mercredi 18 mars 2020

LES FURTIFS


LES FURTIFS

Il y a 15 ans, je découvrais Alain Damasio et sa Horde du Contrevent. Une rencontre, une révélation même, comme il ne s'en fait qu'une fois toutes les décennies. La claque ! Le tourbillon ! J'avais été complètement bluffée par l'imagination de l'auteur autour de l'intrigue et par l'originalité unique de la forme. Un travail et un talent qui ne pouvaient qu'être salués bien bas. Je ne suis jamais revenue à lui depuis, probablement par crainte d'une déception. La barre était haute. Et puis Les Furtifs est paru l'année dernière, on en parlait beaucoup comme de l'incontournable du moment (dans le genre SFFF en tout cas), je n'ai pas résisté...

Cette fois-ci, Damasio nous emmène dans un futur proche (l'an 2041) qui n'est pas sans évoquer nos sociétés et modes de vie technocentrés d'aujourd'hui, et où tout le monde, passif et consentant, bercé par le mirage des bienfaits de l'avancée technologique, est sous contrôle sous des faux airs de liberté. Le fossé des classes se creuse davantage chaque jour dans les villes désormais privatisées et gérées en zones standard, premium et privilège, auxquelles on a accès suivant le forfait citoyen dont on s'acquitte.
Et dans ce cocon entre paradisiaque et infernal, ont été détectés des êtres dont l'existence défie tout entendement, les furtifs (les fifs pour les intimes). Des êtres qui, on le découvrira vite, naissent d'une mélodie fondamentale, le frisson, et qui, tels des spectres, sont difficilement repérables à l'oeil nu, et ne se laissent d'ailleurs jamais voir sans se pétrifier aussitôt, échappant ainsi à toute possibilité d'être étudié, disséqué, analysé et contrôlé par l'homme. Menace ? Espoir pour l'humanité ? C'est ce que Lorca Varèse, sociologue, sera amené à découvrir alors qu'il est à la recherche désespérée de sa fille de 4 ans, Tishka, disparue depuis deux ans et qui, il est convaincu, est partie avec les furtifs. Ou serait-ce toute autre chose ? (#suspense) Il intègre alors une unité clandestine de l'armée chargée de chasser ces êtres mystérieux et là, notre roman commence pour de bon...

On retrouve ici toutes les touches Damasio qui m'avaient complètement séduite et bluffée dans La Horde du Contrevent
- plusieurs narrateurs et donc voix et points de vue sur un même événement, la désignation de chaque narrateur par des glyphes différents, permettant ainsi de repérer qui parle, agit, pense, en cours de récit. Procédé très original visuellement.
- une maîtrise de la langue française impressionnante, où l'auteur passe par toutes les tournures, tous les niveaux de langage et autres dextérités linguistiques épatantes.

Mais voilà, j'avoue que, 15 ans après, bien que le tout ait un petit goût de reviens-y, j'ai l'impression que la sauce n'a pas aussi bien prise, ou alors, l'effet de surprise passé, j'ai été moins impressionnée, ou j'attendais d'être surprise différemment (#déjavu).

J'ai beaucoup aimé l'idée de l'intrigue générale, adoré même le concept des furtifs, toute la "mythologie" autour, avec le langage furtif et son décodage subtil. Je me suis beaucoup amusée aussi de cette vision d'un futur pas si lointain, Damasio a clairement de l'imagination à revendre...
... mais...
... j'ai pas mal tiqué sur le style cette fois, sur le rythme frénétique des monologues de certains personnages, leur façon de parler un peu trop urbaine, familière, argotique. Ça parlait beaucoup trop d'ailleurs, ça mitraillait même souvent, et sur des passages beaucoup trop longs par moment. J'ai été parasitée aussi par les trop nombreux effets de style où l'auteur faisait l'étalage de ses prouesses en jeux de mots et lyrisme. Trop de style tue le style. 
J'ai été agaçouillée aussi par la répétition incessante du désarroi du couple Lorca/Sahar vis-à-vis de Tishka au fur et à mesure de l'avancée de l'intrigue (#onacompris). Sans parler de tout ce cirque autour des "rebelles" du système en place, sortez les violons et jouez les thèmes de la quête de nos choix de vie et de nos libertés dans un monde de plus en plus déshumanisé, la reconquête d'humanité pour un monde plus juste et solidaire. C'était un peu trop "beaux messages un peu convenus" à la pelle qui m'ont un peu lassée sur la longueur.
C'est un roman qui joue sur la corde sensible du lecteur mais voilà, disons que pour qu'elle vibre et qu'on se laisse porter par la beauté et la magie du récit, il faut rester ouvert à l'émotion sur près de 700 pages. C'est trop me demander.;)

Au final, je me suis dit que c'était quand même bien tiré par les cheveux cette histoire qui va surtout me laisser le souvenir d'une lecture fastidieuse, dense, où l'on ressent les longueurs et le fait que ça pourrait être plus succinct, plus droit au but, moins répétitif.

Mon avis Goodreads
3/5 étoiles
Un demi point de plus pour la prouesse linguistique (même si j'ai trouvé ça un peu trop démonstratif, bavard et "je me fais plaisir", on ne peut nier l'immense talent de l'auteur à ce niveau), et aussi pour l'imagination (et le délire) (mais pas au sens humoristique) de l'auteur autour du concept furtif et de ce que pourraient être nos sociétés d'ici 20 ans, mais je suis loin du coup de coeur et de la révélation malgré tout.

LC avec Nasaissa.

Intègre le challenge À l'assaut des pavés. Mon troisième de l'année.:)

28 commentaires:

  1. J'ai abandonné 3 fois la horde du contrevent. Je n'ai aps réussi à dépasser les premières pages...

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    1. Peut-être n'est-ce tout simplement pas ton genre. Des fois il ne sert à rien d'insister. J'ai eu la même expérience avec Le Bruit et la Fureur de Faulkner (un tout autre registre, oui^^). Je n'ai jamais réussi à dépasser les 10 premières pages après plusieurs tentatives mais je vais persévérer pour celui-là.

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  2. Comme je te l'avais dit, j'avais dévoré les 400 premières pages et étais quand même bluffée, mais trop copieux par moments, et l'impression que voilà j'avais compris.
    Au fait, tu es confinée dans ton appart? Tu télétravailles?

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    1. Ah, plus de la moitié quand même, tu aurais pu persévérer.;) Mais je te comprends, j'étais contente d'en avoir fini et de passer à autre chose après.
      Sinon oui, confinée comme tout le monde, et télétravail. Quelle histoire, hein !

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  3. Je l'ai acheté, mon fils m'ayant parlé du chef d'oeuvre La horde du contrevent, mais je n'ai pas pu dépasser 50 pages... et je lui ai offert ce roman.Il ne l'a pas encore lu, donc je ne sais pas ce qu'il en pense.

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    1. Je serais très curieuse de son avis, surtout s'il a lu, comme moi, La horde du contrevent. C'est un genre qui ne peut pas plaire à tout le monde, aussi je comprends les nombreux abandons.

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  4. Je n'ai pas encore lu Damasio, comme tu le sais celui-ci m'attend. Je me demande si je ne devrais pas commencer par La horde du contrevent ( en attente dans la bibliothèque de mon ado de fiston ).

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    1. Personnellement pour une première approche, je recommanderais plutôt La horde du contrevent, mais je connais plusieurs personnes qui ont commencé par Les furtifs et qui ont adoré (je ne te suis pas d'une grande aide sur le coup, je sais ;) ).

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  5. Je ne connais pas du tout cet auteur... je découvre. Et je ne suis pas très pavé en ce moment (quoique... je crois que le Belge que je vais entamer est un petit pavé) (appelle-moi Miss Contradiction)

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    1. Haha, donc quand c'est belge, il n'y a plus de limite ni de principe.;)

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  6. J'ai depuis peu La horde du contrevent sur ma PAL, je le garde pour le pavé de l'été, et du coup, je ne note pas celui-là !

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    1. Si tu as déjà La horde du contrevent, oui, autant le lire. Après je ne dis pas que Les furtifs est contournable (ça se trouve, tu adorerais - beaucoup ont adoré) mais dans mon expérience de lecture, j'ai de loin préféré La horde.

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  7. Très belle chronique ! Il faut que je lise "La horde du contrevent".

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    1. C'est un de mes coups de coeur de tous les temps !

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  8. Une amie est fan et adoré celui-ci. je pensais commencer par La horde. le pitch ici est intéressant, mais ton avis et celui de Keisha me refroidissent. Un jour, peut-être, je lirai La horde...

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    1. C'est un auteur à découvrir, déjà parce qu'il est assez unique en son genre dans le paysage de la littérature française et dans le monde de la SF, je trouve. Il n'y en a clairement pas deux comme lui. Je recommanderais La horde en premier parce qu'il me semble plus digeste, mais beaucoup ont commencé par Les furtifs et ont adoré, donc...:)

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  9. Je me pose tellement de questions sur l'avenir plus ou moins proche que je crois qu'il ne serait pas bon que je lise ce bouquin. Je cogiterais encore plus !
    Bonne fin de semaine.

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    1. Ça reste de la fiction, no panic !;) Bonne fin de semaine à toi.

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  10. Bon ben t'es pas si enthousiaste que ça en fait. Et puis 700 pages, le moins possible pour moi. Néanmoins, je réalise que j'aime vraiment ce style de livre et que j'en ai trop peu dans la PAL. Quand celle-ci sera décimée, je pense que j'irai bcp plus vers ce style.
    Par contre, je connais la SF, mais pas la SFFF ? Science Fiction des Forces Françaises ? C'est tout ce qui me vient à l'esprit ! LOL !Bon covidement.

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    1. Ahaha tes commentaires me font toujours rire ! SFFF pour Science-Fiction, Fantasy et Fantastique. C'est l'acronyme officiel pour désigner la littérature des mondes de l'imaginaire de façon plus globale que SF. Encore que pour moi, il manque, dans le lot, le genre "anticipation" auquel appartient davantage ce roman.
      Bon, si tu aimes ce style de livre, je pense que tu peux te permettre quelques écarts de ta PAL. Pourquoi se priver quand on aime ?;)

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  11. J'étais tentée et au fil des billets, je le suis moins. Je tenterai plutôt "la horde du contrevent" en bibliothèque, je prendrai moins de risques. Et plus tard parce que bibli fermée et j'ai du mal à me concentrer sérieusement depuis le confinement. Tu es où toi en ce moment ?

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    1. Je suis chez moi^^, confinée comme tout le monde, en région parisienne. Je n'ai pas l'impression de lire davantage non plus en étant plus chez moi que d'habitude (on n'est pas vraiment en mode vacances...) mais je suis bien contente d'avoir la lecture comme un de mes gros loisirs car je ne crains pas du tout l'ennui du coup.:)

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  12. tu sais que tu ne donnes pas du tout envie à quelqu'un qui a La Horde du Contrevent dans sa PAL depuis des années? bouhhh...

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    1. Ah non mais La Horde du Contrevent tu peux y aller !;) Damasio est incontestablement un auteur à découvrir et j'ai l'impression que les lecteurs tombent sous le charme à la première rencontre. Après, si tu n'accroches vraiment pas aux premières pages, c'est qu'il n'est peut-être pas pour toi, mais là, il sera toujours temps de lâcher l'affaire.

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  13. Bravo pour ta chronique :)
    J'ai dit quelques mots sur ma lecture mais je n'ai pas rédigé de billet à part entière. Il fallait que je laisse reposer mes impressions. Je te rejoins : certains éléments m'ont beaucoup plu et d'autres qui étaient "trop" à supporter, auxquels je n'ai pas adhéré.
    J'aime bien ton terme d'agaçouillée ;)

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    1. :) Normalement c'est le type de lecture pour lequel je procrastine quand il s'agit d'écrire un billet parce que le roman est particulièrement dense et mes impressions vont du très positif au très négatif. Heureusement que c'était une LC, ça m'a un peu obligée à écrire à chaud, advienne que pourra, et c'est aussi bien ainsi.:)

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  14. 700 pages pour constater au final que c'est tiré par les cheveux, ça fait mal je trouve !

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Merci pour votre petit mot. Les commentaires sont modérés par défaut, mais j'y réponds toujours.