lundi 13 juin 2011

T'ES PAS LA SEULE À ÊTRE MORTE !


T'ES PAS LA SEULE À ÊTRE MORTE !

traduit de l'islandais par Éric Boury


Bon, rien qu'avec le titre, on se doute que l'on n'a pas affaire là à un roman classique et ordinaire. Encore que pour un Islandais, il est fort possible qu'il le soit !

J'ai lu ce livre à la lumière de l'introduction du traducteur que j'ai trouvée vraiment instructive sur la culture et la littérature islandaises et qui m'a du coup permis d'aborder ce récit moins déroutée que j'aurais pu l'être, et avec plus de sourires, je pense, car il y a un effet comique certain dans ce décalage culturel que j'ai ressenti à la lecture de ce récit !

En effet, je passe sur la cohabitation quasi naturelle du visible et de l'invisible qui date de la nuit des temps, en atteste toute la mythologie scandinave qui explique qu'il n'y a pas de bizarrerie pour un Islandais dans le fait que le monde des morts soit aussi réel (vivant j'allais écrire ^^ - car on y boit, mange, fume, rit, pleure!) que celui des vivants, et je voudrais m'attarder sur cette découverte (pour ma part) comme quoi les écrivains islandais "sont fortement influencés par les monuments littéraires de leur Moyen-Âge [...] parce que les thématiques demeurent proches de celles qui ont toujours régi la littérature de ce pays. [...] En outre, l'Islandais le plus sérieux qui soit peut, au détour d'une conversation, vous rapporter tout naturellement sa toute dernière vision d'elfes et de fantômes [...].

En ce qui concerne la langue islandaise elle-même, l'évolution qu'elle a subie depuis l'époque des sagas est presque un épiphénomène. Certes, de nouveaux mots ont été créés, d'autres ont vu leur sens glisser, mais la structure est demeurée pratiquement intacte. Cette évolution très modérée de la langue permet au premier Islandais venu de prendre un texte de saga et de le lire presque comme s'il ouvrait son quotidien pour s'informer du programme de télévision de la soirée."
  
Cette petite révélation m'a permis d'être moins déstabilisée par ce récit car c'est vrai que cet aspect pourrait expliquer bien des choses sur le fait que nous, du moins, moi, je puisse être désorientée par un récit qui serait limpide pour un Islandais, et c'est ce que j'ai trouvé particulièrement intéressant, ce gouffre culturel que j'ai ressenti à la lecture de ce récit qui m'a donné l'impression de lire de l'extraterrestre par moment (des fois j'en éclatais de rire tellement c'était spécial). Non pas du fait de l'histoire en elle-même, mais plus dans l'attitude, le comportement décalé (pour moi) des personnages dans leur rapport à la mort, dans ce contexte où les membres de la famille meurent les uns après les autres mais eux, les vivants parlent de bouffe, de sexe, alors même que les cadavres gisent dans la même pièce qu'eux, c'est trop bizarre. Tout ceci donne une impression de situations et dialogues décousus qui donnent lieu à des réparties étonnantes car complètement inhabituelles.

J'étais moins surprise par l'idée plutôt amusante de l'auteure de faire intervenir, dans le monde des morts, Hemingway, Leonard de Vinci et Dieu en personne qui apparaît à chaque fois que quelqu'un s'exclame "Mon Dieu!", que par tout se qui se tramait côté monde des vivants où j'avais du mal parfois à trouver mes repères, et pourtant le récit est très clair, j'entends par là qu'il n'y a pas à proprement parler d'incohérence narrative, ni rien de fondamentalement absurde non plus.

Rien que le titre et ce qu'il peut évoquer d'étrange, d'interpellant, d'intrigant, d'inhabituel, de drôle aussi et d'irrévérencieux, pourrait résumer tout ce qu'on peut ressentir en lisant ce livre. D'un côté, on a l'impression que ça ne veut rien dire car on ne voit pas dans quel contexte on pourrait le dire, et en même temps cette phrase est très correcte et se comprend aussi si tant est que l'on est un peu sensible à l'humour noir. L'auteure en tout cas n'en manque pas!
  
Repéré chez Mélopée qui en a une lecture enthousiaste, lecture commune avec Loo de Une pause livre, et également commenté par Joelle qui n'a pas aimé.
Pour ma part, je ressors de là encore un peu décalée, pas très sûre d'où je reviens ni d'où j'étais, mais le voyage ne fut pas désagréable.


L'auteure
Kristín Ómarsdóttir est née en 1962. Romancière, elle est également poète, dramaturge et auteur de nouvelles. Elle a reçu plusieurs prix littéraires dont, en 1998, le Nordic Playwrights Prize octroyé par l’UNESCO. Mon amour, je me meurs! est son troisième roman, le premier traduit en français.

12 commentaires:

  1. Merci de nous donner quelques clés de lecture! pas sûr que je m'y lance, mais bon...
    Ce civil servant (ton blog it) c'est une sortie en librairie?

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    1. Disons que ce sont les clés qui m'ont permis de voir ce récit sous un angle plus confortable que si je ne les avais pas, j'en suis persuadée. Pas forcément indispensable mais si on a une petite curiosité côté Islande, c'est un roman qui fait l'affaire. Je n'en ai pas lu assez pour me rendre compte s'il est représentatif de la littérature islandaise cela dit.
      Sinon, le "civil servant", oui c'est une sortie très attendue (par moi^^) en librairie. Je n'arrête pas de guetter!!

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  2. Miam, je me suis régalée en lisant ta critique. Oui j'en ai un très bon souvenir. Malgré l'abondance de morts et le côté un peu tragique que cela implique, c'est gai et réjouissant !

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    1. Oui, j'ai encore en tête ton billet enthousiaste! C'était une lecture assez expérimentale pour moi en réalité. Je n'ai jamais ressenti rien de comparable à la lecture d'autres romans. J'avais essayé de rapproché cette impression d'étrangeté à quelques romans japonais, mais rien à voir, rien à voir! C'est vraiment spécial les sensations et réflexions que ça suscite, mais comme je le disais, ce n'est pas désagréable!

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  3. Ah, je comprends donc mieux pourquoi j'ai toujours eu la sensation d'être à côté de la plaque lors de cette lecture ! C'est à cause de l'évolution de la langue islandaise (et moi qui me disait que c'était peut-être du au fait que ce soit une île ... genre clan avec des codes qu'on ne comprend pas si on n'en fait pas partie !)

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    1. Le fait que ce soit une île, leur isolation géographique, a certainement joué dans l'évolution de leur culture et de leur langue (non-évolution devrais-je dire^^). C'est un peu comme le Japon, ou même la Grande-Bretagne, leur statut d'insulaires fait qu'ils ont une culture vraiment bien à eux, qui nous paraît parfois excentrique, avec des subtilités, et des codes, qu'on ne saisit pas toujours bien.

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  4. Pas franchement tentée. Soit dit en passant, ma chef est allée en Islande et elle a pas aimé "sont vraiment space là-bas, croient encore aux elfes !"

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    1. ^^ Franchement moi ce séjour a priori totalement dépaysant culturellement parlant me brancherait bien. C'est le dépaysant d'un point de vue des températures qui me branche nettement moins.^^

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  5. Nos impressions sont très ressemblantes. Une lecture effectivement très déroutante mais l'intervention du traducteur a été la bienvenue. Ton dernier commentaire est d'ailleurs très bien amené car même perdue dans cette lecture, notre curiosté est encore plus attisée. Je regrette d'ailleurs de n'avoir pas noté toutes les déclarations qui m'ont tant fait rire.

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    1. J'en avais noté quelques-unes mais mon billet en devenait trop long, et puis, hors contexte, ces extraits étaient encore plus déroutants.
      Oui vraiment la préface du traducteur a été comme une lanterne pour moi. Je ne sais pas si j'aurais aussi bien vécu cette lecture sans, en plus j'ai trouvé son topo vraiment passionnant. J'avais lu, il n'y a pas très longtemps, un recueil de nouvelles islandaises auxquelles je n'avais rien, mais rien compris, et j'avais trouvé ça désagréablement déstabilisant! Maintenant je comprends mieux pourquoi! ^^

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  6. Ben voilà, j'ai envie de le lire, j'adore la litérature Islandaise :)
    C'est vrai qu'ils ont des croyances assez bizarres (vu par un Français), mais bon ça fait leur charme ! De mauvaises langues disent que c'est a cause des sources chaudes...
    D'un autre côté, ce n'est pas étonnant que les textes moyen-âgeux sont très importants chez eux ! Leur langue écrite n'a quasiment pas évoluée depuis les vikings... Alors un texte du Moyen-Âge doivent leur faire le même effet qu'un de nos textes de l'époque de Louis XIV...
    'fin voilà !
    Merci d'être passée :)

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    1. Oui, ils ont un petit côté intrigant sympathique.:)
      Je vais continuer à explorer de ce côté-là de la littérature pour voir s'il y a toujours cette impression de gros décalage culturel. Je n'ai pas l'impression que ce soit le cas chez cet auteur de polar que tout le monde lit et semble apprécier, Arnaldur Indridason.
      A bientôt!

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