mardi 16 janvier 2024

L'HOMME QUI MIT FIN À L'HISTOIRE : UN DOCUMENTAIRE

 
( THE MAN WHO ENDED HISTORY :
            A DOCUMENTARY )

traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre-Paul Durastanti

Ça faisait un moment que je voulais lire Ken Liu, mais j'ai longtemps hésité sur le choix du livre. N'étant pas très nouvelles, j'ai voulu me rabattre sur ses romans SF presque tout autant plébiscités, mais devant l'ampleur de la bête (une tétralogie regroupant des tomes de 1000 pages), je me suis mise à recontempler ses nouvelles.😆 Bah, La Ménagerie de papier, ça sonne plutôt bien, non ? Et L'homme qui mit fin à l'histoire, quel titre intrigant ! La bataille se jouait entre les deux. Le premier étant un gros recueil, malgré son attrait, j'ai préféré opter pour la novella. Après tout, il vaut mieux être prudent. Je n'avais jamais lu l'auteur, ça se trouve, on ne matcherait pas. Et, argument décisif ultime, c'était celui qui était disponible en bibli. Des fois, il faudrait commencer au plus simple, on se triturerait moins les neurones.

Bref, me voilà m'embarquant sans trop savoir à quoi m'attendre. Ce qui était sûr, c'est que j'imaginais du grandiose type vertige tout le long et claque révélation à la fin.

En fin de compte, ce n'était pas vraiment cet effet-là, mais c'était encore plus intéressant que je ne m'y attendais. Par le biais de la SF, l'auteur passe au crible un épisode fâcheux de l'Histoire sino-japonaise, et là je reprends la quatrième de couv qui résume tout bien :
"Deux scientifiques mettent au point un procédé révolutionnaire permettant de retourner dans le passé. [...] Une révolution qui promet la vérité sur les périodes les plus obscures de l'histoire humaine. Plus de mensonges. Plus de secrets d'État. Créée en 1932 sous mandat impérial japonais, l'Unité 731 (une unité militaire de recherche bactériologique) se livra à l'expérimentation humaine à grande échelle dans la province chinoise du Mandchoukouo, entre 1936 et 1945, provoquant la mort de près d'un demi-million de personnes... L'Unité 731, à peine reconnue par le gouvernement japonais en 2002, passée sous silence par les forces d'occupation américaines pendant des années, est la première cible de cette invention révolutionnaire."

J'ai trouvé ça très astucieux, ingénieux même, de la part de l'auteur, de passer par la SF pour mettre sur le tapis cet épisode tragique de l'Histoire chinoise, longtemps méconnu, tu, nié. Oh, rien de trop technique côté SF, ça tient en une page sans entrer dans les détails, mais le concept est clair, il s'agit, pour résumer, de voyages dans le temps. La part SF est tellement infime d'ailleurs que je trouve le terme "speculative fiction" plus adapté pour catégoriser ce roman. Si on se réfère à la définition du genre, la fiction spéculative "s'occupe davantage de thèmes philosophiques, psychologiques, politiques ou sociétaux que de l'aspect technique et des évolutions technologiques qui constituent un cadre pour l'action et ne sont pas au centre de l'histoire." C'est tout à fait ça ici. 

À la façon d'un reportage documentaire, Ken Liu évoque ce sombre épisode de l'Histoire à travers des témoignages douloureux et accablants qui éclairent ses zones d'ombres, mais aussi en recueillant les réactions d'observateurs contemporains (citoyens américains ou chinois) face à ces faits du passé (très comiques et furieusement réalistes ces réactions !). Toutes ces interventions ouvrent le débat et suscitent moult réflexions pertinentes et intéressantes sur le devoir de mémoire et la nécessité de réconciliation. Que fait-on du passé ? Faut-il le ressasser ? L'ignorer ? L'oublier ? Pardonner ? Qui doit endosser la responsabilité nationale ?

Même si le (science-)fictif se mêle à la réalité des événements, il ne l'occulte jamais et on parvient toujours à bien les distinguer, l'un servant de support à l'autre pour souligner d'autres questions à dimension universelle : faut-il envoyer dans le passé des volontaires avec des liens de parenté avec les victimes, ou plutôt des historiens ou journalistes, plus fiables et objectifs dans le recueillement de données ? Ou en d'autres termes :
"La souffrance des victimes relève-t-elle du domaine privé, ou participe-t-elle de notre histoire collective ?"
J'ai beaucoup aimé la forme documentaire de l'intrigue qui se traduit en un récit clair, concis, efficace, mais avec ce côté un peu aride, sans émotions, des rapports journalistiques. Je n'ai pas trouvé cela dérangeant, ça collait bien avec le propos et l'esprit du livre.

Mon bémol, c'est que je n'ai pas vraiment compris le délire autour de la destruction du passé par ce procédé révolutionnaire. Je n'arrivais pas à visualiser concrètement comment cela pouvait se passer et comment ça se répercutait dans le présent. La comparaison avec l'un des paradoxes de l'archéologie, càd la destruction inévitable de sites archéologiques à cause des fouilles, pourtant nécessaires, ne m'a pas trop éclairée. On détruit involontairement des preuves, certes, mais celles qu'on a pu préserver restent valables, non ? Bon, je tatillonne, je cogite trop, mais en même temps, c'est toute la problématique même de cette histoire, reflétée dans le titre.
Bref, cet aspect-là ne m'a pas trop convaincue.

Mais qu'importe, le message est bien passé, et c'est là le plus important.

Intègre le challenge

L'auteur
Ken Liu, né en 1976 à Lanzhou en Chine, est un écrivain américain de science-fiction. Il a émigré avec sa famille aux États-Unis à l'âge de 11 ans. Il se définit comme un auteur et un traducteur de speculative fiction, mais il est aussi juriste et informaticien. Il vit avec sa famille près de Boston, dans le Massachusetts.

26 commentaires:

  1. Tu n'es pas assez enthousiaste, mais je note cette idée de speculative fiction (oui, la SF est souvent cela, et TB, sans hommes verts et trucs techniques)

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    1. Disons que la SF regroupe plusieurs genres, dont la hard SF, et il y a pas mal de littérature quand même dans cette veine. Mais maintenant je sais que je peux parler de speculative fiction pour ces genres SF plus accessibles sans hommes verts et trucs techniques.^^

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  2. J'ai vraiment adoré ce texte qui explicite sous forme de fiction les enjeux de la recherche historique aujourd’hui. "A qui appartient le passé ?" est une question essentielle qu'il pose et sa destruction par les visites qu'on y fait est en effet comparable aux fouilles archéologiques : dès lors, qui peut aller visiter telle ou telle période , qui est légitime ?

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    1. Oui, ce court texte est une mine de réflexions et ouvre bien des débats aussi intéressants les uns que les autres. C'est une vraie réussite rien que pour ça.

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  3. Ah, ah, j'ai eu la même idée et le même dilemme que toi ! Je voulais découvrir l'œuvre de Ken Liu mais j'ai hésité dans le choix du texte. Je garde le suspense. Mon billet paraître à la fin du mois. Ce qui m'intéressait dans les textes de cet écrivain, c'est les références à l'histoire américano-asiatique (en plus de la SF ou de la "speculative fiction"). J'ai vu une interview du bonhomme (sur le site du Belial', je crois) et j'avoue que je n'ai pas tout compris non plus à son discours. Concernant cette histoire de destruction de sites (archéologiques), je suppose que c'est aussi liée à l'évolution supposée des connaissances et des techniques. Les archéologues, paléontologues et autres préhistoriens du 19èmes siècles ont exhumé des documents/ bâtiments/ossements/ fossiles incroyables mais ils ont aussi massacrés les sites dans leur soif de découvertes. Je lis justement une BD de vulgarisation scientifiques sur le sujet (Nos mondes perdus).

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    1. Aah si tu gardes le suspense, je me dis que tu as dû choisir le même que moi.^^ Quelle coïncidence ! Je suis aussi en plein dans Nos mondes perdus ! J'adore Marion Montaigne et j'étais très curieuse de son traitement de la thématique dino.^^ Pour la destruction des sites, il y a aussi l'idée qu'ils perdent les traces du passé au fur et à mesure des fouilles et prélèvements (aussi minutieux soient-ils), mais comment faire autrement si on veut en savoir plus sur le passé ? D'où le paradoxe... J'ai écouté aussi plusieurs émissions avec l'auteur il y a quelques mois, mais ce n'était pas autour de ce livre. C'est une sacrée tête ! Je n'ai pas tout compris non plus, haha !

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    2. Non, tu es en train de le lire aussi ! Je ne connaissais pas Marion Montaigne mais j'adore ! Qu'est-ce qu'elle me fait rire ! Mais, elle fait des recherches hyper poussées. C'est très intéressant. Mon billet ne paraîtra pas avant une quinzaine. Sinon, non, je n'ai pas lu le même Ken Liu que toi. Dans la série des Américains d'origine asiatique qui écrivent de la SF, je viens de terminer Ted Chiang. Tu connais ? On ne comprends pas tout non plus.

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    3. Oui, Ted Chiang est aussi dans mes projets de lecture, mais je n'ai pas encore réussi à le caser. J'ai fini Nos mondes perdus, je n'ai pas prévu de date, mais si tu publies ton billet dans une quinzaine de jours, on peut se caler. J'avais adoré Dans la combi de Thomas Pesquet. Je pleurais de rire à chaque page. J'étais moins dans le délire ici, enfin surtout je trouvais que c'était un peu dispersé et j'avais du mal à suivre par moment, mais je reste quand même fan de cette autrice.:)
      Bon, je suppose que tu as lu La ménagerie de papier alors.^^

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  4. Je ne m'y lancerai pas, je pense, mais je retiens le terme de "speculative fiction" : j'avais eu du mal par exemple à classer le roman d'Octavia Butler, Liens de sang, que tu as lu aussi.

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    1. J'ai découvert ce terme moi en lisant la biographie de l'auteur. C'est un terme très arrangeant quand on veut parler d'une certaine catégorie de romans SF.^^

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  5. Je l'ai lu (http://doucettement.over-blog.com/2017/04/l-homme-qui-mit-fin-a-l-histoire-de-ken-liu.html) mais je n'en garde que peu de souvenirs !

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    1. Ah oui, ta lecture remonte.:) Tu étais très enthousiaste. Je vois que j'avais commenté ton billet. Livre lu 6 ans après, haha ! À voir quels souvenirs j'en aurai dans 6 ans.;)

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  6. Ah Ken Liu...j'ai adore sa messagerie (qui reste des nouvelles vraiment sympas). Mais lala je me suis lancee dans sa trilogie la dynastie et j'avoue que je la lis sans enthousiasme...a savoir pourquoi...mais je note ce titre...oui cela pourrait vraiment me plaire...

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    1. Aah merci pour ton commentaire qui m'incite à laisser tomber l'idée de lire sa trilogie pavéesque ! Ça fait toujours ça de moins dans les tentations.;) Je compte bien lire La ménagerie en revanche, mais ce ne sera pas pour tout de suite. Peut-être au prochain challenge Bonnes nouvelles.:)

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  7. J'ai falli lire La ménagerie de papier pour les Bonnes nouvelles, mais le nombre de pages m'a arrêtée moi aussi. Mais ce n'est que partie remise, Ken Liu suscitant un intérêt et un plaisir de lecture quasi unanime. Il faut que je me fasse un avis bientôt !

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    1. Cette novella vaut le détour en tout cas et se lit rapidement (120 pages) si tu veux te familiariser avec l'univers et la plume de l'auteur avant de t'engouffrer dans La ménagerie de papier.;)

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  8. ça a l'air passionnant, j'aime beaucoup le thème. Je vais voir si ils l'ont à la bibli.

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    1. Ah oui, n'hésite pas si tu tombes dessus. C'est un texte court qui vaut le détour.

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  9. Il me semble que nous sommes nombreux à lire des nouvelles en ce moment...

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    1. C'est un peu le mois des bonnes nouvelles.^^

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  10. Noté sans hésiter. Je n'ai jamais lu l'auteur mais le sujet m'intéresse ou du moins, tu me donnes envie de m'y intéresser parce que je ne pense pas que je connaissais ce tragique épisode de l'Histoire...

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    1. À vrai dire, je ne le connaissais pas non plus, et même si les expérimentations de cette unité militaire ne sont plus un secret (j'ai qu'il y a eu des films sur le sujet et il y a actuellement une série Netflix qui y fait référence, "la Créature de Kyongsong"), l'auteur n'aura pas écrit cette novella en vain vu que des gens comme moi découvrent encore aujourd'hui cette sombre page de l'Histoire.

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  11. je découvre le terme "spaculative fiction"... Mais c'est quoi en fait !!?

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    1. Traduit littéralement, ce serait de la fiction spéculative, une des branches de la SF qui, par "opposition" à la hard SF, explore davantage les thèmes philosophiques, psychologiques, politiques ou sociétaux que l'aspect nouvelles technologies.

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  12. j'ai sa ménagerie de papier, il est célèbre mais cette novella m'intéresse plus
    si je retourne au rayon SF pourquoi pas ? la couverture de ses romans (en anglais) est toujours aussi spectaculaire

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    1. Oui, je me demande encore ce que représente celle de la couv française.😅 La ménagerie de papier m'intéresse, mais seulement cette nouvelle.^^ Le problème, c'est que je me sens obligée de lire le recueil en entier (sinon je ne considère pas le livre lu)... donc, pour l'instant, ça attendra. Le pire, c'est que l'année dernière, je voulais le lire en anglais, mais ce ne sont pas très exactement les mêmes nouvelles regroupées en anglais et en français. Ce qui m'a encore plus bloquée. Quelle dilemme...

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