De Nicolas Wild, je garde un excellent souvenir de Kaboul Disco dont j'attendais encore le tome 3 en 2009. J'avais cessé d'espérer au bout de quelques années de vaines attentes, mais je vois qu'il est enfin paru en 2018, chouette ! En attendant de pouvoir mettre la main dessus, je n'ai pas résisté à la curiosité de cet album paru en 2023. Avec la guerre en Ukraine qui demeure un sujet d'une actualité brûlante, forcément, c'est une question qui, dans ce contexte, ne manque pas d'intérêt, pour moi du moins, et pour Nicolas Wild qui se rend donc en Russie pour "sonder les états d'âme de ses habitants".
J'adore ce genre de BD très instructive entre reportage et récit de voyage dans des pays souvent en crise dont il n'existe pas foison de témoignages, relaté avec une pointe d'humour et une certaine candeur, le décalage parfait pour explorer ce sujet en toute sérénité.
À l'origine de cet album, c'est Qanvas, une jeune compagnie indienne de bandes dessinées de non-fiction, qui missionne Nicolas Wild comme reporter graphique et lui commande un carnet de voyage illustré sur la Russie. Il décolle le 30 juin 2022 pour un séjour de 15 jours dans ce vaste pays. Aucun souci pour entrer en Russie en tant qu'artiste ou touriste. Les journalistes occidentaux n'ont, en revanche, pas le droit de séjour.
Sur place, il est accueilli et pris en charge par une fixeuse, terme que je découvre ici. De ce fait, il n'a vraiment rien à faire pour assurer le bon déroulement de son séjour. Tout est organisé pour lui : transports, logement et même les personnes qu'il va interviewer. C'est la fixeuse qui se charge de tout. On n'est, ainsi, pas dans l'aventure ni les grosses galères du récit de voyage. Dès qu'il y a un pépin, c'est elle qui intervient, se renseigne, trouve les solutions nécessaires. Le voyage vraiment tranquillou en somme. Ça enlevait un peu d'authenticité à la mission, je trouvais. Être accompagné par une locale avait toutefois ses avantages, entre autres pour la barrière de la langue et les découvertes culturelles.
Ce qui m'a frappée, c'était qu'il était toujours bien accueilli partout. Les Russes qu'il rencontrait étaient aimables et semblaient plutôt ouverts aux questions, détendus, même si on sentait que la situation les dépassait un peu parfois. Souvent revenait la phrase, "on ne sait pas où est la vérité".
Ils m'ont en tout cas semblé très francs dans leurs réponses, certains étaient même audacieux dans leurs critiques ouvertes, mais la plupart étaient prudents tout de même, sachant les risques qu'ils encouraient.
Malgré tout, je n'ai pas trop l'impression d'avoir été très éclairée sur ce que pensent les Russes.😅
Nicolas Wild croise "un large panel de résidents russes : membres de la société civile, artistes, opposants politiques, militaires, expatriés et simples citoyens, tous expriment leurs vues sur la guerre en Ukraine et la situation de leur pays." Mais la Russie est vaste, son histoire tout autant, et chacun de parler de son histoire et expérience personnelles, ce qui offre une diversité de témoignages, pas seulement sur la Russie actuelle, mais sur l'ex-URSS, les autres régimes depuis, les autres guerres ayant marqué le pays, la perception de son histoire et de son actualité variant aussi suivant sa ville ou sa région d'origine. C'était très riche en termes d'information, de ressentis, de témoignages, mais diffus.
Quant à la situation actuelle, les gens ordinaires sont encore dans la confusion ou prudents dans leurs propos, donc en fin de compte, j'ai l'impression d'avoir eu plein de données, mais rien "d'exploitable" (façon de parler) pour comprendre vraiment ce que les Russes pensent aujourd'hui. Sur ce point précis, c'était instructif et embrouillant à la fois, disons.
Ayant pu rencontrer des Russes en Arménie l'année dernière en octobre, j'avais déjà été très frappée par l'apparence de normalité, d'insouciance, d'envie de profiter de la vie de ces jeunes gens lors d'un festival swing, comme si la guerre en Ukraine n'était pas plus leur réalité directe que la mienne. La réaction de Nicolas Wild à son arrivée à Saint-Pétersbourg m'a donc amusée quand il a été surpris lui aussi de l'absence d'atmosphère tendue liée à la guerre. Tout avait l'air "normal".
Graphiquement, j'ai bien aimé l'intégration de photos aux dessins par moment, ainsi que les rares touches de couleur au milieu du noir et blanc prédominant.
Et bien sûr, et pour mon plus grand plaisir, il n'était pas question que de géopolitique dans cet album qui, même s'il m'a un peu laissée dans le flou quant à la question du titre, reste culturellement très instructif.
Également commenté par Pativore.
J'aime bien aussi ce type de BD documentaire. J'ai l'impression que tu es quand même un peu frustrée par rapport à cette lecture en mi- teinte. J'avais déjà entendu parler des fixeurs mais ça ne fait pas si longtemps. Apparemment ils sont très souvent sollicités par les journalistes. Sinon, je connaissais la fameuse salade sur la planche que tu présentes mais avec une traduction un peu différente : le hareng sous le manteau.
RépondreSupprimerEn effet, mes attentes ont été quelque peu frustrées. J'imaginais ressortir de là en ayant une idée claire de ce que pensaient les Russes dans et/ou sur la situation actuelle, mais ça m'a plus embrouillée qu'autre chose et laissée sur ma faim du coup... En parlant de faim, le hareng en fourrure, le hareng sous le manteau, oui, on voit l'idée.^^
SupprimerDe lui j'ai lu Ainsi se tut Zarathoustra et la maison des femmes (parfaitement à découvrir, évidemment). Je constate que celui dont tu parles est en bibli, yes! Mais si, les fixeurs, indispensables à ceux qui vont dans des zones délicates!
RépondreSupprimerLe Zarathoustra ne m'avait pas trop tentée à l'époque, mais il faut dire que j'étais focalisée sur "mais où est la suite de Kaboul Disco ??"^^, par contre je n'avais pas repéré À la maison des femmes que je m'empresse de noter !
SupprimerPour fixeur, oui j'ai vu que c'était un terme employé dans un contexte très précis, effectivement plutôt les zones délicates, mais je m'étonnais surtout de son origine, parce qu'en français, ça sonne franchement étrange, et en effet, ça vient de l'anglais "fixer", du verbe "to fix", et là, ça prend tout de suite plus de sens.^^
Merci pour la découverte et même si on reste dans le fou quand à la réponse induite par le titre, cette BD a l'air intéressante et la démarche de l'auteur donne envie de lire le résultat de son travail.
RépondreSupprimerTout à fait, ça reste une BD très intéressante et instructive, ainsi que des témoignages précieux côté Russie. Cette impression de flou est finalement normale, ou plutôt cohérente, dans la mesure où il n'y a pas une voix et une opinion uniques et que les Russes eux-mêmes sont divisés sur la question, quand ils ne sont pas dans la confusion la plus totale. Il me faudrait sûrement relire cet album pour mieux débroussailler tout ça.^^
SupprimerEt bin cela semble etre toute une bien belle BD....oh meme interesserant pour le cote sociologique mais pas politique...c'est bien....;)
RépondreSupprimerTout à fait ! C'est une sacrée opportunité que nous donne l'auteur d'enquêter de l'intérieur et d'entendre les Russes s'exprimer sur la situation actuelle. Bon, ça reste très politique quand même, hein.^^
SupprimerLe genre de BD que j'adore et qui me fait penser à certaines de Guy Delisle. Je devrais me la procurer et l'offrir à la Russe que je connais tiens :) ...
RépondreSupprimerOh j'aimerais bien avoir l'avis de ton amie russe sur ce livre ! Ah oui, j'ai adoré aussi le Guy Delisle des récits de voyage. Il est plus dans le quotidien et le mode de vie que le reportage, mais ça reste très enthousiasmant aussi.
SupprimerJe ne lis pas de BD; c'est dommage parce que le sujet est intéressant...
RépondreSupprimerAh oui, c'est dommage, surtout si le sujet t'intéresse.;)
SupprimerPas facile de savoir exactement ! Je suis presque sûre qu'il y en a beaucoup qui admirent Poutine et lui font confiance. Quant aux autres, pourquoi se confieraient-ils ? sauf s'ils sont ouvertement dissidents et veulent faire changer les choses.
RépondreSupprimerC'est vrai, tu poses une bonne question. Et ce n'est en effet pas facile de savoir exactement. C'est peut-être pour ça d'ailleurs que j'ai un peu la sensation d'être restée sur ma faim en tournant la dernière page de cette BD.
SupprimerLe sujet est intéressant même si je me doute que lorsqu'il y a une guerre que ce soit d'un côté ou l'autre de la frontière ce n'est pas facile de savoir ce qu'en pensent les principaux intéressés... Cette BD n'est pas dans ma médiathèque mais d'autres titres de lui oui, alors je l'ai noté car je n'ai encore rien lu de lui.
RépondreSupprimerOh oui, n'hésite pas si tu as la chance d'avoir ses BD dans ta médiathèque ! Et concernant cet album, nous n'avons en plus qu'un échantillon de ce que pensent les habitants de ce vaste pays, même si le panel est très large, que ce soit en terme social que géographique.
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