MON CANCER COUILLON

Un manga chez Keisha, c'était déjà assez pour attiser ma curiosité, et bien que le thème, qui n'est pas des plus légers, aurait pu me faire fuir, en manga, j'avais confiance en son traitement pour ne pas démoraliser. Le titre et la couverture laissaient en tout cas entrevoir pas mal d'autodérision, ce qui aide toujours à aborder ce genre de récit.

En juin 2010, à 35 ans, l'auteur, Kazuyoshi Takeda est diagnostiqué du cancer du testicule et est rapidement hospitalisé en soins de longue durée. C'est son combat contre la maladie qu'il relate ici, entouré des compagnons qu'il s'est fait dans cette épreuve marquante. "Tous ces moments, tous ces visages, il nous les livre dans cette leçon de vie qui est la sienne."

C'est un récit avec beaucoup d'autodérision, comme je m'y attendais, mais dont l'humour ne masque en rien la gravité de la situation. Rien n'est édulcoré ni amplifié, l'auteur raconte simplement son expérience malheureuse avec beaucoup de transparence et de sincérité. Il y a beaucoup de moments durs, la maladie est toujours vécue comme une malchance, les malades se sentent victimes, honteux parfois. Beaucoup se surmènent en essayant de se montrer forts, de garder la face devant l'entourage, mais ce que j'ai aimé dans ce récit, c'est justement l'exhortation à admettre sa faiblesse, ne pas essayer de paraître plus fort qu'on ne l'est jusqu'à s'en rendre encore plus malade, accepter en somme la réalité crasse de la maladie et ses conséquences sans culpabiliser, et ne pas rejeter l'aide de l'entourage. C'est fou aussi comme un rien peu changer la vie et les conditions de ces malades : un peu de soleil, de l'air frais, une balade, le droit à l'intimité et à l'isolation, un peu d'attention...

Au-delà de tout ce qu'on peut apprendre sur la maladie et son traitement, un traitement lourd, aux effets secondaires parfois compliqués, qui peuvent entraîner douleurs physiques, nausées, sensibilité à fleur de peau, intolérance aux bruits et aux odeurs, dépression et sautes d'humeur, ce manga est très instructif aussi sur le système de santé japonais et l'auteur met parfaitement en lumière le courage des soignants. J'ai beaucoup aimé aussi la dignité toute japonaise qui transparaît ici chez l'auteur, mais aussi chez les autres personnages, dans l'adversité.

Les liens entre sa femme et lui étaient aussi admirables. Sa femme était d'un courage épatant, d'un soutien exceptionnel, d'une patience d'ange. J'ai beaucoup aimé également les malades qui l'entouraient, leur force de caractère, leur sens de l'humour dans l'épreuve, leurs personnalités très différentes aussi. Certains étaient vraiment hauts en couleur, ce qui rendait ce séjour encore plus captivant. Au fil des pages, on s'attache vraiment à tout ce petit monde. C'était comme une petite famille, à tel point que lorsque l'un quittait l'hôpital, c'était presque triste même si c'était une bonne nouvelle, et quand de nouveaux patients arrivaient, après un moment d'observation, on finissait par les adopter aussi.

C'est une belle histoire, presque lumineuse, qu'on traverse avec diverses émotions, mais qui n'est jamais déprimante. C'est une expérience humaine forte, un témoignage précieux, un récit qui m'a touchée beaucoup plus que je ne m'y attendais. Le parcours personnel de l'auteur, son histoire avec sa femme étaient particulièrement émouvants. 

L'auteur

Kazuyoshi Takeda, né en 1975 à Hokkaidô, est mangaka. En juin 2010, il est diagnostiqué du cancer du testicule et est rapidement hospitalisé. Marqué par cette épreuve qu'il parvient à surmonter, il décide de consacrer Mon cancer couillon, sa première oeuvre, à son combat contre la maladie, qui finit 3e au prestigieux Manga Taishô Award en 2014.