lundi 24 avril 2017

PHOTO DE GROUPE AU BORD DU FLEUVE


PHOTO DE GROUPE AU BORD DU FLEUVE

Quand une collègue m'a dit de ce livre au titre qui n'enflamme pas vraiment l'imagination qu'il était superbe, j'ai eu une petite moue dubitative. Quand elle a évoqué une histoire de casseuses de pierres qui se mobilisent pour faire valoir leurs droits, une étincelle de curiosité s'est allumée en moi (mais bon, ce titre, inquiétant tout de même). Je n'aurais pas pensé pour autant qu'un tel récit pourrait aller jusqu'à me passionner. Et pourtant... Je me suis régalée avec ce livre, du début jusqu'à la fin ! Mais vraiment, ré-ga-lée !!

Ce qui m'a plu d'emblée, c'est qu'il y a un certain réalisme dans le rythme de l'évolution de l'histoire et dans la personnalité de nos casseuses de pierre. Ce ne sont pas des révoltées qui obtiennent gain de cause en ruant dans les brancards, convaincues de leur bon droit. Non, ce n'est pas aussi simple, et même, c'est loin d'être simple.

Nos casseuses de pierre sont des accidentées de la vie que de tragiques circonstances ont résignées à leur triste sort. Certaines sont analphabètes, aucune n'est vraiment rebelle dans l'âme, et on ne peut pas vraiment dire qu'elles débordent de confiance en elles. Lorsque germe cette idée de demander un prix décent pour leur dur labeur, ce n'est pas sans crainte des réactions de leurs acheteurs ni doutes sur la légitimité de leurs revendications. D'autant plus que les négociations ne se passent absolument pas dans les règles de l'art, ni du commerce, et qu'on leur fait vite comprendre que ce terrain-là n'est pas celui de petites casseuses de pierre. Ce n'est d'ailleurs tellement pas leur terrain de négocier auprès des entrepreneurs que cette audace, pas si aisément assumée, qui sonne d'ailleurs comme une lubie pour ces derniers, génère des situations, des réactions et des dialogues plutôt cocasses.
Il en faut du courage donc à ces femmes pour tenir bon et ne pas céder à l'intimidation. La lutte se mène ainsi davantage par la force tranquille que par des actes de violence (de la part de ces femmes du moins) mais nous avons quand même affaire à des personnages hauts en couleur et à des caractères bien trempés, à l'africaine, pour notre plus grand plaisir.

C'est un récit très prenant, qui tient en haleine, et ne cesse de surprendre de page en page. La situation n'arrête pas d'évoluer entre décapant, absurde, émouvant et révoltant, et on se délecte tout le long de l'évolution de plus en plus inattendue et presque gaguesque de ce mouvement de femmes au début insignifiant.
Tout tient, je crois, dans la manière de raconter d'Emmanuel Dongala qui a un vrai talent de conteur. Une façon vraiment très simple de narrer les événements, dans un style très vivant, sans fioritures, mais diablement efficace, qui happe l'attention, amuse le lecteur et maintient la tension à son comble. 

L'histoire se déroule quelque part dans l'Afrique contemporaine. Aucun pays n'est spécifiquement nommé comme lieu de l'action, l'auteur évoque des problèmes communs à toute l'Afrique. La condition féminine plus particulièrement, mais également les traditions, us et coutumes, le mariage, les problèmes des veuves et des héritages, la corruption, les guerres, les maladies, les injustices sociales, les violences familiales, etc... Il n'est presque pas une problématique africaine qui ne soit évoquée à travers la vie et le passé de ces femmes que nous découvrons au fur et à mesure que l'intrigue se développe, et là encore, l'auteur trouve le moyen de raconter ces vies de misère en y assaisonnant humour et légèreté sans pour autant occulter leur rudesse ni les incohérences d'un système politique et économique qu'il ne se prive pas de pointer du doigt.

On pourrait reprocher à Emmanuel Dongala qu'il soit un brin simpliste dans sa manière de présenter les choses - les méchants d'un côté, les gentils de l'autre, tout blanc, tout noir, la caricature facile, des retournements de situation qui tombent bien, quelques facilités d'auteur en somme, bref, un certain parti pris qui ôte quasi toute nuance au propos, le moule trop lisse pour qu'on y adhère à 100% - mais, tout comme dans les contes où l'on sait bien que rien n'existe de façon aussi caricaturale et manichéenne, on est pris malgré tout dans l'histoire qui a tout du conte humaniste.
Il faut dire que le ton un brin humoristique et malicieux de l'auteur met la distance et permet d'avaler allègrement tout ça, sans trop se poser de question. On ne lit pas tous les jours des histoires aussi joliment troussées. Et ça fait du bien. Et on en redemande même !

Je suis maintenant très curieuse du dernier paru de l'auteur, La Sonate à Bridgetower, qui serait, d'après ses dires, radicalement différent de ses romans précédents qui traitaient spécifiquement des questions africaines. Ici, rien de tel, jusqu'au style qu'il a travaillé encore différemment pour essayer de coller à l'époque (le 18è siècle en France, si je ne me trompe).
Hâte de voir ça !


L'auteur
Né en 1941, Emmanuel Dongala a quitté le Congo au moment de la guerre civile de 1997. Il vit aux États-Unis, où il enseigne la chimie et la littérature africaine francophone à l'université. Son oeuvre est traduite dans une douzaine de langues et son roman Johnny chien méchant a été adapté au cinéma sous le titre "Johnny Mad Dog".

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22 commentaires:

  1. Ah oui, quelle belle découverte ! D'accord avec toi pour le manichéisme (je n'ai pas bien compris le retournement du mari qui devient vraiment l'inverse de l'homme charmant et attentif qu'il était), mais le portrait de la ministre par exemple est plus subtil.

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    1. Oui, ça reste même assez subtil dans l'ensemble bien qu'on puisse relever quelques facilités d'auteur, mais elles se fondent si bien dans le récit qui a malgré tout une force narrative indéniable qu'on ne pourrait y voir que du feu. Je me suis régalée en tout cas (je sais, je n'arrête pas de le dire^^).

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  2. Totalement d'accord, je ne regrette ps ma découverte; J'ai parfois du mal avec les auteurs africains, mais cette histoire est passée avec enthousiasme, d'un souffle.

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    1. Ah justement en le lisant, je me disais qu'il y avait vraiment du bon chez les auteurs africains. J'ai peut-être fait plus de découvertes heureuses que toi. En tout cas, jamais de grosses déceptions ou de mécontentement, à part un ou deux dans le lot (mais je n'en ai pas lu des centaines non plus...).
      En tout cas bis, cet auteur-là est un de mes auteurs chouchou depuis la rencontre en librairie pour son dernier. En plus, à la base, il est chimiste ce monsieur. T'imagines ? Rien à voir avec la littérature au départ. Hé bien, heureusement pour nous qu'il aime raconter des histoires de temps à autre.:-)

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  3. J'en garde un très bon souvenir, et j'ai aussi aimé son dernier lu pour cette occasion !

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    1. Aaah j'ai encore plus hâte de lire son dernier vu que tu as aimé. Ça aurait pu être un gros raté ou une grande déception car je trouve que son projet était risqué, quoique prometteur et très intéressant pour son contexte historique et ses thématiques.

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  4. Ce titre a l'air de faire l'unanimité. C'est intéressant que tu abordes cet aspect manichéen, qui m'avait beaucoup gênée lors de ma lecture de Johnny Chien Méchant, du même auteur. Il est beaucoup moins marqué ici, et ce côté "simpliste" que tu évoques ne m'a pas sauté aux yeux. J'ai plutôt eu l'impression que l'auteur jouait volontairement sur le registre d'une certaine naïveté pour appuyer son propos, sans que cela le rende caricatural (contrairement au résultat de la même technique avec Johnny Chien Méchant). Je suis en tous cas ravie d'avoir pu vous rattraper au dernier moment sur cette lecture commune !

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    1. Je suis ravie aussi que tu aies tenté la lecture malgré ta déception avec Johnny Chien Méchant, et encore plus ravie que ce roman t'aie réconciliée avec Emmanuel Dongala.:-)
      Pour ce qui est du côté simpliste et manichéen, ce que je voulais dire c'est que, si on veut être tatillon, on pourrait trouver qu'il "réduit" un peu la situation à "des femmes dans la misère, victimes de l'infortune mais dignes et intègres malgré tout" d'un côté, soit les gentils, et "des hommes violents, puissants, perfides, exploiteurs et corrompus" (et pas un pour relever l'autre quasiment), soit les méchants, de l'autre. Et forcément, qui l'emporte au final malgré maintes embûches ? Les gentils, la justice.:-) Un peu comme dans les contes qui mettent le bien et le mal en opposition et où le bien l'emporte toujours sur le mal, à notre grand soulagement.:-)
      Bien sûr, la trame de ce roman est bien plus riche et subtile, les personnages plus étoffés, et comme tu dis, cette naïveté apparente pourrait tout à fait être voulue et assumée pour appuyer son propos. Quel que soit le cas de figure, on s'en accommode très bien.:-)

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  5. Auteur totalement inconnu de mes services jusqu'à ce matin... Je vais voir les ressources de ma bibliothèque.

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    1. Oh oui, fonce, si possible pour ce titre en particulier ! Les avis enthousiastes sont majoritaires. Si tu te fais la voix discordante, ce serait intéressant de savoir pourquoi.:-) Mais quelque chose me dit que tu pourrais bien être conquise toi aussi.:-)

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  6. Et deux points pour Dongala !
    Comme je le disais à Keisha, tu as bien fait de choisir ce titre car "La sonate" ne convenait pas pour mon challenge. (rires)
    Merci pour ta participation et bonne semaine.

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    1. Haha, et c'est vrai que j'aurais été bien embêtée parce que pour l'instant, je n'ai que ce titre.;-) Ceux qui suivent ont tous des déterminants (damned !). Mais je n'ai pas encore dit mon dernier mot. Nous ne sommes qu'en avril !:-)
      Bonne semaine.

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  7. Après Keisha, tu enfonces le clou. Je veux absolument le lire maintenant !

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    1. N'hésite pas ! Je pense que tu seras conquis, toi aussi.:-)

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  8. Ton enthousiasme est communicatif !

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    1. Il faut dire que ce roman est véritablement enthousiasmant.;-)

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  9. Vous êtes des tentatrices hors pair, je suis obligée de noter ! ;-)

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    1. Franchement, oui ! Obligée ! Et pas que de noter. De lire aussi !;-)

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  10. Il y a quelques années j’ai lu une critique sur ce roman qui m’avait vraiment donné envie de le lire. Et le temps est passé, comme toujours, trop vite (sourire), pour réaliser avec ton super billet enthousiaste que je ne l’ai toujours pas lu! :D
    Moi c’est drôle le titre je le trouve super inspirant et même poétique ha ha ha C’est décidé je vais le noter dans mon petit calepin... surtout que là si en plus il est question de la condition féminine, de beaux portraits de femmes fortes et de l’Afrique contemporaine, c’est suffisant pour me convaincre!
    Devines ce qu’il y a demain? Le weekeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeend!!!! Yaouhhhhhhhhhhhh :P
    Bisous

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    1. Arf, le nombre de livres que j'ai vraiment eu envie de lire un jour et qui sont dans ma vieille LAL ou tout simplement oubliés...:-) Des fois, on passe à côté de sacrés pépites tout de même. Je m'en rends compte quand je les lis enfin...:-)
      Je suis sûre que tu serais totalement conquise parce que ça a la simplicité et la force de Gouverneurs de la rosée, avec cette petite touche de conte exotique et humaniste.
      J'ai vraiment hâte de te lire à ce sujet.;-)
      Yep ! Weekeeeeeeeeeeeeeeend ! Trois jours !!!
      Bisous

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  11. Je ne connaissais pas du tout cet auteur, mais cette histoire me tente vraiment bien, c'est le genre de sujet qui me plait !

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    1. Oh je suis sûre que ça te plairait énormément ! N'hésite pas à faire une petite escapade côté littérature africaine pour découvrir ce roman en particulier. Tu ne le regretteras pas !:-)

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