vendredi 5 novembre 2021

RÊVER DEBOUT


RÊVER DEBOUT

Ce livre, cette déclaration d'amour de l'auteure, Lydie Salvayre, à Don Quichotte et Cervantes, j'aurais pu l'écrire ! Enfin, j'aurais voulu pouvoir l'écrire si j'avais ne serait-ce qu'un millième du talent d'écriture de Lydie Salvayre qui m'a ré-ga-lée, mais alors ré-ga-lée (!) de son vibrant hommage à notre hidalgo universel et à son créateur. Car oui, Don Quichotte, c'est une de mes plus grandes révélations de tous les temps. Quel roman ! Quel héros ! Quel auteur ! J'avais tellement adoré ma lecture, aussi quand j'ai vu cette couverture, sa référence flagrante à Don Quichotte et le concept de ce livre, je n'ai vraiment pas résisté une seconde, il me le fallait !

J'aime beaucoup le concept d'adresser une lettre fictive à un auteur en lieu de critique/chronique enthousiaste ou assassine sur son livre. Certains blogueurs s'y sont d'ailleurs essayés et j'ai toujours trouvé ces billets plutôt savoureux. Alors quand Lydie Salvayre recourt au roman épistolaire, dans lequel une femme du 21e siècle interpelle Cervantes à travers une suite de quinze lettres, pour lui parler de Don Quichotte, ou plutôt, lui expliquer Don Quichotte, mais je trouve ça tout simplement délicieusement fou, audacieux, génial ! 

Et puis, elle n'y va pas de main morte ! Tour à tour cinglante, ironique, clairement remontée comme un coucou par moment, elle lui reproche tout bonnement d'avoir malmené et moqué son personnage à tort. Mais tout ça, c'est pour mieux lui exprimer sa tendresse et lui dire qu'en vrai, Cervantes est un génie pour avoir inventé ce personnage. Qui aime bien châtie bien !
Bien sûr, cela est dit bien moins platement que je ne le fais. Quand j'ai lu les premières pages dont j'ai intégré un extrait ci-contre, c'était comme boire un nectar divin. Écrit-on encore comme ça au 21e siècle ? De façon aussi délicieuse ?

D'autres extraits :
"Il voit tout ce qui, à la réalité, fait défaut.
Il voit, cher Monsieur, en poète, et jette sur le monde un oeil très différent de celui du bovin."

"[...] le dépouillent carrément de ses chausses le laissant le cul nu (vous le faites apparaître plusieurs fois, au cours de votre roman, dans son plus simple appareil, et je préfère m'abstenir, cher Monsieur, quant à l'interprétation d'une telle obsession par crainte de vous désobliger) [...].

Et qu'on ne s'inquiète pas, ce n'est pas de la belle écriture guindée/coincée, balai et compagnie. L'auteure sait aussi se lâcher et parler crûment, en appelant un chat un chat, mais toujours avec cette élégance rare.

Extrait :
"Il a compris surtout qu'amour signifiait sexe, et que le sexe était véritablement totalitaire, qu'il vampirisait la cervelle, la troublait, la torturait, l'obscurcissait, et vous faisait chavirer en moins de deux dans l'illogisme le plus pur.
Il a compris qu'Éros rendait con.
Le cul, la bite = zéro.
Pas de baise donc."

Ce roman épistolaire, c'est donc aussi celui d'une femme du 21e sècle qui s'adresse à un homme du 17e siècle (je trouve ça géant !). Sa grande subtilité, c'est qu'il permet à l'auteure de mieux parler de notre temps (car ici, on évoque aussi le Covid, Freud, la téléréalité et j'en passe) qu'elle ne l'aurait probablement fait en ancrant son roman dans une configuration plus classique. J'ai beaucoup aimé ce parallèle entre ces deux époques, et j'ai trouvé ça épatant de réussir à le faire dans une correspondance fictive entre deux personnes (enfin, à sens unique mais l'illusion est parfaite, on a vraiment l'impression que Cervantes participe à cet échange) que quatre siècles séparent.

Derniers extraits :
"Posture relativement courante sous nos climats et qui se manifeste avec une rare vigueur au moment de nos élections présidentielles. Vous ignorez ce que sont des élections présidentielles ? Un concours de promesses, cher Monsieur, organisé pour donner l'illusion au peuple qu'il peut choisir son roi."

"En relisant ce qui précède, je me dis que je risque fort d'être accusée, par plus d'un, d'exagérer outrageusement la situation actuelle et de chercher à comparer l'incomparable. C'est que votre livre, Monsieur, me pousse sans cesse à l'anachronisme et m'amène irrésistiblement à repenser l'actualité de mon pays."

"Je réaffirme donc qu'il n'est pas question, pour ma part, de comparer à toute force votre époque avec la mienne. Votre livre simplement m'éclaire sur mon actualité, et me révèle (révéler est le mot car votre roman dévoile ce qui était déjà là) que cette violence monstrueuse que vous nous jetez à la gueule s'est continuée jusqu'à nos jours, mais plus endimanchée qu'autrefois, plus subreptice, plus captieuse, plus insinuante et cachant mieux ses dessous sales."

À la question "vaut-il mieux avoir lu Don Quichotte avant ?", j'ai envie de dire oui (parce que, vraiment, il faut lire DonQui !), pour mieux en apprécier toutes les références, encore qu'il me semble qu'on peut aussi apprécier cet ouvrage sans.

C'est mon premier livre de Lydie Salvayre, et si je n'ai jamais été vraiment tentée par ses romans jusqu'à présent, c'est chose faite à présent !
Si je ne me trompe, c'est également mon premier (et seul à date) roman de cette rentrée littéraire. J'en ai repéré quelques autres qui me tentent beaucoup, je ne la snobe pas^^, mais ils se liront - euh - quand je pourrai les caser dans ma PAL actuelle qui reste prioritaire (touss touss).

L'auteure
Née à Autainville en 1946, d'un père andalou et d'une mère catalane, réfugiés en France en février 1939, Lydie Salvayre a écrit une vingtaine de livres traduits dans de nombreux pays et dont certains ont fait l'objet d'adaptations théâtrales.

35 commentaires:

  1. J'aime beaucoup l'écriture de Lydie Salvayre et je compte emprunter celui-ci à la bibliothèque.

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    1. Tu confirmes qu'il faut que je poursuive mon exploration de ses oeuvres. Je m'en réjouis d'avance !

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  2. Aaaaaaaaah mais vu comme cela, je signe! J'ai déjà lu Lydie Salvayre, mais avec Don Qui, pas de souci, j'ai lu et relu!!! Bon, le livre est à la bibli, on verra (un jour)

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    1. Décidément, je n'ai vraiment rien à dire contre ta bibli !^^ Et ma première (et unique à date) lecture de Don Qui, c'était en LC avec toi !

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  3. est-ce que c'est "lisible", si on n'a pas lu cervantès? j'avais beaucoup aimé Pas pleurer, alors ça me tente bien...

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    1. C'est très lisible car on connaît tous les grandes lignes de Don Quichotte, ou du moins le personnage, même sans l'avoir lu. Je me suis noté Pas pleurer de mon côté.^^

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  4. ah mince, je m'aperçois que j'ai raté le passage où tu réponds justement à ma question...^_^

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    1. J'avais anticipé la question, oui.^^ Elle reste tout à fait légitime, ceci dit.

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  5. J'ai eu dans ma PAL "pas pleurer" mais je l'ai offert sans l'ouvrir....fais-je le regretter ?...en tout cas tu nous donnes envie de lire 2 livres pour le coup...;)

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    1. Écoute, je me suis notée Pas pleurer. On pourrait envisager une LC (et du coup un de tes premiers billets challenge 2022 haha !).

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    2. Et bin tu es une sacre tentatrice....cela serait bien didonc...;) lol

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    3. On en reparle début 2022 alors.^^

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  6. Quel billet réjouissant ! (Et j'adore tes justifications par rapport à tes priorités "palesques" - je pourrais dire exactement la même chose).

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    1. Je crois qu'on se ressemble tous sur ce point-là.^^

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  7. Ah, tu combles ma curiosité ! J'en ai très envie de ce roman, d'autant que j'ai aimé tout ce que j'ai lu de l'auteure.

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    1. Je me réjouis vraiment d'avoir encore à découvrir ses autres livres !

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  8. Je n'ai pas lu Don Quichotte. Je suis assez ignare en classiques...

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  9. Les extraits donnent envie, et ta chronique aussi... j'ai proposé ce roman à mon mari à la librairie, mais il en a choisi un autre (bonne façon de ne pas vraiment faire grimper ma PAL, puisque ce n'est pas pour moi !)

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    1. Ahaha augmenter la PAL de son mari pour préserver la sienne tout en en profitant, ça c'est très futé !^^

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  10. Ton enthousiasmé est communicatif, et augmente l'envie que m'avait déjà donné Lydie Salvayre en parlant de ce titre ! Et oui, il faut lire Don Quichotte. Et Pas pleurer aussi !

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    1. Ah j'aurais bien aimé écouter cette interview. Je vais voir sur le net si je peux la retrouver. Et Pas pleurer sera ma prochaine lecture de l'auteure, oui.:)

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    2. C'était à la grande librairie, tu peux voir l'émission en podcast !

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    3. Aaah parfait alors, merci !!

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  11. Il faut absolument que je lise en entier Don quichotte :-) etévidemment ce livre est très tentant pour les fans de cervantes :-)

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    1. Tu avais commencé et arrêté Don Quichotte ? Oh oui oui, il faut persévérer si c'est le cas ! À moins que tu n'aies pas accroché dès le départ, ce qui n'est pas impossible.

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  12. Pour moi aussi Donquichotte est un chef d'œuvre ! Mais ça ne me donne pas pour autant envie de découvrir ce titre^^

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    1. Je peux le comprendre. Ce sont deux ouvrages très distincts.:)

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  13. N'ayant pas lu l'original et n'ayant point le courage de m'y mettre, voilà peut-être un bon subterfuge, en lisant ce texte, pour faire illusion de culture !

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    1. Ça viendra peut-être un jour, l'envie de lire Don Quichotte. Pour moi lire n'est pas une question de courage mais d'envie.;) Mais en attendant (et au cas où^^), oui, ce livre pourrait faire l'affaire.;)

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  14. j'aime bien l'idée! Je garde un bon souvenir de Pas pleurer !

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    1. Ce Pas pleurer semble avoir beaucoup plu. Il me tarde de le découvrir !

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  15. Intéressant ! J'ai déjà demandé à des collégiens de se prêter à ce jeu... Je crois avoir déjà lu l'autrice mais impossible de me souvenir du titre !

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    1. Ce ne serait Pas pleurer par hasard ?^^ C'est celui que je vois le plus cité.

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