SUPERMARCHÉ
traduit du portugais (Brésil) par Hubert Tézenas
Repéré miraculeusement parmi les nombreux romans de la RL, déjà pour son titre, à la fois insolite et banal, pour l'apparente accessibilité et simplicité du sujet, et puis surtout pour l'auteur, José Falero, inconnu mais brésilien.^^ C'était assez pour m'intriguer.
Un rapide coup d'oeil au résumé m'a convaincue. Bon, il a été vraiment rapide car j'ai cru qu'il s'agissait d'une histoire qui se déroulait dans un supermarché, racontée avec beaucoup d'humour. C'était ça sans être exactement ça (la quatrième de couv n'en avait pourtant pas fait un secret 😅), en tout cas, c'était encore meilleur que ce à quoi je m'attendais !
L'histoire est celle de Pedro, un jeune homme issu des favelas, qui en a plus qu'assez de mener une vie de galère, de ses conditions de survie, d'être plongé jusqu'au cou dans la pauvreté, ce cycle infernal qui se transmet de génération en génération et qu'il veut rompre. Son travail au supermarché, en plus d'être pénible et monotone, ne lui permet pas de joindre les deux bouts. Ras-le-bol d'être exploité pour rien. Le voilà donc déterminé à trouver une solution pour devenir riche, et face à ce "dilemme à la con de devoir choisir entre être bandit et être esclave", le "choix" paraît évident. Il va devenir dealer d'herbe. Il entraîne alors Marques, un nouvel employé du supermarché, dans ses plans qui, assez étonnamment, se fondent sur des principes marxistes. Partage équitable des bénéfices, pas de patron, tout le monde est associé dans l'affaire, même les futures recrues. Car au fur et à mesure que leur entreprise prospère, ils sont amenés à recruter, et la misère est telle dans les favelas que malgré les risques et dangers réels de leur projet, il est très difficile de résister à l'appât du gain.
Quel excellent moment de lecture improbable j'ai passé en la compagnie de nos lascars ! Entre rires (hyène hilare le retour), angoisse, rires, énervement, inquiétude, rires, émotions, rires, bouleversement !
L'auteur exprime formidablement bien toutes les injustices et l'absurdité d'un système qui engendre les inégalités sociales, avec beaucoup de lucidité et sans cynisme. Il décrit de façon saisissante la réalité de la misère, et la frustration et le mal-être qui en découlent :
"Il n'y a aucun chant d'oiseau ni aucune chose qui soit capable de mettre de la magie dans la précarité totale."
Plus qu'un cri de rage, ce sont des vérités coups de poing qu'il assène, dans une langue expressive et colorée, avec l'humour en lieu de gants de boxe. Il ne tombe pas dans le misérabilisme, et bien que cette réalité soit presque tangible, le ton est assez survolté pour qu'on se sente galvanisé, l'humeur au beau fixe et le rire aux lèvres.
Les dialogues sont excellents, souvent hilarants, surtout ceux entre Pedro et Marques, alors que Pedro essaie d'entortiller Marques dans sa conception des choses et ses plans, l'embrouillant dans une sorte de philosophie de supermarché, si je puis dire, avec une logique donquichottesque. Les aventures épiques de nos dealers alors qu'ils se lancent dans leurs affaires étaient juste truculentes.
C'est un roman picaresque dans les règles de l'art, avec un bon soupçon de gaguesque, de déjanté, de cocasse, de furieux et d'insolent. Certains évoquent la patte Tarantino. Je l'ai trouvé personnellement assez unique en son genre. C'est en tout cas absolument savoureux.
J'étais tellement prise dans l'histoire, la vivant quasiment au premier degré, et je m'étais tellement attachée aux personnages, que l'évolution de l'intrigue me faisait peur au fur et à mesure que j'avançais dans ma lecture. Pedro me semblait trop dangereux avec ses idées. Je ne voyais que des risques inconsidérés dans toutes ses décisions et actions. Je craignais vraiment le pire sur la fin, mais j'ai beaucoup aimé la tournure des événements alors qu'elle était des plus stressantes !
Ce qui m'a extrêmement touchée et dévastée, c'est la solidarité entre nos personnages. La solidarité des gens qui n'y ont pourtant rien à gagner et qui pourraient même tout perdre, c'est juste beau. Quand j'ai perçu cette solidarité, mes inquiétudes se sont envolées. Il pouvait leur arriver n'importe quoi, cette solidarité demeurerait au-delà de tout et du pire. C'était comme le plus important pour moi. Peut-être parce que cela me redonnait de l'espoir dans l'humanité dans les moments les plus sombres et désespérés.
Mon avis Goodreads
Pour moi, un immense coup de coeur ! J'ai a-do-ré la fin. Le dernier chapitre.😭
Tout le long déjà je trouvais que c'était un très bon cru, truculent à souhait, authentique et brut comme j'aime, un poil bien barré aussi.^^ Tout à fait ma came, quoi (sans mauvais jeu de mot^^) ! Mais cette fin que je n'ai pas vu venir, ce dernier chapitre plus précisément, c'était juste magnifique et émouvant (du genre petite déglutition que j'ai senti passer en fermant le livre, pause et inspiration nécessaires avant de pouvoir passer à autre chose, des milliers de réflexions qui m'ont traversé l'esprit...) !
Je suis d'autant plus admirative et fascinée par ce livre que l'auteur est issu des favelas, a dû arrêter ses études à 14 ans, vivre de petits boulots, puis reprendre des cours pour adulte à 34 ans, ce qui lui a permis finalement de devenir écrivain. Un excellent écrivain avec ça. Épatant ! Je dis chapeau !
Quelques extraits :
"Vie de merde ! Mieux vaut mourir qu'avoir une vie comme la mienne. Moi, en vrai, je peux même pas dire que je vis : je survis. Tout ce que je fais, c'est me démener et me démener pour continuer à respirer, rien d'autre. Une putain d'usine qui tourne à toute vapeur juste pour allumer une ampoule à la con ! Ouais, faut que je devienne riche, coûte que coûte. Faut que je trouve un moyen de goûter aux trucs qui font que la vie en vaut la peine, et c'est pas en travaillant que je vais y arriver."
"Et, à chaque fois, il s'est passé quoi ensuite ? Rien. Rien. Je me trompe ? Rien. Le mec meurt et, vingt-quatre heures plus tard, ça fait un jour qu'il est mort; juste ça, c'est pas vrai ?"
"- J'ai pas dit ça.
- C'est ça le problème, Marques. Tu dis pas les choses en toutes lettres, mais tu balances des charades. C'est un truc de lâche, en vrai, mon pote."
"Au fait, ça existait vraiment les métiers de ce genre, ou c'était juste dans les films ? Ça devait exister. Et il devait même en exister d'autres, encore meilleurs, où on pouvait carrément se donner un congé à soi-même : "Je prends le reste de la semaine et je reviens pas travailler avant lundi." Mais aucun de ces cas n'était le sien, malheureusement."
"[...] indifférent à toutes les tragédies humaines, de tous les temps et de toutes les nations, le monde s'entêtait à persister dans son existence, s'entêtait à continuer de palpiter comme si de rien n'était."
L'auteur
José Falero est né à Porto Alegre en 1987 dans une des favelas qu'il décrit. Comme ses personnages, il a travaillé dans un supermarché, puis sur des chantiers de construction. Il a abandonné l'école à 14 ans, repris des cours pour adultes à 34 ans, et s'est mis à écrire. Après des nouvelles publiées sur un blog, son roman lui vaut une reconnaissance unanime.
Merci pour le lien, j'ai beaucoup aimé ce roman, et été ravie de trouver à lire un auteur brésilien, ce qui n'avait pas dû m'arriver depuis Jorge Amado il y a au moins trente ans !
RépondreSupprimerAh oui quand même ! Rien depuis Jorge Amado il y a 30 ans ! Les générations d'écrivains brésiliens plus récentes semblent pourtant avoir des choses à dire et à partager.^^ Moi il faudrait que je revienne à Jorge Amado en revanche. Ma seule expérience avec cet auteur a été plutôt négative, mais il faudrait que je tente un autre de ses romans.
SupprimerJe l'ai plus que commencé, mais les trucs barrés OK, sur le marxisme, c'était long, j'ai lâché. Dommage, ça partait très bien.
RépondreSupprimerNooon ? Tu as décroché sur celui-là ? Moi j'ai adoré les tirades marxistes alors que ce n'est pas trop ma tasse de thé ces discussions généralement, mais c'était peut-être un peu trop survolté ? Je pense sincèrement que tu aurais dû persévérer. Ces passages ne duraient pas si longtemps, et c'était encore au tout début de l'histoire. Peut-être une ou deux pages de plus et tu aurais passé ce cap ?^^ Mais peut-être que l'esprit et le ton du livre ne te convenaient pas, tout simplement.
SupprimerBen je ne sais pas, quoi. Ou alors devoir rendre à la bibli, ou bien...
SupprimerNon mais si tu as estimé en avoir lu assez, c'est que ce n'était probablement pas fait pour toi, voilà tout.^^
SupprimerOh ouiiii je sors de mon sejour dans le sud sud....pour te dire que j'ai vraiment aime ce livre.....oh ouiiii
RépondreSupprimerC'était une belle LC. J'ai beaucoup apprécié nos échanges.^^
Supprimeroh oui tout fut bien...j'en parle a mon retour...je fais durer le plaisir...lol
SupprimerOh oui t'inquiète, prends ton temps.;)
SupprimerJe l'ai noté chez Kathel, j'espère le voir arriver à la bibliothèque.
RépondreSupprimerTrès curieuse de ton avis si tu le lis !:)
SupprimerEh bien ça fait envie. Hop ! sur ma liste d'envies pour le mois latino.
RépondreSupprimerTiens, je me ferai peut-être une spéciale Brésil sur ce mois-là. Du latino exclusivement brésilien.^^ Il y a déjà tant à explorer rien que pour ce pays. Je me ferai peut-être un petit book trip brésilien.^^
Supprimer"Un excellent moment de lecture improbable" ! Une belle découverte alors ! Ça donne envie !
RépondreSupprimerOui, vraiment une très belle pioche ! Je ne suis pas convaincue que tu y trouverais ton compte car c'est quand même bien barré par moment, mais je serais curieuse de ton avis si tu te lances.;)
SupprimerAh, motivée pour cette lecture( Le rire hyène hilare me convient bien :)). J'avais aussi noté ce titre, j'attendais des retours ( parce que ce genre de titre n'est pas vendeur pour moi ^^ )
RépondreSupprimerLes commerces qui sont un lieu d'échanges sociaux divers et variés me paraissent un bon moyen de s'imprégner de la diversité culturelle d'un pays, c'est peut-être pour ça aussi que le titre m'a attirée.^^
SupprimerHâte de te lire à ce sujet !
Je ne lis que des avis élogieux sur ce roman. Tu parles de la 4ème de couv, mais je pense que la couv elle-même donne déjà quelques indices :)
RépondreSupprimerOui, c'est vrai. Gros, gros indice même, haha ! Quand je m'étais intéressée à ce livre, je n'avais pas vraiment vu la couv, comme c'était sur le net. Juste le titre, l'auteur, et le résumé vite lu sur un site.;)
SupprimerJ'ai peur de rejoindre Keisha mais ce titre m'avait fait de l'oeil aussi. Allez, s'il croise mon chemin, je tente.
RépondreSupprimerS'il t'avait fait de l'oeil, tente donc. Ainsi tu seras fixée.^^
SupprimerJe ne connaissais pas du tout et ton avis me donne envie de le découvrir :)
RépondreSupprimerN'hésite pas ! C'est une lecture qui change un peu de l'ordinaire.:)
SupprimerJ'ai beaucoup aimé ce roman et surtout les dialogues (disons plutôt les soliloques de Pedro) sur les théories marxistes, les opportunités du marché de la drogue, la mise en place d'un réseau "équitable"... c'est très drôle. Il y a aussi des passages très réalistes sur la pauvreté, les favelas, etc.
RépondreSupprimerIl n'y a pas grand-chose à jeter dans ce roman en effet.:) Il y a un bel équilibre d'épisodes bien délurés et de passages plus (tristement) terre-à-terre. J'adorerais lire d'autres livres de cet auteur ! Vivement qu'ils soient traduits !
SupprimerMerci pour le lien !
SupprimerAvec plaisir !
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