vendredi 30 août 2019

... OU TU PORTERAS MON DEUIL


... OU TU PORTERAS MON DEUIL

Ça faisait longtemps que je n'avais pas vibré au rythme d'un récit comme j'ai vibré ici, sur des sujets totalement improbables en plus.
Ce livre m'avait été recommandé, à ma demande (soupir), par une ancienne collègue qui connaît assez bien mes goûts littéraires et avec qui nous avons eu des échanges passionnés sur différentes lectures. Je n'ai même pas cherché à savoir de quoi il retournait, j'ai noté sans poser de questions quand elle m'a dit : il est vraiment très bien ce livre, tu vas aimer.

Quand j'ai décidé de m'y atteler enfin, quelle ne fut ma surprise de découvrir le sujet : l'histoire du matador El Cordobés, totalement inconnu de mes services jusqu'alors. D'ailleurs, je n'y connaissais rien tout court au monde de la tauromachie (à peine le minimum basique) et à vrai dire, ça ne m'intéressait pas vraiment d'en savoir plus.
Je me suis raccrochée au sous-titre "l'épopée de la guerre civile espagnole" en me disant que c'était là l'occasion de me cultiver un peu sur cette période sombre de l'histoire espagnole que je connaissais à vrai dire très très mal et qui, avouons-le, un peu comme toutes les histoires de guerre, me motivait plus que moyennement.

Ce sont les avis dithyrambiques trouvés sur le net, quasi tous unanimes, qui ont fini par me convaincre de me lancer. Comment un livre sur un obscur matador et la guerre civile espagnole pouvait enthousiasmer à ce point les lecteurs ?

Je l'ai compris dès les premières pages qui m'ont plongée directement dans l'époque, dans l'arène, dans la guerre, comme sous l'effet d'un véritable voyage dans le temps. Je vivais tout en live, comme si j'y étais, vraiment ! Les auteurs ont cette faculté et ce talent de rendre les événements vivants, présents, réels, intenses, chargés de tension quasi palpable. Ils racontent le peuple et la culture espagnols comme personne. C'était vertigineux, captivant, troublant, vibrant, soufflant, bouleversant. J'ai dévoré ce livre comme je n'avais pas dévoré de livre depuis un moment (ah si, il y a récemment eu le Truman Capote).

Grâce à la collaboration de Manuel Benitez lui-même (El Cordobés) ainsi qu'aux témoignages de sa famille et de personnes l'ayant connu avant sa notoriété, Dominique Lapierre et Larry Collins racontent ici le destin fascinant de cet orphelin qui, pour sortir de la misère, s'est mis en tête de devenir matador, une des seules issues pour les hommes de sa condition à l'époque. Une vie jonchée d'épreuves et d'humiliations, de la faim depuis l'enfance aux périodes de disette plus tard, en passant par la prison pour vagabondage, et le mépris de ceux qui l'aduleront plus tard. Mais ce gamin, entêté et déterminé malgré ses nombreux échecs avant d'accéder à son rêve ultime, ne s'est jamais découragé, possédé par "la fièvre du taureau". Même si l'on sait qu'il est parvenu au succès à en devenir millionnaire, on est pris dans le suspense et tenu en haleine tout le long en se demandant s'il se sortira de sa misère et comment.
Quelle personnalité détonante, quel phénomène aussi ce Cordobés ! Un vrai personnage de fiction qu'aucune fiction n'aurait pu imaginer et un destin encore plus improbable et poignant !

J'ai découvert ici l'histoire de la tradition des corridas que j'ai trouvée très intéressante et instructive. J'ai mieux compris l'engouement des aficionados autour de cette pratique discutable, la signification de cette tradition qui est, "en dépit de sa cruauté, de son romantisme souvent artificiel, de son commercialisme sordide", lourde de symboles (l'offrande du sang, la vie perçue comme un perpétuel affrontement avec la mort - "la corrida est à l'Espagne ce que les Olympiades étaient à la Grèce antique", plus qu'un simple sport ou un art).
Je me suis passionnée pour les taureaux, leur comportement animalier, leur mode de vie. Je les ai trouvés vraiment subjuguants, beaux et nobles, oui oui ! J'ai été fascinée aussi par la folie des toreros qui se frottent à ces forces de la nature, risquant leur vie à chaque instant, j'ai partagé leur peur et leur courage aussi.
Jamais les auteurs ne prennent parti, ils racontent objectivement comment ça se passe, comment chacun vit les choses, même le taureau (Impulsivo ! 💗), mais avec une telle intensité dans les mots qu'on en a souvent le souffle coupé. J'ai trouvé ça vraiment hypnotique et passionnant.

Quant à l'histoire de l'Espagne sur cette période, bouleversante ! Quel terrible drame humain que cette guerre fratricide et la montée du fascisme avec Franco ! Là encore j'ai appris beaucoup et mieux compris ce pays, les auteurs excellant à dépeindre son portrait en mêlant admirablement la petite histoire à la grande histoire. Ce livre s'est achevé en 1968, les auteurs ont dû parfois recueillir des témoignages la nuit en voiture quelque part en Andalousie et n'ont pu, à l'époque, révéler les noms de ces témoins sous peine de les mettre dans une situation délicate.

Ce récit est un récit véritablement écrit à quatre mains. J'avais hésité avec l'édition anglaise au départ, pensant que c'était la version originale. Il s'avère en fait que chacun des auteurs écrit dans sa langue maternelle et ensuite, chacun traduit la partie de l'autre. Je suis donc partie sur l'édition française et bien m'en a pris car je ne suis pas sûre que j'aurais apprécié autant toutes les spécificités du vocabulaire de la tauromachie ou lié à l'Espagne, et c'était un régal en français, pour le style, les tournures de phrase. D'ailleurs la phrase du titre français a pour moi une résonance plus forte que sa correspondance en anglais quand on la resitue dans son contexte :

"Ne pleure pas, Angelita, ce soir, ou je t'achèterai une maison, ou tu porteras mon deuil." ("or I'll dress you in mourning" en anglais - le titre de l'édition anglaise) Manuel Benitez El Cordobés à sa soeur le jour de son premier combat avec les taureaux sauvages d'Espagne.

Intègre le challenge À l'assaut des pavés. Mon troisième depuis juillet ! :)

Également commenté par Violette.

Les auteurs
Dominique Lapierre, né en 1931 à Châtelaillon (Charente-Maritime), entre en 1954 à Paris Match après des études supérieures aux États-Unis et couvre pendant quinze ans l'actualité du monde comme grand reporter.
Né en 1929 dans le Connecticut, Larry Collins, après de brillantes études à l'université de Yale, s'installe en Europe en 1954 où il dirige successivement les bureaux de Rome, de Beyrouth et de Paris de l'agence de presse United Press International et du magazine Newsweek.
Leur rencontre et amitié les arrachent au journalisme et les poussent dans une carrière littéraire à quatre mains consacrée par d'immenses succès internationaux tels Paris brûle-t-il ?; Ô Jérusalem, Cette nuit la liberté, Le cinquième cavalier.
Larry Collins est décédé à Fréjus en 2005.

24 commentaires:

  1. Hé bé! Tu sais, tauromachie + guerre d'Espagne, ça ne m'attire pas non plus a priori. Mais... les deux auteurs avaient su me scotcher avec leur livre sur l'inde..;(la cité de la joie, encore un truc que je ne pensais pas aimer à ce point!)(ta PAL me remercie ^_^). Bon, on verra...

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    1. Aah La Cité de la joie <3, film vu et revu au moins 10 fois ! Je ne savais pas à l'époque que c'était tiré d'un livre, et je crois d'ailleurs que celui-là, Dominique Lapierre l'a écrit tout seul. J'aimerais bien le lire un jour mais même s'il s'agit d'une adaptation libre, je connais trop bien l'histoire pour me laisser tenter tout de suite. Les autres livres des deux auteurs en revanche me tentent tous depuis cette lecture ! Je sens que je vais leur consacrer une place dans mes programmes de lecture annuels.^^

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  2. Et la photo de couverture est célèbre!

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    1. Oui, Robert Capa. Tellement éloquente et tragique !

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  3. J'ai eu une longue période Lapierre & Collins, dont les récits sur des sujets très divers me passionnaient. "Il était minuit cinq à Bhopal" m'a notamment marquée, ainsi que que "Le cinquième cavalier".

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    1. Je crois que je vais tous les lire. Un par an, c'est décidé. Ils me tentent tous ! Je connaissais les auteurs de renom mais c'est la première fois que je les lis et j'ai vraiment envie de retrouver leur plume et de renouveler le plaisir de lecture. Ce qui est chouette, c'est qu'ils explorent en effet des sujets très divers, de quoi élargir ma culture générale.:)

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    2. Beaucoup de plaisir en perspective, donc ! Je t'envie, j'en ai oublié pas mal, et je me suis même débarrassée de leurs livres (sans doute en prévision d'un déménagement)... il n'y en a qu'un que d'ai dû abandonner car trop touffu et complexe : Jérusalem..

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    3. Oh alors celui-là je ne le passerai pas en priorité. Il ne faudrait pas que je me décourage trop vite de ma "bonne" résolution ! :)

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  4. J'allais écrire que le sujet ne m'intéressait pas du tout mais en fait si, avec l'évocation de l'histoire de l'Espagne. J'adore aller en Espagne, les films espagnols, la langue etc... Je note donc ( moi aussi, je soupire...)

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    1. Ah moi aussi je suis une passionnée de l'Espagne ! C'est une de mes destinations préférées aussi ! J'adore les Espagnols, leur mode et rythme de vie, leur cuisine, leur langue... Je ne voudrais pas enfoncer le clou mais ce livre est culturellement très instructif (même si ça tourne principalement autour de la culture de la corrida) et on a vraiment l'impression de vivre une partie de l'histoire de l'Espagne et de son peuple à travers ses pages. C'était vraiment passionnant !

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  5. oh oui!!! j'avais adoré adoré ce bouquin!! Bon j'avoue que la corrida, ça ne me dérange pas… je vais avoir des menaces de mort, je sais. J'assume.
    http://doucettement.over-blog.com/2015/09/ou-tu-porteras-mon-deuil-de-dominique-lapierre-et-larry-collins.html

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    1. Ahaha ! Les menaces de mort ! J'avoue que je n'imaginais pas du tout la cruauté de la mise à mort des taureaux telle que décrite ici mais résumer la corrida à cela est à mon sens très réducteur, il y a tout un contexte et une symbolique que j'ai trouvés très intéressant de découvrir et de tenter de comprendre ici. Je ne suis personnellement pas pour ces spectacles mais je me sens assez mal placée pour juger, ce sont les traditions d'un autre pays, d'une autre culture...

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  6. La tauromachie j'aurais dit non aussi mais la guerre d'Espagne oui ! Ca fait du bien, ces lectures qui vous emportent complètement. Bravo pour ce beau bébé pavé ;-)

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    1. Oh oui, ça fait du bien !:) Et on en redemande ! C'est pour ça, je crois, qu'on ne cesse de lire, toujours à la recherche du prochain livre qui vous emportera encore et encore.:) J'ai d'ailleurs trouvé mon bonheur dans ma lecture en cours avec L'équilibre du monde de Rohinton Mistry. Ah quelle chouette initiative que ce challenge À l'assaut des pavés !

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  7. Eh bien, moi non plus, je n'aurais vraiment pas envie de m'y mettre...
    Bon weekend.

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  8. Malgré ton enthousiasme, je passe. La tauromachie, j'y ai été initiée par mon père quand j'étais jeune et innocente. Maintenant, cette pratique me fait horreur et je ne veux même pas la frôler par les mots et la littérature. Je n'en dormirais pas je crois !

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    1. Oui, je comprends, c'est un sujet sensible pour beaucoup de gens, surtout à notre époque. Les moeurs ont beaucoup évolué.

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  9. Duo d'auteurs jamais lu. Un jour peut-être, tu sembles tellement sous le charme.

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    1. Complètement conquise même ! Il y a le choix dans leur production. Tu devrais pouvoir trouver ton compte dans au moins une de leurs oeuvres en fonction des thèmes abordés.;)

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  10. Bon pour moi la corrida c'est vraiment, mais vraiment un repoussoir...pas sûre d'avoir envie malgré ton superbe billet de le lire...pourtant le côté guerre d'Espagne, pour le coup, lui, me plaît.

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    1. Bah disons que ce livre n'est pas un plaidoyer pour la corrida mais il en parle sous toutes ses facettes, c'est vrai, et j'ai trouvé ça vraiment intéressant d'en comprendre tout le contexte. Mais je conçois que le sujet soit rédhibitoire pour certains.;)

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  11. Je viens d'acheter le Truman Capote suite à ton billet. Je vais garder la référence de celui sous le coude, mais pas pour tout de suite.

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    1. Ooouh, hâte de te lire au sujet du Capote !!! Et j'espère que tu te lanceras dans celui-ci aussi un jour.:)

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