mercredi 1 mai 2019

FUCK AMERICA


FUCK AMERICA

        LES AVEUX DE BRONSKY

traduit de l'allemand par Jörg Stickan

Ce roman m'avait été recommandé de longue date avec beaucoup beaucoup d'enthousiasme. Le titre me plaisait assez pour m'intriguer mais j'imaginais une sorte de récit pointant du doigt tous les travers de la société américaine, à notre époque. Quelque chose d'un peu énervé, de bouillonnant, de cynique, qui sort ses quatre vérités sans langue de bois et avec un humour piquant. En soi, l'idée ne me déplaisait pas mais ce n'était pas l'urgence non plus. Je pensais voir à peu près de quoi il retournait, un ouvrage de plus dans le genre, bon, peut-être en mieux vu l'enthousiasme mais bon, on n'a qu'une PAL... Je ne connaissais pas l'auteur alors. Je pensais même qu'il était américain. Erreur sur toute la ligne !

Edgar Hilsenrath, l'auteur, né en Allemagne en 1926 (et décédé en 2018), est un écrivain allemand qui a survécu au ghetto durant la Seconde Guerre mondiale, avant de partir pour Israël, puis pour New York (là je reprends la bio de la quatrième de couv). C'est dans cette ville, où il enchaîne d'abord les petits boulots, qu'il commence véritablement l'écriture de son premier roman. Il écrit la nuit, dans des cafétérias juives sordides, et vit de rien.

Fuck America, en grande partie autobiographique, est inspiré directement de cette période de galères et de désenchantements au coeur du rêve américain au début des années 50. Il y est dépeint une autre forme de survie que celle des ghettos, mais survie quand même. Survie physique de l'immigré aux conditions de vie précaires, qui enchaîne les boulots miteux (il faut bien se nourrir, s'habiller, subvenir à ses besoins) (aaah ! ces astuces du diable pour survivre quand on n'a pas un rond - pouvoir prendre le bus, et même dîner dans un restau chic, non vraiment rien que pour ça, ce roman vaut le détour), et survie mentale du rescapé qui, pour surmonter le traumatisme de la guerre, tente un travail de mémoire pour combler les trous, ne pas oublier, et s'attelle donc à rédiger un livre "sur le ghetto, contre la violence et la barbarie".

Tout cela semble désenchanté et glauque à souhait mais avec Edgar Hilsenrath, on n'est pas là pour se morfondre. En vrai, on rigole même beaucoup dans ce roman à la fois drôle et cruel ! D'ailleurs, le livre de son personnage acquiert vite le titre "Le Branleur", ce qui laisse imaginer l'esprit qui anime tout ce livre. Et c'est ça que j'ai toujours trouvé extraordinaire et impressionnant chez ces gens qui ont survécu au pire et qui arrivent malgré tout à en parler avec un humour assez dévastateur sans pour autant minimiser ou trahir la gravité du sujet. Je pense en particulier à Une journée d'Ivan Denissovitch d'Alexandre Soljenitsyne qui, à ce jour, m'a marquée par son esprit, son humour et son style.
C'est caustique, cru (ça parle aussi beaucoup beaucoup sexe), burlesque, irrévérencieux mais c'est aussi étrangement émouvant. Bref, on en redemande !

Sur Goodreads, j'avais écrit :
Un auteur étonnant et fascinant, de ceux que vous ne pouvez qu'admirer pour son parcours chahuté par la vie, sa lucidité, son humour (noir) et son grand sens de la dérision malgré tout ! Une très belle rencontre dont j'aimerais renouveler les occasions ! J'ai noté en priorité Le Nazi et le Barbier, ainsi que Nuit, et tout récemment Terminus Berlin.
Livre dévoré en un jour, autour de thématiques qui ne sont pourtant pas vraiment mon domaine de prédilection. Ça faisait longtemps !
Un auteur incontournable !

Je rajouterai ici :
Une écriture à la fois brute et sensible, en tout cas clairement efficace, sans phrase superflue. Comme il l'écrit en parlant de l'écriture de son personnage :"prose économe, concision extrême, mots justes, phrases comme des squelettes, nettoyées, sans chichis, phrases qui tapent dans le mille." C'est exactement ça, ça se dévore, et on en reprendrait bien volontiers une louchée.

Quelques extraits :
"- J'ai aussi entendu dire que vous écriviez. C'est vrai, ça, Monsieur Bronsky ?
- C'est vrai.
- Peut-on savoir ce que vous écrivez ?
- Bien entendu. Je travaille sur un roman.
- [...] Une fiction, je suppose ?
- Non. C'est une sorte de roman basé sur des faits réels, bien qu'il faille parfois prendre quelques libertés avec la réalité pour mieux la saisir."

"Tu as veillé des nuits entières, seul, plongé dans tes pensées, mais maintenant, tu as besoin d'une femme. Tu es encore un jeune homme. Et l'homme ne vit pas que de pain, enfin, de bouillie, de café et d'un trou dans la mémoire à combler."

L'auteur
Edgar Hilsenrath, né en Allemagne en 1926 (décédé en 2018), est un écrivain allemand, connu avant tout pour ses romans Nuit, Le Nazi et le Barbier et Le Conte de la pensée dernière. Toute son oeuvre s'inspire de son expérience marquée par la guerre et la solitude, mais sur un mode burlesque, quasi rabelaisien.

22 commentaires:

  1. Incontournable oui. Je suis certaine qu'il en dérange plus d'un aujourd'hui encore mais je n'ai jamais rien lu ni entendu de négatif sur ses romans...

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    1. Et je me réjouis d'en avoir encore autant à lire ! :)

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    2. Je me permets de rebondir, car bien que j'aime beaucoup cet auteur, qui n'a sans doute pas son pareil pour tourner la tragédie en dérision, je trouve sa bibliographie un peu inégale. Le nazi et le barbier, Nuit, Le conte de la dernière pensée sont à lire, mais évite le lourdingue Orgasme à Moscou ! Le retour au pays de Jossel Wwasserman est un peu longuet, et moins féroce que ses autres titres. J'ai sur ma PAL son dernier titre paru, Terminus Berlin, à propos duquel j'ai lu beaucoup de bien (notamment chez Sandrine, d'ailleurs).
      Est-ce qu'au format poche, tu as aussi les illustrations et la taille de la police de caractère qui varie ?
      Quand je le lisais Fuck America dans le bus, lors de certains passages écrits en gras, j'avoue que j'avais tendance à me rencogner dans un coin...

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    3. Ah oui ? Haha ! Bon, je t'avoue, je l'ai dévoré chez moi en un court après-midi donc pas de souci de témoin gênant.^^ Ceci dit, je n'ai pas souvenir d'illustrations ni de taille de police qui varie. Il faudrait que je vois le grand format dans une de mes bib'. Me voilà curieuse !
      Sinon merci pour tes recommandations et alertes. Pour Orgasme à Moscou, peut-être que l'auteur a eu envie de se lâcher. Bon, au vu du résumé, je ne me serais pas précipitée de toute façon. Caser les 3 autres dans ma PAL, malgré ma grande motivation, ce n'est déjà pas gagné.:)

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  2. Je le croyais aussi américain... J'ai failli le lire, mais tu sais, manque de temps, d'autres trucs de la PAL... Là je vais devoir m'en occuper.

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    1. Oh oui, ne passe pas à côté, cet auteur vaut vraiment le détour !

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  3. j'avais déjà noté, tu enfonces le clou. ça a tout pour me plaire en tous cas!

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    1. Le nombre de titres que je note et que je renote à chaque fois que je tombe sur un avis (ah mais oui, il faut que je le lise celui-là !^^).

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  4. Un auteur que je ne connais que de nom mais je ne sais pas si cela me plairait...

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    1. Il faut tenter pour être fixée.:) J'avoue que je ne saurais dire. J'ai tendance à penser que oui en tout cas.^^

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  5. J'avais dû le voir passer et tu me donnes envie de le lire ! C'est noté !

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    1. Franchement il vaut le détour. Hâte de te lire à ce sujet.:)

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    2. J'ai acheté déjà d'autres livres. Il va falloir attendre que je fasse baisser ma PAL de mes derniers achats mais je compte bien le lire même si ce n'est pas tout de suite !

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    3. Je fonctionne comme toi.^^ Pas de nouvelles acquisitions tant que je n'ai pas lu 1 ou 2 livres de mes derniers achats. C'est dur parfois car les tentations pleuvent...

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  6. Depuis que j'ai lu Le nazi et le barbier, j'ai bien l'intention de lire ce titre-là. Mais voilà le temps passe et je ne l'ai toujours pas lu... Un jour peut-être.

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    1. Hé bien tu vois, depuis que j'ai lu celui-ci, j'ai bien l'intention de lire Le nazi et le barbier mais je crains que le temps ne passe aussi.^^

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  7. J'ai adoré le Nazi et le barbier, je retrouve d'ailleurs certaines de mes impressions de lecture. J'ai été scotchée par Le Nazi et le B. Sa férocité, la crudité du ton, le côté cash.
    J'ai un autre titre dans ma pal Les aventures de R Jablonski je crois et il faut vraiment que je le lise. Je note ce titre-ci bien sûr.

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    1. J'hésitais entre commencer par Nuit ou le Nazi et le barbier mais là, tu m'as aidée à faire mon choix, merci ! Tu me donnes même envie de ne pas trop tarder à m'y mettre !

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  8. Assez tentant... Donc dans les pourquoi pas, s'il croise ma route !

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  9. Bonjour A_girl, tu me fais penser que j'ai ce roman qui m'attend sur une de mes nombreuses Pal. Ton billet me donne envie que je le retrouve. Bon dimanche.

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    1. Bonsoir Dasola, je ne peux que t'inciter à le sortir de ta PAL. Très curieuse de ton avis sur ce livre.

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