jeudi 3 février 2022

LA SOUSTRACTION DES POSSIBLES


LA SOUSTRACTION DES POSSIBLES

Genève, fin des années 1980, période bénie des winners, capitalisme, golden boys de la finance... Voilà le ton du menu et j'avoue que ce n'est pas ce qui me met en appétit habituellement.

Au début d'ailleurs, je n'accrochais pas du tout, je n'y comprenais même pas grand-chose. Je ne trouvais pas mes repères au milieu de tout cet argent, ce sexe, ces requins de la finance internationale, ces magouilles, ni mon plaisir dans le style, contemporain, vulgaire chic, travaillé à cet effet. Je n'entendais pas la voix authentique de l'auteur, ou si c'était sa voix, j'étais plutôt déçue. J'ai même eu une pensée pour Houellebecq, l'impression que Joseph Incardona était le Houellebecq suisse, avec plus de carrure peut-être, une voix plus nerveuse, acide, qui claque, mais qui joue un peu sur le même terrain du désenchanté et lucide à la fois, écorchant ses contemporains et la société dans laquelle ils évoluent.

J'ai lu ce roman par curiosité pour l'auteur que je voulais découvrir depuis un moment suite à des avis de lecteurs laissant entendre qu'il valait le détour, et comme ce roman a récolté un enthousiasme presse assez vif, je me suis dit que je ne prenais pas trop de risques.

Malgré un mauvais départ, je n'avais pas spécialement envie d'abandonner pour autant, je ne rechignais jamais à y retourner, et au fil des pages, quelque chose dans le style, la voix, l'intrigue, a fini par me parvenir. Du caractère, de l'ironie, une certaine originalité. J'ai réalisé que l'auteur s'amusait et s'éclatait, dans un délire un peu spécial certes, mais pas déplaisant finalement. Surtout quand on arrive à l'histoire d'amour qui, a priori, est l'objet, le coeur, l'âme cette histoire (oui, oui !). Ce qui est d'autant plus cocasse dans ce contexte, et vu les personnages et l'ambiance. Une histoire d'amour qui arrive un peu comme un cheveu sur la soupe d'ailleurs, mais qui, étrangement, se fond bien dans le décor. 

Il y a des fulgurances et de l'originalité dans la structure narrative et le style. Je pourrais parler de verve uppercut, comme un boxer qui les enchaîne sans vous laisser respirer et sans vous mettre KO pour autant. Par ailleurs, Incardona s'adresse au lecteur (ça j'adore !) et lui raconte cette histoire comme s'il n'en avait pas créé les personnages. Il nous fait presque une visite guidée dans cette intrigue comme s'il n'en était pas l'auteur, critiquant ici et là, nous enjoignant à passer outre tels éléments inintéressants, intervenant en commentateur extérieur, un peu cynique, tout en s'adressant parfois aussi aux personnages. Je trouvais ça assez amusant, il y avait même quelque chose d'assez jubilatoire là-dedans, Incardona se plaisant à casser du sucre sur le dos de ses personnages et à les malmener quelque peu. Ça dédramatisait un peu ce contexte chargé en capitalisme et compagnie.

Si on est curieux de la plume de cet auteur suisse, le détour n'est pas décevant, loin de là, mais je n'en aurais pas fait une urgence. Disons que par rapport à mes goûts et le fait que ce ne sont pas trop les thèmes que je préfère (sexe, argent, capitalisme...), ça aurait même été dispensable. Ceci dit, le style a du caractère et une certaine originalité, et pour une intrigue qui avait peu de chance de me séduire au départ, je l'ai quand même lue avec beaucoup de curiosité jusqu'au bout.

Les avis dithyrambiques m'ont paru exagérés en revanche : "Je suis à la fois jaloux, impressionné, enthousiasmé" (Pierre Lemaitre). Euh, on se calme, haha !

Quelques extraits :
"La vie serait intolérable sans le mensonge. Notre système économique est construit là-dessus. La plupart des relations humaines également. Tout est fiction, tout est virtuel. [...] Tout repose sur la croyance et la confiance mutuelle. Vous me donnez cent francs et nous croyons, vous et moi, que ce billet vaut cent francs. Mais il ne vaut rien de plus que notre croyance."

"On reste avec Mimi. Ça s'enchaîne, même si, on le sait, d'autres flux, d'autres infimes tranches d'existences concernant notre histoire, se déroulent en parallèle, se nourrissent, tissent la toile et convergent. Mais on ne peut pas être partout à la fois, ni dans l'écriture ni dans la vie. Et on ne fait pas toujours ce qu'on veut non plus."

L'auteur
Joseph Incardona est né en 1969, de père sicilien et de mère suisse. Écrivain, scénariste et réalisateur, il est l'auteur d'une quinzaine de livres. Il remporte en 2011 le Grand prix du roman noir français avec Lonely Betty et en 2015 le Grand prix de littérature policière du meilleur roman en français pour Derrière les panneaux, il y a des hommes.

20 commentaires:

  1. Le Houellebecq suisse, ç'aurait pu être un créneau, là. Bon, je ne pense pas le lire, merci;

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    1. Mais finalement, rien à voir avec Houellebecq quand même.^^ C'est un tout autre délire.;) Peut-être que sur un autre thème, j'aurais davantage apprécié. Le style de l'auteur a quelque chose d'assez intéressant.

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  2. Je me souviens des avis enthousiasmes, sans qu'ils m'aient convaincue. Ton billet explique bien le type de lecture, mais je reste à distance ( et effectivement, ce type de thèmes... )

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    1. Je doute aussi que ce soit ton genre de livres.;)

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  3. Ouep....bin je passe mon tour alors....;)

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    1. Je sais que tu as d'autres casseroles sur le feu.;)

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    2. Et mes casseroles commencent a deborder....lol

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    3. J'ai le même problème, je compatis !^^

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  4. tiens, ça me fait rire, j'avais découvert ce roman en livre audio... et je crois que je m'étais emmêlée avec les chapitres, j'ai eu l'impression de ne rien comprendre. Mais j'aimerais lire un autre titre de cet auteur.

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    1. Oui, pareil, il faudrait que je tente un autre titre de cet auteur. Dans le même style et sur d'autres thèmes, je suis sûre que je pourrais apprécier de façon plus franche.
      (ouhala, ça devait être pire en audio^^)

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  5. Bon, encore un livre qui n'est pas fait pour m oi.
    Bon weekend

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    1. Je suis quand même sympa avec ta PAL, hein ? Bon week-end !

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  6. Ah, Joseph Incardona! Je garde des souvenirs illuminés de sa série des "André Pastrella", qui raconte avec beaucoup d'autodérision, décennie par décennie, la destinée d'un Italien de seconde génération vivant en Suisse, tricard plus souvent qu'à son tour.

    Perso, la fiction a dépassé la réalité de la fiction: je lisais l'un de ces romans, "Banana Spleen", dans la voiture-restaurant d'un train, et voilà que le serveur me dit, très sûr de lui, que ça a été adapté au cinéma, avec Tom Cruise dans le rôle principal... Le film est fantôme, mais le roman est excellent.

    Bon week-end à toi!

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    1. À quel film ce serveur pouvait bien penser ?^^ Je recherche de mémoire parmi les films de Tom Cruise mais je ne vois rien d'approchant. Ou alors c'est par rapport à l'intrigue ? En tout cas, tu m'as bien vendu cette série. Je vais y regarder de plus près, et ce titre en particulier.:)
      Bon week-end !

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  7. Je peux passer mon tour aussi ? Désolée...

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    1. Bien sûr, on est libre de choisir nos lectures, il me semble.;)

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  8. Je l'avais noté lors de l'enthousiasme général. Mais ton billet me rappelle que je ne suis pas fan des sujets du roman et ta (même) pensée pour Houellebecq me fait dire que vraiment pas d'urgence !!!

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    1. C'est quand même très différent de Houellebecq même s'il m'a effleuré l'esprit au début. Ceci dit, si les thèmes ne te parlent pas trop, pas d'urgence en effet.;)

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  9. Je ne pense pas que ce roman soit pour moi !

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    1. Je ne pense pas non plus, au vu de tes lectures.:)

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