LES TERRIENS

 

LES TERRIENS

traduit du japonais par Mathilde Tamae-Bouhon

"En effet, il m'est arrivé de me demander si je n'étais pas, en réalité, une Terrienne. Si cette histoire de Pohapipinpobopia n'était pas seulement la manifestation d'une maladie mentale, une façon de me protéger - auquel cas je n'avais plus qu'à devenir, moi aussi, une esclave de la Fabrique."

Quand j'ai aperçu ce roman en librairie, le dernier paru de Sayaka Murata, l'auteure de Konbini (La Fille de la supérette) j'ai lâché un inaudible "oh" de joie ! Et pas uniquement à la vue de cette couverture trop mignonne et de ce titre.^^ C'est que Konbini m'avait parlé comme rarement. J'avais (quasi) totalement adhéré à la façon de penser de l'auteure, du moins à celle de son personnage qui avait un petit côté en marge, anticonformiste mais sans que ce soit une revendication, ce qui en faisait un peu une freak sociale mais pas dangereuse, juste atypique, un peu décalée. Et ici encore, dans Les Terriens, malgré toute la bizarrerie du personnage principal, je ne peux pas dire que ses réflexions m'aient dérangée, au contraire, je m'y suis même une fois de plus retrouvée. Je ne sais pas si c'est une bonne chose, haha !

Comme le souligne la quatrième de couv, ce roman est "un voyage cosmique exaltant qui interroge notre perception du bonheur et de la conformité". On est en plein dans ces thèmes qui me parlent et qui étaient déjà explorés dans Konbini, avec cette originalité supplémentaire d'une intrigue plus imaginative et insolite qui a l'étrangeté d'un conte noir.

Enfant déjà, Natsuki, ne se sentait pas comme les autres. Son meilleur ami était un hérisson en peluche de la planète Pohapipinpobopia, tout comme elle, et chaque été passé à la montagne, elle espérait qu'un vaisseau spatial la ramènerait chez elle. Sa perception de la société (la Fabrique à humains), son sentiment d'y être en décalage, et les épreuves qu'elle a traversées ont renforcé ses certitudes. Des années plus tard, Natsuki est mariée et semble mener une vie normale. Mais les ombres de son enfance refont surface... 

Ce que j'ai trouvé particulièrement intéressant dans ce roman, c'est cette ambiguïté constante entre la réalité et ce qui pourrait s'apparenter, chez Natsuki, à une sorte de mécanisme de défense pour l'affronter. Est-elle réellement une Pohapipinpobopienne (c'est un roman après tout^^) ou s'est-elle trouvé un refuge dans son imaginaire ? C'est vrai qu'elle est tellement en marge, en dehors des normes et des conventions dans sa façon de penser, que ses observations pourraient être celles d'un alien débarquant sur notre planète. En tout cas, ses réflexions sur la société sont d'une justesse effrayante, ou cynique, suivant le point de vue, et assez savoureuse, du mien.^^ Même s'il s'agit, bien sûr, plus spécifiquement de la société japonaise, on peut aisément parler de société humaine de façon plus large. J'ai trouvé ce roman très intelligent, lucide, encore une fois, sur ce plan-là.

Et je n'ai pas parlé du cousin et du mari qui rajoutent quelques complexités à l'équation ! 😁

Des extraits parlants :

"Je vis dans une fabrique à humains.

La ville où je réside regorge de nids d'hommes, serrés comme des sardines. [...] Dans chacun de ces nids carrés et parfaitement alignés se trouvent un mâle et une femelle humains en couple, ainsi que leur progéniture, qu'ils élèvent ensemble. De mon côté, je suis seule dans mon nid."

"Dans cette ville, j'ai deux rôles à tenir.

Le premier : faire de mon mieux en tant qu'élève pour devenir un outil de travail.

Le deuxième : faire de mon mieux en tant que femme pour devenir un outil de reproduction.

Je vais probablement échouer dans les deux."

Mon avis Goodreads

J'adore cette auteure et l'audace de ses réflexions et de ses intrigues mais wooow, celle-ci était quand même trèèèèès spéciale, surtout la fin un peu (beaucoup) WTF - disons, en bon français, perturbante^^ ! Je l'ai noté 3/5 étoiles mais j'aurais aussi bien pu mettre un 5/5 en réalité, tellement ça bouscule.

Bien sûr, j'attends avec impatience son prochain roman !