnaissais parfaitement dans ton auto-portrait et me frottait déjà les mains mais n'ayant pas de notions de grec ancien (on ne proposait que le latin dans mon collège), la frustration serait grande pour moi aussi. Tant pis !

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  15. Θα περάσω, όχι σε πειρασμό, προτιμώ τα λατινικά!!! Bon désolée, ce n'est pas de l'ancien !!!

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