mardi 14 septembre 2021

VICTUS : BARCELONE 1714


VICTUS
       BARCELONE 1714

traduit de l'espagnol par Marianne Millon

Ça faisait une éternité que je voulais lire cet auteur, Albert Sánchez Piñol, mais je n'ai jamais réussi à me décider entre La Peau froide et Pandore au Congo dont j'avais vu de nombreux avis enthousiastes à une époque. La proposition d'une LC autour d'un autre de ses romans me semblait être l'occasion idéale de découvrir enfin sa plume. Victus : Barcelone 1714 ne m'évoquait rien alors, mis à part que c'était un roman historique. Là encore, ça tombait bien. C'est un genre que j'apprécie mais que je lis finalement assez peu, faute de bonnes recommandations principalement. Et l'idée d'explorer un pan de l'histoire espagnole me séduisait assez, étant très attachée à la culture hispanique.

J'avais tout de même quelque appréhension car la guerre de succession d'Espagne, que j'avais dû survoler au collège (c'est dire si ça remonte...) lors des cours consacrés à Louis XIV, ne m'évoquait plus rien, et le siège de Barcelone en 1714, un des plus dramatiques moments de l'histoire catalane, encore moins. Je craignais ainsi devoir mobiliser toute ma concentration pour suivre les alliances entre les couronnes d'Europe au début du 18e siècle, sans oublier les conflits entre Catalans et Castillans, dans un récit austère et exigeant. 
Que nenni ! Les premières pages sont d'emblée jubilatoires ! Le narrateur, que l'on perçoit de suite comme un personnage odieux, ignoble et cynique (et qu'on aimera précisément pour cela), nous plonge dans le récit palpitant et truculent de sa vie qu'il livre à sa "chère et repoussante Waltraud", sa maîtresse allemande, ou dame de compagnie, voire servante, j'ai un doute subit sur son statut dans l'histoire. Une chose est sûre, cette chère et repoussante Waltraud dont les réactions et questionnements sont un peu les mêmes que les nôtres en cours de récit, est un peu notre double, à nous lecteurs, et quand elle s'en prend plein la figure pour ses sottes remarques et observations, on a un peu l'impression d'en prendre pour notre grade nous aussi. C'est assez offensant et terriblement drôle en même temps !

Quelques extraits la mettant en scène :
"Ma chère et repoussante Waltraud : je sais que tes lumières sont infiniment plus limitées que celle d'un foetus de ver luisant. Mais malgré tout, tu n'as pas pensé que ceci était un livre et que pour le comprendre il fallait lire tous les chapitres, dans l'ordre et jusqu'à la fin ?"

"(Toi, qu'en penses-tu ? Cette fin de chapitre fait-elle trop moraliste ? Ah, d'accord ; elle te plaît. Bien, en ce cas il n'y a pas de doute : supprime-la. Cela va certainement l'améliorer.)"

Une partie de l'adolescence de notre narrateur se déroule à Bazoches en Bourgogne car, bien que déjà indocile et insolent à l'époque, Vauban a détecté chez lui un don certain pour le métier d'ingénieur et l'a donc accepté comme élève. Là encore, on pourrait se dire, hmm moui, Vauban, l'ingénierie, les fortifications, pas très folichon tout ça. Eh bien, au contraire ! L'auteur a su rendre ces chapitres tout autant passionnants et divertissants qu'instructifs, par l'intermédiaire, entre autres, de personnages épiques et hauts en couleur. Je me suis vraiment régalée à leur lecture (à ma grande surprise) et c'est là que j'ai pris pleinement conscience du génie et du talent de Vauban, et de ce que c'était qu'être ingénieur à l'époque.
Le destin entraîne ensuite notre narrateur dans les conflits de la guerre de succession d'Espagne, en plein coeur de l'action, et s'il y mêle toujours le récit de ses aventures personnelles, rendant ainsi le contexte historique plus accessible et vivace, cette partie m'a tout de même moins enthousiasmée et m'a paru s'étirer en longueur, notamment sur la fin. Ce narrateur démoniaque avait toutefois pris soin d'appâter le lecteur avec une carotte dès la première page puisqu'il y est question d'un mot, le Mot, qu'il ne révèlera qu'à la toute fin du récit.

J'ai trouvé ce roman très malin dans sa conception car c'est vraiment l'histoire de la guerre de succession espagnole et ça aurait pu être un récit historique pur et dur, du genre indigeste, mais grâce à ce narrateur atypique et son histoire personnelle et romanesque, on en oublierait presque l'objet de l'intrigue, et quand on réalise qu'on est en plein dedans, on en est presque surpris. Enfin, moi, ça m'a fait cet effet-là.

Mon avis Goodreads
4/5 étoiles
Quelques longueurs ressenties de façon assez pesante sur la fin mais la première partie me marquera toujours comme particulièrement savoureuse, truculente, passionnante et captivante, et avec le recul, ça reste une oeuvre ambitieuse plutôt réussie et très instructive sur la guerre de succession d'Espagne. Ce roman m'a en tout cas donné envie de poursuivre ma découverte des romans de cet auteur.

LC avec Armelle, Nasaissa et Dorine.

Intègre le challenge À l'assaut des pavés. Mon sixième de l'année (catégorie plus de 600 pages).

L'auteur
Né à Barcelone en 1965, Albert Sánchez Piñol est anthropologue de formation. Il est l'auteur d'un essai, d'un recueil de nouvelles et de trois romans qui lui ont valu un large succès international.

26 commentaires:

  1. Totale découverte pour moi ! D'autant que je ne connais pas grand chose à l'histoire espagnole. C'est vrai qu'il n'est pas facile de choisir un roman historique ( collection Babel, déjà, c'est bon signe ;-) ). ( quant aux pavés, tu me culpabilises... bon, là, un en cours, je me demande si cela ne va pas être le premier de l'année )

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ahaha, c'est vrai que je ne te voyais plus trop publier sur le groupe des pavés.;) Quant aux romans historiques, je ne les lis quasiment que sur recommandation ou lors d'opportunité comme ici, mais je ne connais pas beaucoup de lecteurs experts dans ce rayon malheureusement.

      Supprimer
  2. Hop, emballé, jubilatoire cela semble. J'ai déjà noté cet auteur d'ailleurs, sur un bout d'enveloppe, autant dire que ce n'était pas pratique.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ma LAL était encore sous cette forme il y a 10 ans, constituée de bouts de papier, post-it, enveloppes... Maintenant elle est sur la galerie photo de mon téléphone, ça fait moderne mais ce n'est pas plus pratique pour autant, surtout quand on se retrouve avec plus de 200 photos.^^

      Supprimer
  3. Et bin voila...je voulais le lire....un jour....et bin cela risque d'etre bientot avec ce livre....il semble trop trop bien...;)(je pourrais te conseiller un pave historique sur l'independance bresilienne...;))

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oooh oui, avec grand plaisir ! Ça m'intéresse grandement ! J'ai recherché sur le net ce que ça pouvait être mais je ne pense pas être tombée dessus.

      Supprimer
    2. "L'empereur aux mille conquetes" de Javier Moro..c'est vraiment passionnant

      Supprimer
    3. Super, merci beaucoup !! J'ai vu qu'il avait co-écrit Il était minuit cinq à Bhopal avec Dominique Lapierre. C'est un gros gage de qualité !

      Supprimer
    4. Oui il semble etre un auteur serieux pour l'historique...;)

      Supprimer
    5. Voilà il faut du sérieux, mais aussi accessible, plaisant et captivant. C'est pour ça que je ne trouve pas ça évident de choisir les romans historiques et que je préfère me fier aux recommandations.:)

      Supprimer
    6. Apres je n'ai pas regarde la veracite du recit....;)

      Supprimer
    7. Si ça fait illusion, ça va aussi.^^

      Supprimer
    8. Et bin je trouve que oui...;)

      Supprimer
    9. Parfait alors, j'ai hâte de découvrir ça ! :)

      Supprimer
  4. alors, moi tu vois, la guerre de succession espagnole ça ne me parle pas du tout du tout... mais comme cela semble vraiment truculent comme bouquin, je note. ça me changera de ce que je lis en ce moment!!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah ça, ça dépayse, c'est clair ! :) En réalité, quand j'ai commencé ce roman, la guerre de succession d'Espagne me parlait autant qu'à toi. Et puis, là, tout récemment, je me suis revisionnée La Boum 1 et 2 qui passaient à la télé, et à un moment, Vic, en pleine révision de ses cours d'histoire, demande à sa mère de l'aide sur le guerre de succession d'Espagne, et sa mère de mentionner Louis XIV, etc - bref, c'est ainsi que j'en ai déduit que j'avais forcément dû en passer par là au collège, moi aussi.^^

      Supprimer
  5. C'est noté ! Si tu dis que l'aspect historique n'est pas trop difficile à lire, je vais m'empresser de l'acheter :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Hmmm il faut quand même s'accrocher un peu sur la deuxième partie mais le contexte historique est rendu très fluide par la narration, et surtout très concret, comme si on vivait les événements de l'intérieur, à travers le regard du narrateur.

      Supprimer
  6. Je ne connais rien à l'histoire de l'Espagne aussi ce livre pourrait me plaire et m'instruire par la même occasion !
    Bonne soirée.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est vrai que tu aimes les romans historiques. Celui-ci devrait te plaire en effet ! Bonne soirée.

      Supprimer
  7. Ma bibli n'a pas ce titre (mais un ou deux autres). Pour le syndrome de l'autruche, j'avais déjà oublié le titre,mais pas le thème, bon, là, ma PAL explose, on verra en octobre éventuellement.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah oui pas d'inquiétude, je ne pensais pas à une LC immédiate, haha, mais à se garder dans un coin de la tête, vu que tu l'as dans ta PAL et moi c'est dispo à ma bibli.:)

      Supprimer
  8. J'avais beaucoup aimé La peau froide (c'est dans un genre très différent) et je reviendrais bien vers l'auteur, surtout grâce à ce que tu en dis (et cette couverture !)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci, tu viens de m'aider à décider quel serait mon prochain de l'auteur.:) En fait, il n'a que trois romans publiés en France, je viens de vérifier : Victus, La peau froid et Pandore au Congo. Ça ne nous laisse pas tant de choix finalement si on veut replonger dans son univers.^^

      Supprimer
  9. Le sujet ne me tente pas plus que cela... Et puis assaut des pavés... Stop pour moi !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pas de souci, le choix ne manque pas hors pavés, c'est sûr.;)

      Supprimer

Merci pour votre petit mot. Les commentaires sont modérés par défaut, mais j'y réponds toujours.